Avouez que l’affiche aurait été belle face au tandem GT3 RS / Huracan Tecnica ! Malheureusement, Chevrolet Europe ne voulait pas d’un comparatif, tout du moins pas encore. Pour cette première tournée européenne, pas question de se faire voler la vedette par une insolente 911 surmédiatisée. L’essai s’apparente donc à un lancement presse ordinaire, les chronos sur nos bases de référence en plus. Ce cher Patrick Herrmann (responsable de la communication technique de la marque en Europe) juge bon de préciser que la Z06 ne concurrence pas la GT3 RS mais la GT3 tout court. Ben voyons. Si on parle du tarif, l’argument est valable. À l’heure où j’écris ces lignes, le prix de la voiture en Europe n’est pas connu mais devrait avoisiner 150 000 € (modèle de base) et 200 000 € dans la configuration extrême présentée ici, comprenant notamment le fameux pack Z07. Rappelons qu’une GT3 est affichée à plus de 196 000 € hors options… Pour le reste, si même l’homme connaissant le mieux les Corvette sur le vieux continent joue les (faux) modestes, où va-t-on ?
Soyons sérieux, un simple coup d’œil à la fiche technique suffit pour comprendre que Chevrolet vise les sommets, la Lune même à en croire le nom de code du projet : Gemini, en référence au programme spatial de la NASA dans les années 60. 679 ch, 8600 tr/mn, Michelin Cup 2 R, plus de 300 kilos d’appuis et 1,22 g latéral : le CV fait mal. Presque autant que d’apprendre le jour de notre essai qu’en Europe, nous ne disposerons “que” de 645 chet d’un couple maxi amputé de 5 %… La faute, comme pour la Stingray, à la réglementation européenne qui impose des filtres à particules. Voilà qui nous prive au passage des spectaculaires sorties d’échappement centrales de la version originale et d’une sonorité que les ingénieurs ont eu deux ans pour peaufiner grâce à la parenthèse COVID. Damned !
La révolution
Inauguré par la C8.R de course, le moteur baptisé LT6 a nécessité quant à lui sept ans de développement. Il n’a rien en commun ni avec le LT2 de la Stingray, ni avec aucun prédécesseur, hormis l’espacement de 4,4 pouces entre chaque cylindre, valeur historique des small blocks Chevrolet. Il est associé à la boîte à double embrayage à huit rapports de la Stingray à la gestion revue et au pont raccourci de 7 %. Ce bloc est techniquement aussi révolutionnaire pour la Corvette que le passage de la C8 à une architecture à moteur central arrière. Rendez-vous compte, la culasse n’est plus à 2 mais 4 soupapes par cylindre, actionnées par quatre arbres à cames à calage variable en continu ! Le vilebrequin, lui, est dit “plat”. Entendez par là que ses manetons sont disposés sur un même plan (à 180°) et que les pistons de chaque rangée montent et descendent par paires, comme chez Ferrari ou McLaren, entre autres. Pistons et bielles sont respectivement en alu et titane forgé, les soupapes d’admission sont aussi en titane, celles d’échappement en sodium, le carter est « sec » et l’apport en air aussi soigné que généreux. La position centrale arrière de la mécanique a libéré un espace suffisant pour coiffer l’ensemble de deux imposants plénums d’admission (5,5 litres chacun). Ces derniers cachent autant de trompettes (de la mort) que de cylindres et deux gros papillons de 87 mm de diamètre ! Résultat : 118 chevaux par litre dans la configuration européenne bridée, soit onze de plus que la précédente Z06 et son gros LT4 (6,2 litres) suralimenté. C’est dire le pas de géant réalisé par les motoristes en seulement une génération !
Le record en matière de rendement appartient toujours à la Ferrari 458 Speciale (135 ch/litre) mais la cylindrée de l’Italienne se limitait à 4,5 litres. Les 5463 cm3 du LT6 Chevrolet lui permettent en revanche de décrocher le titre de V8 atmosphérique le plus puissant greffé dans une voiture de série, depuis toujours et peut-être à jamais. Qui l’eut cru ?
Pas si bestiale
Nous avons rendez-vous avec l’histoire sur le parking de la station Avia de Magny-Cours. La Vette y prend de la place. Le jaune « Accelerate » vraisemblablement emprunté au nuancier Stabilo et les proportions de l’engin ne passent pas inaperçu. Donnée pour 2,02 m de bord à bord, la Z06 est 9 cm plus large qu’une Stingray, elle-même 3 cm plus large que la monstrueuse 992 GT3 RS… L’Américaine est par ailleurs plus longue que la moyenne du segment (4,72 m), surtout avec le splitter en carbone du pack aéro dont l’intégrité est assurée par un lift en option et une caméra lors des manœuvres. Ouf ! Question carrure, il n’y a guère que la Lamborghini Aventador pour rivaliser. Compris dans le pack Z07 (ou plutôt imposé en sus), un bel aileron fixe surplombe la poupe. Chevrolet annonce 333 kilos d’appuis aéro à 300 km/h contre 182 pour la Stingray. C’est du niveau d’une 992 GT3 mais loin de la RS et ses 860 kg à 285 km/h ! Les jantes optionnelles en carbone (21” à l’arrière) cachent des freins carbone-céramique et chaussent des Michelin Pilot Sport Cup 2 R ZP (runflat) en 345 de large. Comme dirait le père de la Véga Missyl “ ça ne laisse pas indifférent”.
