Maranello a secoué la planète auto en 2021, en présentant non pas une version radicalisée de la F8 Tributo, mais un modèle innovant à l’appellation contrôlée : « 29 » pour la cylindrée (2 992 cm3), « 6 » pour le nombre de cylindres et « GTB » pour Gran Turismo Berlinetta. Tout un programme, qui rétorque à la McLaren Artura (V6 biturbo hybride de 680 ch), la coiffe au poteau en matière de commercialisation et fait la nique à l’administration française en écopant d’un malus de seulement 898 € (149 g/km CO2) pour un monstre de 830 ch. Chapeau bas ! Pourvu que cela dure…
Exit la F8
La 296 GTB pousse donc à la retraite la jeune F8, qui a à peine eu le temps de se déshabiller en version Spider. Ferrari fait ainsi l’impasse sur une extrapolation radicale, dommage ! Les normes de pollution ont accéléré le renouvellement de cette évolution de la 488 et le constructeur montre patte verte avant la venue d’un modèle 100 % électrique en 2025, en livrant dès le mois de juin sa « petite » GT. Petite par la taille : 5 cm de moins en longueur par rapport à la F8 et petite par la cylindrée, mais colossale par la force déployée, les performances et le prix, en hausse de quasiment 40 000 €. À ce compte, on se demande comment Ferrari va faire évoluer son bébé. Un Spider ? Pas de problème : il permettra de se connecter davantage au V6. Une lightweight ? La surenchère de puissance paraissant surréaliste, un savant mélange de réglages châssis et d’allègement paraît plus plausible. Or l’Assetto Fiorano propose déjà des saveurs du circuit et la liste de personnalisation regorge d’options light. L’existence d’une version spéciale reste donc peu probable.
En discutant avec l’équipe en charge du développement, qui a nécessité quatre ans, on ressent bien la complexité du projet et l’envie de partager notre ressenti. En termes de puissance, la course folle semble toucher à sa fin. Mais Maranello n’exclut pas une descendante de la F8. Les clients des berlinettes à V8 central représentent la majorité des acheteurs et seuls 30 % découvrent la marque, à condition d’être armés de patience : pour le moment, le délai de livraison s’élève à 18 mois.
360 kg d’appui
Comme il n’y a pas eu de salons en 2021, c’est la première fois que l’on découvre le milieu de gamme hybride dans sa version finalisée. Après la Roma, Ferrari continue d’adoucir les formes, en s’inspirant cette fois d’un chef-d’œuvre des années 60 : la 250 LM. Cela frappe par la pureté du profil, le galbe des ailes arrière et du pare-brise (façon visière de casque), le décroché du toit et l’arrière tronqué. Le faciès aplani et reniflant l’asphalte (le lift system est conseillé) paraît simple et dans la continuité de la F8. En y regardant de plus près, il révèle quelques subtilités aérodynamiques. La plus évidente concerne l’importante grille dans le bouclier, alimentant deux radiateurs latéraux couchés vers l’arrière. Cela permet de libérer l’espace central et d’y travailler l’appui, en apposant une lame appelée « plateau à thé ». Les phares, eux, recèlent une entrée d’air visant à refroidir les étriers de freins, comme sur la SF90 ou la 812 Competizione.
En continuant le tour du propriétaire, l’aero bridge attire l’attention en fin de pavillon, tout comme ces flancs à la fois sculptés sur le haut pour guider le flux vers les entrées d’air moteur et verticaux sur le bas. Puis les yeux convergent vers le compartiment moteur (la baie en carbone est optionnelle), mêlant verre surteinté et cache coloré sur le haut. Les deux trappes (carburant et électricité) soulignent que nous avons affaire à une hybride rechargeable. Le tour s’achève par le spectaculaire arrière, très aéré, et misant sur l’horizontalité et l’effet de largeur. Adieu les feux ronds, ils sont revisités en rectangles grisés sur le bas, formant avec l’aileron central escamotable un bandeau noir. L’appendice se dresse lors des freinages appuyés, au-delà de 100 km/h, telle une barrière aéro en créant une déportance de 100 kg. Au total, la 296 GTB serait capable de générer 360 kg à 250 km/h avec le pack Assetto Fiorano. Plus bas, le flux s’extrait du fond plat par un énorme diffuseur (carbone optionnel), avec en son centre la caméra de recul. L’œil est naturellement attiré par la double sortie d’échappement centrale et quelques câbles colorés à travers la grille. L’orange si voyant est obligatoire pour indiquer au secours la haute tension. Eh oui, cette supersportive est une véritable usine à gaz !
