« Quelle idée de les départager ! Il faut avoir les deux… » s’insurge Sébastien Ullmann, qui adore la piste et possède une 911 GT3 RS, après avoir hésité avec une Huracán Performante. Il a raison, ces deux supersportives sont complémentaires et doivent figurer dans le garage idéal. Elles en mettent plein les mirettes par leur panoplie course et leurs appendices démesurés. La “simple” GT3 passe la vitesse supérieure, à coups d’aileron réglable, de museau copieusement aéré et d’éléments en carbone. Le panel de réglages (aéro, suspension), le recours au carbone, le tarif et le confort se rapprochent d’une ex-RS… Alors imaginez ce que va être la 992 RS, testée prochainement !
Quant à Lamborghini, il a pour objectif avec la Super Trofeo Omologata de reproduire les émotions de la course sur la route… Un peu comme McLaren avec la GT4 homologuée 620R. Il ne se focalise pas sur l’allègement comme une Gallardo Superleggera et veut vous marquer au fer rouge. Mission réussie, cette Huracán affole les sens et se hisse parmi les sportives les plus sensationnelles du marché. Les voies s’élargissent : 20 mm à l’avant et 27 mm à l’arrière. D’où la présence d’ailes hypertrophiées. Le carbone habille les trois-quarts de la carrosserie (sauf portières et toit), ce qui explique en partie le tarif astronomique dépassant ici les 400 000 € avec options, contre moins de 300 000 € pour une EVO bien équipée. Le museau d’un seul tenant, basculant vers l’avant en hommage à la Miura, est percé d’énormes écopes qui cantonnent le coffre à un rangement pour casque (jet, pas intégral). Des manchons à air s’immiscent aussi à l’avant pour refroidir les freins, comme en course. Également dignes du FIA GT3, les écopes sur les ailes avant diminuent les turbulences au niveau des passages de roues. La prise d’air cheminée s’occupe uniquement de refroidir le compartiment moteur à persiennes, qui rend lui aussi hommage à la Miura et condamne la rétrovision centrale. Comme le capot moteur, il s’ouvre avec délicatesse et patience, à l’aide d’une clé en carbone, disons fragile. Le flux aéro se divise ensuite sur l’aileron requin puis cogne contre l’aileron réglable (3 positions, comme la 911) pour créer un maximum d’appui (Alto) ou le traverser en augmentant la taille de la fente supérieure (Basso). Enfin, la vue arrière vous achève par son côté Mad Max, brut de décoffrage et intimidant : extrême largeur, découpes, absence de caches et de grilles de protection, vue imprenable sur les deux sorties d’échappement centrales en titane permettant de voir le cœur du volcan en fusion… Même avant de démarrer, ces deux-là attisent les foules, dégagent un charisme digne de la compétition et ont tout d’œuvres d’art. Sauf qu’elles sont faites pour être essorées et non admirées tels des joyaux de l’ancien temps.
Monuments mécaniques
Suite au premier essai de la 911 GT3, on se dit que l’on a dégoté le Graal mécanique. Le flat-6 atmo hurle toujours autant, malgré les filtres à particules. Il revendique fièrement 510 ch et une délicieuse double personnalité qui se dévoile à 5 000 tr/mn et part en vrille à 7 000 tr/mn en vous emportant jusqu’à 9 000 tr/mn dans un torrent d’adrénaline. Les râles typiques répondent présent à bas régime. Le duo admission/échappement actif fait frémir les tympans dans les tours. Un tel show enivre et justifie à lui seul l’achat de cette perle atmosphérique.
Oui, mais voilà, il ne faut pas tester une STO dans la foulée. Le flat-6 paraît presque pondéré à côté du V10 atmosphérique… orgasmique ! La configuration est identique à celle des Performante et EVO, au calibrage près de la réponse à l’accélérateur et de l’ouverture des clapets d’échappement. Lambo’ évoque aussi une amélioration du son à haut régime et précise qu’il se passe de filtre à particules. Un miracle, lié au faible volume de production. Précisons d’ailleurs que, comme pour la GT3, il n’est pas limité. Le 5,2 litres bi-injection démarre toujours en fanfare et vous fait apprécier le Stop&Start, désactivable comme la moitié des cylindres à faible charge. Ne rigolez pas, il devient possible d’aligner 500 km avec un plein et de descendre sous les 15 l/100 km. Bon, en toute franchise, il est très difficile de résister à l’appel du V10, l’une des mécaniques les plus vibrantes au monde. Il surprend d’abord par sa force incroyable dès 2 000 tr/mn qui lui permet d’aligner d’excellentes reprises : 3’’3 de 80 à 150 km/h ! Puis il sidère par sa manière furtive de gravir les échelons. Le V10 change de ton à 4 000 tr/mn avant de lâcher les rênes à 5 500 tr/mn et de vous envoyer au quasi 9e ciel (8 700 tr/mn) avec une telle rage que le rupteur saute au visage. Très course, la tonalité rauque et hargneuse se calque sur celle des EVO et Performante, mais l’intensité et le volume grimpent d’un cran : réduction des insonorisants, résonance émanant des éléments en carbone… L’osmose et le feeling très brut plongent bien dans l’univers de la compétition et hérissent l’épiderme.