Patrick me tend la clé, tristement banale. La portière épaisse et sculptée s’ouvre sur un cockpit très semblable à celui de la Stingray. Point de dépouillement ni de baquets ultra-radicaux (et light) façon McLaren. Notre voiture d’essai dispose de sièges les plus enveloppants disponibles au catalogue. Ces derniers sont dépourvus de carbone (hormis en déco) mais pas de maintien. Du carbone, on en retrouve sur le volant aplati pour dégager le champ de vision. L’ergonomie reste singulière, voire troublante, mais tout est là, à commencer par une position de conduite remarquable et ce qu’il faut de menus pour une configuration à la carte. Au diable les préliminaires : feu !
Aussi chaleureux soit-il, le réveil du V8 est moins terrifiant qu’espéré. “Terrifiant” n’est, du reste, absolument pas un qualificatif qui sied à ce monstre étonnamment docile sur les fraîches et étroites départementales qui nous mènent à Lurcy-Lévis, première étape du supertest. La direction est légère, voire un peu trop, le moteur souple, la boîte (à double embrayage) douce et la suspension épatante. La Z06 dispose en série de l’amortissement piloté Magnetic Ride 4.0 dont l’étalonnage spécifique reste parfaitement conciliable avec de joyeuses escapades en hors-pistes. La raideur est paramétrable sur trois modes mais jamais criminelle, le débattement de la suspension relativement généreux et la tenue de caisse admirable. C’est d’autant plus surprenant que le châssis entièrement réglable, comme sur la Stingray, adopte ici un setup piste avec une hauteur de caisse réduite de 25 mm. Les clients trouveront tous les détails dans le manuel. La polyvalence supérieure à celle d’une GT3 RS est seulement limitée par le gabarit et les énormes Cup 2 R, plus slicks que semi. Compris dans le pack Z07, les pneus de qualif développés spécifiquement ont une fâcheuse tendance à copier la route et un goût très modéré pour la pluie et les basses températures. La motricité pourtant étonne, même avec les gommes froides. En prenant tout de même soin d’avoir le volant droit, on ne tarde alors pas à gravir à la première occasion les 8600 tours qui mènent à la zone rouge.
A l’italienne
Le Z06 dispose d’un couple maxi aussi haut perché mais supérieur de près de 30 % à celui de la GT3 RS et de 5 % à celui de la Huracan STO. Autant dire que la poussée à bas et moyen régime est déjà savoureuse. Des accents de bon vieux V8 Chevrolet sont encore perceptibles avant que le timbre ne s’éclaircisse nettement au-delà de 6000 tours. On bascule alors dans un nouveau monde aux saveurs plus italiennes qu’américaine. Les huit pistons du bloc super carré (alésage très supérieur à la course) s’emballent sans inertie, la bande-son part dans les aiguës et la Vette s’en va claquer le rupteur avec un panache qu’on ne renierait pas du côté de Maranello. L’expérience est euphorisante mais moins orgasmique qu’à bord d’une Huracán. Les 9000 tr/mn de la GT3 RS sont quant à eux plus sonores et on reste loin du hurlement glaçant produit par l’inoubliable Mustang GT350R, autre américaine à vilebrequin plat géniale mais non homologuée chez nous. J’ai regardé plusieurs vidéos réalisées par nos collègues américains avec la Z06 originale. Force est d’admettre que les FAP gâchent un peu la fête. La bride écologique produit comme un léger voile et efface les ultimes notes de la partition. Elle impacte également les performances avec des kilos en plus et 34 chevaux en moins.