À moins que vous ne soyez intervenu sur les modes auparavant, elle démarre systématiquement en silence (mode Hybrid). Il va falloir s’y faire. La 296 GTB reprend l’interface et les commandes de la SF90 avec un écran incurvé en guise de tableau de bord, clair et bien agencé hormis quelques fenêtres pop-up parfois gênantes. L’incontournable volant multifonction est au rendez-vous, avec des touches haptiques moins irritantes et sensibles qu’à bord de la Roma. Il comprend le eManettino digitalisé sur la droite : Wet, Sport, Race, CT off (antipatinage) et ESC off (correcteur de trajectoire). Ces modes agissent sur la suspension (hors Assetto Fiorano), les aides à la conduite, les changements de rapports, l’assistance de direction et la réponse à l’accélérateur. En plus, il faut désormais s’accommoder des quatre réglages de l’hybridation, présents sur la gauche du volant. Le « Hybrid » lancé par défaut n’active le V6 qu’en cas de besoin. Concrètement, vous pouvez vous retrouver à 140 km/h sur autoroute en électrique, à faible charge. Si vous voulez méduser les badauds en ville, il existe le « eDrive » 100 % électrique faisant uniquement appel au moteur arrière de 167 ch (carter rouge), installé entre le V6 et la boîte. Il vide la batterie (73 kg, 7,45 kWh) positionnée transversalement derrière les occupants en 25 km (maxi) et jusqu’à 135 km/h.
Le calme avant la tempête
Rouler en Ferrari électrique crée un « léger » pincement au cœur. Mais si cela permet de rallier les centres-villes à faible émission et d’agacer les écologistes de salon, l’expérience en vaut la peine et donne le sourire. La poussée reste modeste, étant donné la puissance et la masse élevée. La batterie se vide rapidement, mais elle se recharge avec autant d’entrain dans les modes sportifs, en attaquant. Inutile de se prendre la tête et de traquer les bornes : il suffit de basculer dans le mode « Performance » privilégiant le thermique ou en « Qualify » priorisant les performances, d’évoluer à hauts régimes et de freiner fort pour voir la jauge verdir. Alors autant ne pas se gêner ! Attention toutefois, seul le mode Qualify permet d’accéder aux 900 Nm et 830 ch. Le Performance retire 30 ch et 7 mkg, ce qui suffit amplement à se satelliser.
À lui seul, le nouveau V6 biturbo culmine à 663 ch et attire toute l’attention. Logique, il s’agit du premier six cylindres homologué route arborant le Cheval Cabré. Ferrari utilise ce type de motorisation en compétition depuis 1957 (Dino 156) et l’a associé depuis 2014 à la propulsion électrique sur les Formule 1 (1,6 litre turbo hybride). Mais le constructeur n’a pas assumé ses Dino (206 et 246 GT), dont le V6 éponyme était partagé avec Fiat, puis Lancia. Par rapport au V8 biturbo, le V6 3 litres permet de gagner 30 kg, d’abaisser le centre de gravité de 10 mm et de pulvériser le rendement avec 221 ch/l ! Pour en arriver là, les ingénieurs ont totalement revu leur approche pour cette architecture. Ils optent pour une ouverture à 120° (vue en F1 dans les années 60), greffent les deux turbos (IHI, 2 bars maxi !) au centre du V et placent donc l’admission à côté des culasses (toujours recouvertes de rouge). L’alésage et la course des cylindres sont hérités de la SF90, mais l’entraxe diffère (108 mm) et la pression d’injection directe peut atteindre 350 bars. La distribution est assurée par chaînes et poussoirs hydrauliques.