Supersoniques
Mieux vaut respirer profondément avant de déclencher un départ canon (Thrust mode) : mode Trofeo, ESC Off, freins et gaz. Le régime de départ oscille autour 4 000 tr/mn et le compteur approche les 300 km/h en fin de mesure. Avec de la colle aux pattes, alias les Bridgestone Potenza Race optionnels (3 000 €), le coupé à moteur central expédie le 0 à 100 km/h en 3’’0 et file à la borne kilométrique en 19’’4… Oui, ce temps est inférieur à celui de la Performante (19’’2) et quasi au niveau de l’EVO (19’’5). Or vous oubliez deux détails. Il s’agit d’une propulsion et qui plus est copieusement chargée en aéro. La mesure est ici réalisée en “Alto” (haut), accentuant l’appui. Lamborghini annonce 420 kg à 280 km/h, contre 324 kg en position “Basso” (bas). Cela représente un bond de 53 % par rapport à la Performante. La GT3 ne va pas si loin, malgré son copieux aileron col-de-cygne et le déploiement manuel de réglettes au niveau du train avant (soubassement) pour équilibrer l’aéro. Porsche revendique 350 kg à 300 km/h, ce qui est déjà un exploit, et précise que ces réglages sont réservés à la piste. Notre modèle d’essai PDK, chaussé en Cup 2 R optionnels et configuré en position appui minimal, laisse sans voix à Lurcy-Lévis. Il décolle à 6 500 tr/mn avec une efficacité dont Porsche a le secret. Bien qu’il totalise 10 000 km et que l’embrayage montre des signes de fatigue, il se contente de 3’’2 de 0 à 100 km/h (3’’4 annoncés en Cup 2) et de 20’’1 au 1 000 m. Sept petits dixièmes le séparent ainsi de la STO au bout d’un kilomètre, malgré un delta de 130 ch. La GT3 profite aussi de son moindre appui pour filer à 320 km/h, contre 310 km/h pour l’Italienne. Lamborghini confie que la vitesse est bridée en raison de la charge aéro. Étonnant, sachant que sans limiteur, la STO a atteint 315 km/h à Ehra-Lessein. Lors des freinages à haute vitesse, elle remue davantage (de l’avant) par rapport à son ennemie du jour. Cela dit, la force de ralentissement est colossale. Elle fait appel à des disques carbone/céramique CCM-R Brembo (déjà vus sur la Senna), au procédé long et coûteux aboutissant à une résistance accrue de 60 %. Le système carbone/céramique optionnel Porsche est pourtant du genre costaud et increvable. Mais la plus radicale des Huracán oblige à revoir ses repères tant elle freine court. Elle se contenterait de 110 m pour s’arrêter depuis 200 km/h ! Cet onéreux dispositif de série est sous double surveillance, au tableau de bord et sur l’écran central : température des disques et du liquide de freins, en faisant varier le code couleur du vert au rouge, comme pour les pneus.
Il reste un élément qui turlupine : le poids. Chez notre partenaire W-Autosport, la balance indique 1 475 kg pour la GT3 PDK, contre 1 435 kg annoncés. Bravo, elle reste sous la barre symbolique de la 1,5 tonne ! La STO n’y parvient pas, à moins de supprimer la hi-fi et l’arceau. Elle chuterait ainsi à 1 485 kg selon Lambo’. Nous avons relevé ici 1 512 kg, soit seulement 13 kg de moins que la Performante, contre 1 635 kg pour l’EVO intégrale. Précisons que notre STO possède un arceau, le lift avant, embarque du carbone à l’extérieur, à l’intérieur, et des jantes en magnésium (SC Pack à 15 000 €, incluant l’arceau et la télémétrie) permettant d’économiser 13 kg par roue. À l’inverse, Lamborghini surprend en conservant le système de roues arrière directrices (maxi 3° contre 2° sur la GT3), inauguré par l’EVO 4WD et disponible sur la propulsion Tecnica. Maurizio Reggiani, l’ex-responsable Recherche et Développement, n’a jamais défendu cet artifice, mais il suffit d’un enchaînement pour comprendre pourquoi il a donné son feu vert.
