Après avoir vécu un Tour Auto intense, ce Spider se croyait enfin tranquille. Raté, une visite au pas de course des monts du Lyonnais figure au menu, évidemment gastronomique. Cet exemplaire dédié à la presse et totalisant plus de 15 000 km de tests en tous genres nous attend chez Gauduel Sport à Limonest (69), plutôt bien entouré : LaFerrari, FXX Evo, FXX-K Evo, Monza SP2. Dire que ce n’est que la partie immergée de l’iceberg ! Le sous-sol regorge de pépites du passé et du présent. De quoi en ressortir sonné, avant même d’avoir pressé le bouton de démarrage situé sur le volant, constellé de commandes dont l’eManettino (digitalisé) et les modes touchant l’hybridation : eDrive, Hybrid, Performance et Qualify. Il recèle des interfaces haptiques, que l’on retrouve sur la planche de bord qui a inauguré le compteur incurvé ou la commande de boîte singeant une grille en H.
Mode furtif
La SF se réveille automatiquement en mode Hybride. La curiosité pousse à basculer en eDrive, non pas pour découvrir les joies de l’électrique made in Ferrari, déjà expérimentées à bord de la 296 GTB mais pour un baptême encore plus déroutant de la part du cheval cabré : être propulsé par les roues avant ! Seuls les deux moteurs de devant sont en effet sollicités en 100 % électrique et la supercar peut montrer patte “verte” sur maxi 25 km et 135 km/h. L’accélération équivaut alors à celle d’une petite GTI et la force longitudinale se limite à 0,4 g. L’évolution en zone urbaine sans un bruit a un côté jubilatoire. Non pas pour l’effet relaxant, mais pour observer la tête des passants. Eh oui, ça change de la Zoe ! Selon les normes WLTP, ce cabriolet de 1 000 ch ne produit que 149 g CO2/km et écope d’un malus 2024 limité à 2049 € ! Un beau pied de nez à l’administration française. En se retournant, les badauds restent songeurs, au mieux surpris. Les connaisseurs agitent les mains pour réclamer le V8. Si vous insistez !
Le gabarit reste raisonnable avec 4,70 m de long et moins de 2 m de large. Ce Spider dégage une prestance de supercar par son côté trapu, ses formes épurées : museau fuselé, fluidité du profil évoquant le proto Mythos (1989), hanches galbées, arrière tronqué. Des détails captivent, comme l’étroitesse des phares soulignés de griffes, les feux arrière rectangulaires, la grosseur des (fausses) canules d’échappement et le travail aéro conséquent mais subtil. On retrouve les jantes profilées du coupé, ainsi que l’aileron qui s’abaisse pour produire de l’appui combiné à un soubassement avant générateur de tourbillons. Le toit a quant à lui été façonné pour obtenir la même efficacité aéro que le coupé en position fermée. Il repose sur des montants affinés et culmine 20 mm plus bas en raison d’une inclinaison de pare-brise plus prononcée. Au final, l’appui maxi avec le pack Assetto Fiorano serait identique à celui du coupé : 390 kg, mais obtenus à 250 km/h. Vous avez bien lu, cette SF90 alourdie d’un quintal peut se radicaliser ! Ce pack permet au passage de grignoter 21 kg et de gagner des amortisseurs Multimatic, un aileron en carbone, des Cup 2R et une peinture bi-ton en option. Ferrari n’évoque pas de renfort spécifique de la coque alu, seulement « une rigidité en hausse de 30 % par rapport aux plateformes existantes ». Le résultat se révèle suffisamment costaud, mais l’on sent que la coque a du pain sur la planche sur le bosselé et sans le toit.
Mode Tetris
Sur le chemin menant à la gare et à notre artiste Denis, la facilité de prise en mains laisse sans voix. Un miracle avec 1 000 ch ! En Hybride, les changements thermique/électrique s’opèrent en douceur. L’amortissement piloté rappelle que vous évoluez à bord d’un oiseau rare, dont la raideur se situe au niveau d’une supersportive, c’est-à-dire non excessive et atténuée par la touche “route bosselée” dans les modes sportifs. Quant aux baquets à coque carbone, ils maintiennent correctement et les jolies formes du dossier sont validées par les lombaires. Il existe toutefois un élément handicapant : le volume de chargement avant de 74 l ! Notre photographe rit jaune et entame une séance de Tetris, sous le regard amusé des passants. Elle s’achève par du matériel coincé derrière les sièges et à ses pieds. Après tant d’effort, il mérite une bouffée d’air. En une quinzaine de secondes, le toit à la structure aluminium se plie en trois au-dessus du moteur. Les turbulences restent mesurées jusqu’à 130 km/h, en relevant les vitres et la lunette faisant office de saute-vent, pouvant s’abaisser indépendamment de la position du toit pour communier avec la mécanique. Derrière le couvre “capote” intégrant un double bossage, le capot moteur a été remodelé pour maximiser le refroidissement. Il faut dire que ce compartiment séparé de l’habitacle par une cloison en fibres de carbone et la petite batterie transversale (7,9 kWh et 72 kg) accueille du beau monde.