Les turbos étant au centre, le cache argenté sur le dessus du moteur chapeaute donc le collecteur d’échappement en Inconel. Le flux gazeux s’extrait de la partie haute du moteur et file vers la sortie arrière via deux conduits incluant des catalyseurs et des filtres à particules. L’échappement se réunit à l’arrière, juste avant la sortie, se passe de silencieux, comme sur les Roma, Portofino M et SF90, et est régulé par des clapets actifs. Pour intensifier la bande-son à bord, Ferrari opte pour un résonateur à l’admission (hot pipe) amplifiant le son dans l’habitable. Quitte à se répéter, l’expression « usine à gaz » n’a rien d’exagéré.
La berlinette décolle et anéantit tous ses ennemis sur son passage, notamment la McLaren Artura distancée d’une seconde au 0 à 200 km/h
Les fluctuations thermique/électrique s’exécutent en douceur, via le coupleur Transition Manager Actuator (embrayage à trois disques). Le réveil du V6 est agréable et son intensité digne d’un V8 suralimenté à froid. Son caractère est lissé sur toute la plage d’utilisation et la fée électricité compense le temps de réponse du turbo sous les 4 000 tours, puis sévit de nouveau à haut régime. « Lisse » n’est ici pas synonyme d’ennui mais plutôt d’absence de temps mort. La 296 GTB catapulte dès les bas régimes et vous assomme jusqu’au rupteur, sans vous laisser respirer.
0 à 200 km/h en 7”3
L’intensité grimpe d’un cran à partir de 4 000 tr/min, quand les turbos se déchaînent, puis d’un second au-delà de 6 000 tr/min, alors que le V6 s’éclaircit la voix. Les notes métalliques aiguës déboulent à ce moment, gratifiantes et singulières, ravissant les tympans et évoquant le V12 maison à mi-régime… Tout en restant moins stridentes et cristallines dans les tours. Le souffle des turbos est audible, comme le chuintement des soupapes de décharge au levé de pied. La sonorité longuement peaufinée fait mouche et surprend de la part d’un petit V6, mais ne submerge jamais les canaux auditifs. Oui, Ferrari a réussi cette mission périlleuse haut la main, en innovant par le timbre et en déprimant la concurrence par les performances.
Mieux vaut d’ailleurs ne pas jeter un œil au tachymètre… La force des accélérations et la constance au-delà de 250 km/h sont dignes d’une féroce sprinteuse, telle la McLaren 765LT. Le launch control est phénoménal. Il suffit de basculer en CT Off, Qualify (avec les batteries chargées), Manuel, puis de presser « L » sur la commande centrale, singeant les grilles métalliques de la grande époque. Le régime se cale à 3 000 tr/min et après une légère hésitation, la berlinette décolle et anéantit tous ses ennemis sur son passage, notamment la McLaren Artura distancée d’une seconde au 0 à 200 km/h.
Alors qu’elle est annoncée à près de 1 600 kg avec les pleins, soit 140 kg de plus que la F8, la 296 GTB claquerait le même 0 à 100 km/h que son aînée (2’’9) et lui collerait 0’’5 sur le 0 à 200 km/h (7″3). Malgré la puissance astronomique, la vitesse maxi régresse de 10 km/h pour s’établir à 330 km/h, en raison de l’appui aéro. Quant au temps au tour à Fiorano, il gagne 1’’5 par rapport à l’aînée de 720 ch : 1’21’’0 contre 1’22’’5. Ferrari précise avoir réalisé ce chrono avec le pack Assetto Fiorano, ainsi que les pneus Cup 2R et toutes les options d’allègement.