Sur la ligne droite de Lurcy-Lévis, il convient d’abord de chauffer comme il se doit les pneus. Il suffit pour cela de tirer simultanément sur les deux palettes pour attraper le régime maxi avant de lâcher les freins. Le généreux burn de 20 mètres de long met les Cup 2 R à bonne température pour le launch control qui suit. Le régime (paramétrable) se cale autour de 3000 tr/mn. Le violent décollage se solde par un 0 à 100 km/h en 3”1 et un mille mètres bouclé en 20”0. C’est mieux que la GT3 RS (3”2 et 20”4) mais un cran en dessous de la Huracàn Tecnica (3”2 et 19”3). Outre une finesse aéro toute relative, surtout avec le pack Z07, la Z06 est handicapée par sa masse. La balance de W-Autoport est formelle : il n’y a pas plus lourd dans la catégorie ! 1679 kilos tous pleins faits, c’est 184 de plus qu’une GT3 RS, tandis que la svelte McLaren 765LT Spider a été pesée par nos soins à seulement 1455 kilos. Pourquoi un tel poids ? D’une part, la Corvette est une grosse voiture. De l’autre, même si la berlinette américaine repose sur un châssis tout alu, elle fait l’impasse sur le tout carbone et certains raffinements de conception que la concurrence fait payer cher.
On notera tout de même un allègement de 5 kilos par rapport à la C8 Stingray. La Z triche avec des jantes en carbone qui permettent à elles seules une économie de 18,6 kilos ! Celles-ci ont nécessité 5 ans de développement et sont fabriquées par la société australienne Carbon Revolution à qui l’on doit également les roues en carbone des Ferrari 488 Pista et SF90 Assetto Fiorano. L’ingénieur en chef de la Corvette a affirmé sur Twitter que cette option (12 000 dollars aux US) permet à elle seule un gain de 1”5 environ sur un circuit de 2 miles (3,2 km). Sérieusement ? L’allégement des masses non suspendues permet en outre un meilleur travail de la suspension sur le bosselé. Cela participe à l’aisance époustouflante de la Z06 sur les routes sinueuses qui nous ramènent à Magny-Cours.
En conduite paisible, elle semble avoir conservé des vestiges de la (fausse) nonchalance, ou si vous préférez de la force tranquille typique des Corvette, un trait de caractère qui impose de hausser le rythme pour goûter à un corps à corps digne de ce nom. Quand bien même, la GT3 RS ou la Huracan Tecnica demeurent naturellement plus communicatives et enjouées. Une pose photo donne l’occasion d’enlever le haut. Le toit se retire et se clipse dans le coffre, derrière le moteur, en quelques secondes. Les remous sont très supportables aux vitesses pratiquées sur le réseau secondaire et la conduite en plein air prend immédiatement un autre relief. Sachez qu’il existe également une “vraie” version cabriolet dont Chevrolet est fier d’expliquer qu’elle n’a besoin ni de renfort ni de réglages spécifiques, tant le châssis de la C8 est rigide.
La gifle !
Arrivée devant le portail de la piste Club, tout le poids de l’histoire s’abat sur les larges épaules de la Corvette. Ici ont triomphé toutes les Z depuis la C6 ZR1, en 2011. Sur le papier, leur héritière ne manque pas d’atouts pour affoler le chrono. Devant la température trop basse (7°C) pour une exploitation optimale des Michelin, les hommes de Chevrolet ont sorti des balles neuves emmitouflées dans des couvertures chauffantes. Deux tours en guise de Warm Up avec le train de pneus froids et en fin de vie placent déjà la voiture au niveau de la Huracàn Tecnica (autour de 1’17) ! Après un arrêt au stand, je repars avec les pneus de qualif. Le grip est aussi fou que l’équilibre du châssis. Aucune autre voiture à moteur central concurrente ne permet de rentrer aussi fort dans le lent comme dans le rapide, et encore moins avec une telle précision. Le train avant est très incisif mais pas trop, laissant à son homologue arrière, sans le brusquer, le soin d’enrouler avec une efficacité inouïe. Le V8 atmo permet quant à lui un dosage extra-fin de la puissance en plus d’offrir une bande-son frissonnante.
Conditionnée par le grip géant des pneus et l’action du différentiel piloté, la motricité est telle qu’il est possible de libérer l’intégralité des 649 ch incroyablement tôt après les points de corde. Les vitesses de passage dans la plupart des virages sont tout bonnement inédites (pics de 1,4 g en latéral) pour une voiture de route, le freinage est impérial, la boîte irréprochable et le chrono à peine croyable. La Z06 se place seulement trois dixièmes derrière la McLaren Senna et laisse la concurrence KO. 992 GT3 RS, 488 Pista, chaussées des mêmes gommes, pointent respectivement à 7 et 8 dixièmes. La McLaren 765LT est reléguée à 1”2, la Huracan STO à 1”5 ! Petit ombre au tableau, le poids élevé commence à se faire sentir à l’approche des limites et n’améliore pas la longévité des Michelin hors de prix. Comptez au bas mot 2 500 € pour les 4. C’est beaucoup mais rien n’empêche d’opter pour des Pilot Sport 4S pour tous les jours (dotation standard sur la Z06) et s’offrir quelques dizaines de jeux de Cup 2 R, voire des couvertures chauffantes, avec l’économie réalisée à l’achat par rapport à une GT3 RS.