Mode usine à gaz
Tout au fond se cache le V8 dans sa configuration la plus puissante jamais produite : 780 ch et près de 200 ch/l ! Soit 60 ch de plus que les 488 Pista et F8 Tributo. Rappelons que Ferrari a totalement repensé le bloc pour atteindre cet objectif : réalésage, injecteurs à 350 bars, équipage mobile, emplacement des turbos et taille des volutes côté compresseur, soupapes de décharge, hauteur réduite, allègement de 25 kg, résonateur “hot pipe” vers habitacle, admission, échappement en Inconel aux conduits rehaussés. Ouf ! Et il ne s’agit que la partie thermique. L’hybridation cache un petit électromoteur arrière (72 mm d’épaisseur), niché entre le V8 et la boîte. En suivant les câbles orange, on tombe sur le modulateur de courant, situé entre les conduits d’échappement. Il ne faut pas oublier les deux électromoteurs avant, dont le couple peut être régulé de manière vectorielle par le boîtier RAC-e visible au-dessus du coffre. Une usine à gaz, qui produit jusqu’à 220 ch électriques et dont le V8 régale les tympans ! On retrouve la tonalité de la 488 Pista et les électromoteurs sont rapidement couverts par le timbre rauque caractéristique qui gagne des octaves au fil des tours. Toit replié ou non, les bruits de suralimentation restent audibles : soupapes de décharge et turbos. À la moindre réverbération, la ferveur très course de l’échappement titane optionnel dresse les poils. Vous vous en doutez, la poussée est atomique et permanente. Il n’est pas question de lissage des sensations, mais d’un ponçage des cervicales qui démarre par le coup de massue électrique, doublé par les turboréacteurs thermiques à 3 000 tr/mn et le tout accentué à 5 000 tr/mn.
Pour jauger cette puissance délirante et abstraite, rien ne vaut un launch control en prenant soin d’avoir la batterie suffisamment chargée. Inutile de suspendre la SF90 à un fil, elle se recharge facilement et rapidement en roulant, qui plus est en attaquant. Mode Qualify enclenché (favorisant les performances au détriment de la charge), il suffit de placer l’eManettino sur un mode sportif et d’appuyer sur “L”. Le régime se cale à 3 500 tr/mn… Et le reste de la scène relève du domaine aéronautique. Le patinage est mesuré et le décollage de cette intégrale… violentissime ! Le compteur part en vrille, comme les neurones. Mais que vient-il de se produire ? Vous venez d’encaisser 1,4 fois votre poids (1,4 g). Aussi folles que soient les mises en vitesse, elles se détachent peu de celles d’une 296 GTB ou d’une 765LT. Ferrari annonce un meilleur 0 à 100 km/h (2’’5), puis un 0 à 200 km/h en 7’’0 situé à + 0’’3 du coupé, à -0’’3 de la 296 GTB et à -0’’2 d’un Spider 765LT. Une icône telle la 918 Spyder est dépassée sur ce point, mais son V8 atmo pointu fleure bon la compétition.
Mode sauvage
En jonglant avec les modes de conduite, on découvre un autre visage de la SF90 : intimidant. La force déployée réclame un temps d’accoutumance et ne laisse jamais souffler. Les courbes sautent au visage. On est alors interpellé par une fonction copilotage de la navigation via les infos projetées dans le parebrise, indiquant le niveau de difficulté et la distance avant chaque virage. Du jamais vu ! Et plutôt bien ficelé. Le toucher de direction met en confiance et équivaut à celui d’une Pista, donc bien plus communicatif que celui de la 296 GTB sans atteindre la limpidité d’une McLaren (assistance hydraulique). On ne peut pas en dire autant des freins (by wire), dont le répondant s’avère variable et peu aidé par la récupération d’énergie. Le point le plus délicat reste la mise en température des Cup 2 dédiés. En ce mois de mai, le thermomètre oscille entre 10 et 18 °C et mieux vaut les chauffer convenablement avant d’attaquer. En plus de l’indicateur de pression, la température des pneus serait la bienvenue au tableau de bord. En raison de reprises de grip inconstantes, le survirage n’est du coup pas aisé. Au contraire, le train avant facilite la vie par son effet gyroscopique décoiffant assorti d’une démultiplication très courte de la direction. Un brin surnaturelle, l’action du torque vectoring a le mérite d’être efficace et de rendre l’avant incisif. De quoi atténuer la sensation de poids, qui reste conséquent et se ressent davantage par rapport à une 918, une 296 ou une plume 765LT. Les mouvements parasites restent maîtrisés mais l’on a affaire à un beau bestiau aux réglages non radicaux. Les plus exigeants se tourneront vers le pack Assetto Fiorano, au détriment de la polyvalence.
Quel que soit le rythme adopté, la boîte à double embrayage orchestre parfaitement l’ensemble mécanique, sans aucune fausse note. N’oublions pas que la SF90 a étrenné cette transmission allégée (malgré le 8e rapport) et plus rapide (200 ms minimum). Elle se débarrasse au passage du pignon de marche arrière, cette charge revenant aux électromoteurs avant. Si vous évoluez en Performance ou Qualify, le régime du V8 est alors régulé au ralenti et seul le train avant est sollicité. Ces modes sportifs ajoutent un léger surcouple à la montée des rapports et la gestion automatisée de la F1 se révèle ultra-réactive. Mais l’on ressent le besoin de prendre les commandes pour superviser tous les paramètres de pilotage. Ce pilotage implique autant que celui d’une 765LT ou d’une 918 Spyder et tisse ainsi davantage de lien par rapport à une 296 GTB. Même si la batterie se recharge rapidement (comme la 918, la 296 ou l’Artura), mieux vaut garder un œil sur l’autonomie qui opère un yoyo vertigineux au gré du rythme adopté et qui s’appuie sur un réservoir de seulement 68 l. Sur le tracé maison de Fiorano, le Spider parviendrait à rester sous la 1’20’’ (1’19’’5) et rendrait 0’’5 au coupé. Il garderait donc à distance les 296 GTB (+1’’5), 488 Pista (+ 1’’0) et LaFerrari (+0’’5). Nous n’avons malheureusement jamais pu confirmer ce classement en mesurant la SF90 sur nos terres…