Au vu des moyens déployés par Ferrari pour nous présenter et défendre la richesse du pack Assetto Fiorano, je me demande s’il était judicieux de le vendre comme une simple option, aussi onéreuse soit-elle. Viendrait-il à l’esprit de Porsche de proposer un vulgaire pack RS sur la 911 GT3 ? Ce parallèle vous semble absurde ? Attendez de découvrir les trésors techniques que recèle la SF90 des pistards sous sa robe discrète. Mettons de côté la peinture bicolore Racing, celle-ci étant réservée aux acheteurs du pack, mais non comprise dans ce dernier (option à 25 000 € !).
Ne reste que le spoiler arrière en carbone d’une poignée de centimètres de haut pour savoir que l’on se trouve face à une version Assetto Fiorano. La seule partie émergée d’un iceberg d’ingénierie dont nous sommes venus sonder la profondeur sur la piste d’essai maison. Au programme : deux sessions de roulage entrecoupées de tables rondes avec des hommes clés du projet.
Trésors d’aérodynamique
La présentation débute dans un petit salon vitré éphémère, aménagé à vingt mètres du circuit. Nous y retrouvons Marc Poulain. C’est naturellement un crayon à la main que le jeune designer français nous décrit le remodelage du fameux spoiler dont l’apport, d’un point de vue déjà purement esthétique, n’est pas négligeable. Sa courbure fait écho à celle du bouclier arrière, rendant ainsi le dessin de la poupe plus harmonieux et racé. La forme compte encore chez Ferrari, mais moins que la fonction lorsqu’il s’agit de plaquer efficacement au sol un monstre de 1 000 ch. Comme sur la SF90 Stradale « ordinaire », nous retrouvons une partie mobile à la base du spoiler. Celle-ci, rappelons-le, s’abaisse lorsque c’est nécessaire pour bloquer le flux d’air et générer de l’appui en créant ce que l’on appelle un « volet de Gurney ».
Cette pièce maîtresse, elle aussi en carbone, a dû être repensée au niveau de sa partie inférieure. Les pressions exercées par l’air sous et sur elle durant son trajet doivent en effet s’équilibrer. L’objectif ? Ne pas avoir recours à un puissant et lourd circuit hydraulique pour actionner le dispositif et se contenter d’un petit moteur électrique. Le pack Assetto Fiorano a ainsi nécessité, dans ce seul domaine, des centaines d’heures de modélisation et de mise au point. À la clé, une augmentation substantielle des appuis aérodynamiques déjà remarquablement élevés sur le modèle d’origine. Ferrari annonce 390 kg non plus à 300 km/h, mais à 250. À vitesse égale, l’écart serait de l’ordre de 25 %, tout cela sans avoir recours aux ostentatoires appendices que l’on voit fleurir chez la concurrence. Les esprits les plus tatillons s’étonneront qu’aucune modification n’ait été apportée à l’avant de la voiture afin d’équilibrer la charge aérodynamique. « Inutile ! », répond fièrement un ingénieur, avant d’ajouter : « La déviation du flux d’air par le spoiler améliore le fonctionnement du fond plat et ses générateurs de Vortex, donc la déportance, y compris à l’avant ». La centaine de kilos d’appuis supplémentaires est ainsi parfaitement répartie entre chaque essieu. Fascinant !