Grip dément
Pour la première fois dans l’histoire des lancements presse de la marque, les essais ne se déroulent pas à Maranello mais en Espagne, hiver oblige : sur les routes andalouses et sur le circuit de Monteblanco pour l’Assetto Fiorano (voir encadré). Le premier élément estomaquant réside dans la facilité de conduire. C’était déjà le cas à bord de la F8, mais la prise en mains et l’aisance à évoluer à des vitesses effroyables franchissent encore un cap. On ne ressent ni la masse élevée ni la folle puissance à la réaccélération. Le train avant se place vaillamment, sans nervosité, en écartant un maximum le sous-virage. Il ne possède pas le mordant d’une Pista, ni d’une 765LT. La caisse remue et les réglages de suspension restent soft, même en Race. L’arrière suit gentiment (à moins d’en rajouter) en repoussant les aides. Sur le sec, le grip des Michelin Pilot Sport 4S « K » dédiés (il existe aussi des Pirelli en première monte) laisse sans voix. L’antipatinage est peu sollicité, ce qui relève d’un exploit à ce niveau. Entrevoir les limites d’adhérence sur route ouverte relève de la gageure, tant les vitesses de passage en courbe et le grip sont déments.
La boîte 8 à double embrayage (celle des SF90 et Roma) agit de manière télépathique, sans temps mort. Les changements s’opèrent via de grandes palettes solidaires de la colonne, en ajoutant des à-coups dès le mode Sport pour accroître les sensations. Les freins carbone/céramique, eux, sont heureusement à la hauteur. Ils reprennent le fonctionnement by wire (sans liaison mécanique) de la SF90 et l’ABS « evo » permet de relever le niveau d’attaque en mode Race. Le contact de la pédale peut dérouter en « Wet » par son côté on/off, mais il retrouve de la progressivité dès le « Normal » et met en confiance. Le progrès le plus notoire vient de la constance de la pédale, qui n’a plus tendance à durcir et à réclamer une force exponentielle.
Le seul élément perturbant concerne la direction, trop légère et ne renvoyant pas assez d’informations concernant le grip. Ajoutez à cela une bonne insonorisation et vous comprendrez que le conducteur manque de signaux pour entrevoir sa vitesse d’évolution et le niveau d’adhérence. Les lignes droites n’existent plus, les virages ne sont qu’une ponctuation, tout est si facile. Peut-être trop facile…
Alors, comment Ferrari peut-il faire évoluer encore son concept de berlinette ? La surenchère de puissance semble chimérique et inutile. Il n’y a guère que la voie de l’allègement, avec les progrès des batteries, et une meilleure connexion à la réalité qui paraissent envisageables. Une chose est sûre : Ferrari met une claque à la concurrence, bouleverse et redéfinit les dogmes du segment des supersportives.
Pack Assetto Fiorano
Comme sur la SF90, Ferrari propose un pack visant à radicaliser la 296 GTB. Facturé 32 400 euros, il revoit dans un premier temps la suspension, en troquant les amortisseurs actifs contre des passifs Multimatic issus de la compétition, couplés à des ressorts en titane. Le relevage du train avant, très pratique, devient au passage indisponible. Le pack rajoute ensuite un peu d’appui aéro (+ 10 kg), grâce à une lame avant en carbone. Puis il concocte un petit régime (15 kg), en utilisant également le carbone pour des éléments intérieurs (dont les contreportes). Enfin, il permet d’accéder à des options exclusives, comme une peinture contrastée inspirée par celle des 250 LM, un capot moteur en lexan (-15 kg) et les fameux Michelin Pilot Sport Cup 2 sur mesure « K2 », aux vertus proches de slicks et homologués sur route. C’est dans cette configuration toutes options « clubsport » que nous avons testé l’Assetto Fiorano sur le circuit de Monteblanco. La suspension radicalisée sacrifie le confort au profit d’une efficacité redoutable, qui limite les mouvements de caisse, donne du mordant au train avant et du grip à la réaccélération. La précision croît, comme les vitesses de passage et la stabilité. Le feeling de direction reste un brin léger. Mais la 296 GTB devient une chasseuse de chronos et une arme redoutable pour le trackday.