30 kg en moins
Si la SF90 « AF » est plus lourde à haute vitesse, elle est en revanche plus légère à l’arrêt. De peu, certes, mais lorsqu’on doit supporter 118 kg d’embonpoint liés à l’hybridation, chaque kilo est bon à perdre. Ferrari utilise pour cela du carbone, et pas uniquement pour le spoiler. Dans le cockpit, le noble matériau habille notamment l’intérieur des portes et le tunnel central. Il ne s’agit pas d’options du catalogue standard incluses dans le pack mais de pièces exclusives dont seuls les clients « Assetto Fiorano » peuvent bénéficier. Nuance. Même chose en ce qui concerne l’échappement « titane ». Celui-ci ne se limite pas aux sorties, comme c’est le cas de l’option proposée sur la SF90 standard, mais comprend la ligne entière jusqu’au collecteur demeurant, lui, en Inconel. Une option permet d’économiser 10 kg supplémentaires en supprimant le système audio et la clim. Très rares seraient les extrémistes à aller aussi loin. Sans cela, le pack offre un allégement de 30 kg environ, dont 8 proviennent uniquement de la suspension ! Et pour cause, Ferrari a eu l’audace d’opter pour des amortisseurs passifs en aluminium issus de la compétition. Leur fournisseur se nomme Multimatic. Ce nom ne vous dit peut-être rien mais sachez que la société canadienne équipe plusieurs teams de F1 et des GT de course comme la 488 GT3…
S’il en est qui doutaient encore de la sincérité des hommes en rouge, voilà un parti pris technique qui remet l’église au milieu du village ! En faisant l’impasse sur la suspension pilotée « magnétique », le constructeur ne sombre pas dans la facilité et privilégie le poids et la performance au détriment de la polyvalence. Le lift, notamment, n’est ainsi plus disponible. Nous n’avons pu essayer la voiture sur la route, mais Fabrizio Toschi se veut rassurant quant aux réglages retenus. Le pilote metteur au point insiste sur le fait qu’une Ferrari, aussi radicale soit-elle, doit rester parfaitement exploitable hors des circuits. Sachant que près d’une SF90 Stradale vendue sur deux dans le monde est une Assetto Fiorano, c’est en effet souhaitable. Les pistards les plus pointus pourront regretter, en revanche, que les amortisseurs et les ressorts (en titane) ne soient pas réglables. Du côté de Maranello, la maîtrise n’est pas un vain mot, et risquer de voir des clients faire tout et n’importe quoi avec une supercar de 1 000 ch n’est pas le genre de la maison.
Si la SF90 Assetto Fiorano est plus lourde à haute vitesse, elle est en revanche plus légère à l’arrêt
A la limite à Fiorano
À chaque essai d’un nouveau modèle sur ses terres, Ferrari nous offre l’immense privilège d’en explorer les limites sur sa piste légendaire. Et lorsqu’il s’agit de se familiariser avec un pack portant le nom du circuit, nous n’avons plus seulement droit à une poignée de tours, mais à deux sessions musclées avec deux montes pneumatiques différentes et l’analyse des acquisitions de données en fin de journée.
Le matin, la voiture est équipée de Michelin Pilot Sport Cup 2, des semi-slicks proposés par défaut avec le pack Assetto Fiorano.
La SF90 Stradale essayée ici même un an plus tôt était pareillement chaussée, mais plus rock’n’roll ! Je garde le souvenir ému d’un comportement généreux, d’une puissance colossale passant au sol, certes, mais au prix d’une gestuelle ample et rapide au volant.
La piste bouillante, ce jour-là, n’était pas étrangère au phénomène, mais Fabrizio me confirme que le pack rend la voiture « plus calme dans le rapide et plus réactive dans les enchaînements ». C’est dans son aspi que je découvre à marche forcée les bienfaits des amortisseurs de course, du gain de poids sur les masses non suspendues et des appuis accrus. Le rythme imposé par le metteur au point oblige à tutoyer des limites que je ne serais pas allé chercher seul, tout du moins pas dès le deuxième tour.
Se dévoile alors une SF90 Stradale plus précise et sensuelle. La direction toujours légère paraît plus bavarde, la pléthore de carbone transmet davantage de bonnes vibrations dans le cockpit et la poupe se tient miraculeusement à carreau. Les mouvements de caisse sont mieux maîtrisés et le châssis, globalement, se montre encore plus prévenant et rigoureux. Reste un soupçon de sous-virage dans les virages rapides et de belles virgules en sortie d’épingle lorsque l’on oublie qu’une puissance cumulée à quatre chiffres rue sur les pattes arrière. Même s’ils font de la supercar hybride une intégrale, voire une traction en mode eDrive, les deux moteurs électriques greffés sur l’essieu avant n’ôtent rien du fardeau supporté par le postérieur. Rappelons que celui-ci doit transmettre le fruit du mariage entre un V8 4,0 litres biturbo de 780 ch et un troisième moteur électrique glissé entre le bloc et la boîte 8 à double embrayage. Notez que la batterie se rechargeant au freinage, le boost électrique n’est pas limité à un petit nombre de tours.
Expérience surnaturelle
Le pack Assetto Fiorano ne rajoute pas un cheval de plus, et c’est très bien ainsi… Le savoir-faire sans égal des ingénieurs de Ferrari en matière d’électronique au service du pilotage suffit tout juste sur piste à garder la maîtrise ô combien jouissive d’une telle catapulte. Dans ce domaine, l’effet Torque Vectoring procuré par les moteurs avant fait des miracles lorsqu’il s’agit d’entrer dans le virage tandis que le différentiel arrière piloté intervient avec autant de finesse que d’à-propos au moment d’en sortir. L’expérience est surnaturelle, aussi frissonnante qu’éblouissante, mais Ferrari propose d’aller encore loin. Il est nécessaire pour cela de s’offrir un jeu de Michelin Cup 2 R. Nous avions découvert ces pneus en option sur la 488 Pista. Le niveau de grip se rapproche furieusement de celui d’un slick et c’est ainsi, nous dit-on, que la SF90 Stradale Assetto Fiorano donne le meilleur d’elle-même. Rendez-vous est pris en début d’après-midi. Après une assiette de pasta au Montana où nous croisons Charles et Carlos, l’heure est venue de monter encore d’un cran en intensité. Est-ce vraiment possible ?
Fabrizio l’assure et me défie (sérieusement) de le suivre. Lui dispose de Cup 2 usés, moi de Cup 2 R neufs. Pas suffisant, soyons honnêtes, pour combler le gouffre qui nous sépare en matière de pilotage et de connaissance de la piste, mais bien assez pour mettre en exergue l’excellence des pneus homologués pour la route les plus efficaces qui soient. Le fusible n’est plus entre la voiture et le bitume, mais derrière le volant. La maîtrise des 1 000 ch est à présent totale, le châssis définitivement soumis aux ordres du pilote qui doit lutter pour garder la tête froide.
Ne pas devenir spectateur de ce chef-d’œuvre de science-fiction réclame de grands efforts de concentration et une bonne condition physique. La poussée (0 à 200 km/h en 6”7) est accentuée par le grip phénoménal des Michelin en sortie de virage, de même que les g latéraux et le pouvoir de décélération parfaitement proportionnels à la puissance de l’engin. L’agilité et l’équilibre du châssis masquent une grande partie du poids élevé de la bête, mais les 1 570 kg à sec dans la configuration la plus légère (environ 1 800 kg en ordre de marche) finissent par me rappeler gentiment mais fermement à l’ordre.
2”5 plus rapide que la Pista
La boîte à double embrayage, parfaite, tombe les rapports en rafale avant la dernière épingle du circuit. Le nez de la SF90 vient dévorer le vibreur avant un dernier shoot d’adrénaline. La séance est terminée. Ferrari annonce un temps au tour de 1’19’’, soit un gain de 0’’5 grâce au pack (à pneu égal) et 2’’5 de mieux que la Pista ! Le tour de refroidissement est plus utile au pilote qu’à la voiture. La SF90 Stradale tutoie des limites qu’il était utopique de seulement envisager. La version Assetto Fiorano les dépasse, rendant la rallonge de 49 200 euros tout à fait raisonnable au regard de la noblesse des pièces utilisées et du développement réalisé. De bon augure pour la 296 GTB dont le même pack magique est inscrit au catalogue.