Connexion totale
La combinaison de ce système et d’une direction ultra-franche (démultiplication fixe) rend les placements très incisifs, sans trop en faire. Le train avant est moins sous-vireur que celui de la Performante et plus mordant que celui de l’EVO. Lamborghini n’a pas touché aux ressorts, mais a rigidifié les barres antiroulis, les rotules, puis a recalibré les amortisseurs pilotés électromagnétiquement (de série). L’efficacité croît, sans nuire à la capacité d’absorption. Les mouvements parasites sont parfaitement canalisés. Il est juste dommage, comme pour les autres versions, de ne pouvoir dissocier la suspension des autres paramètres de conduite. Le débattement reste supérieur à celui de la GT3 et les occupants sont moins secoués sur le bosselé. Cela n’érige pas l’Italienne en déesse du confort. L’insonorisation est moins poussée. Les baquets carbone, moins caricaturaux que ceux de la Performante, fatiguent à la longue contrairement à ceux de la GT3. Quoi qu’il en soit, ces pistardes sont vivantes et maintiennent éveillé sur autoroute : bruits de roulements avec les semi-slicks, ronron mécanique…
Le flat-6 fait frémir les tympans jusqu’à 9 000 tr/mn. Une perle, qui paraît presque pondérée à côté du V10 atmo' orgasmique !
La plus facile à vivre au quotidien reste de loin la GT3, même si la 992 franchit un cap vers la radicalité. Attention, les semi-slicks optionnels Cup 2 R et Potenza Race accentuent le phénomène de guidonnage, cette propension à épouser le relief de la chaussée. La 911 peut vous mener par le bout du nez sur le bosselé et mériterait d’ailleurs un réglage de suspension plus soft, via le spectre offert par les amortisseurs pilotés : PASM Sport rabaissant l’assiette de 20 mm. Rappelons qu’elle va plus loin que la STO en matière de réglages, en permettant d’affiner le carrossage, les barres antiroulis ou le pincement. Elle rigidifie ses ressorts et les accompagne d’auxiliaires (helpers) à l’arrière pour éviter de rompre le contact avec la chaussée. Comme la Cup, elle opte pour des rotules rigides et une double triangulation à l’avant. Cette dernière représente une révolution sur la planète 911, qui facilite les placements. De quoi calmer la concurrence, hormis McLaren, spécialiste du train avant scalpel et d’une connexion très pure à la route. Divine, la direction hydraulique maison est indétrônable, mais celle électrique de nos protagonistes se défend bien. Lamborghini modifie la densité selon les modes et mise sur le tranchant. Une question de goût, mais le feeling Porsche offre plus de naturel et de progressivité. Ces deux ennemies se rejoignent en matière de boîte, tout aussi réactive et obéissante. Lamborghini ajoute un brin de spectacle, en accentuant les à-coups à la montée et les pétarades à la descente en Trofeo. Il se démarque surtout par des rapports plus courts et une vraie boîte 7, bien étagée et qui maintient la mécanique au meilleur de sa forme.
Outils école
La guerre est déclarée sur nos pistes favorites. Tous les coups sont permis. Les pressions sont ajustées, les pneus chauffés comme il se doit. La 911 se démarque rapidement par son grip, divin naturellement et décuplé par les pots de colle Cup 2 R. Elle garde l’avantage aux placements, en se jetant sur la corde et en conférant un sentiment d’invincibilité. Ce train avant encaisse n’importe quelle difficulté avec un sang-froid inédit. Le train arrière pivote, quand celui de la STO se contente d’accompagner et se dévergonde plutôt en sortie. Mais oubliez l’idée de drifter avec de pareils outils ! L’Italienne se rattrape sur les phases intermédiaires et dégaine plus fort en sortie, bien aidée par le répondant du V10 et l’étagement de boîte. Dans tous les cas, ces pistardes réclament de se battre au volant pour en extraire tout leur potentiel, monstrueux et évolutif pour s’amuser sur circuit. De sacrés outils écoles !
Sur le GP, la puissance et l’aéro de la STO la font s’envoler à quasi 2’’0 de la GT3. Oui, elle talonne la Performante (1’47’’52), mais Lambo’ avoue que les Trofeo R sont plus performants que les Potenza Race. Il faut souligner la performance de la GT3, qui devance s’il vous plaît l’icône 991.2 GT3 RS (en Cup 2 R) de quasi une seconde. Sur un tracé technique comme le Club, l’écart se réduit à une demi-seconde et à 0’’3 face à la STO. L’Italienne la distance en ligne droite, mais l’Allemande lui colle au train partout ailleurs et ébahit dans le pif-paf après les stands, abordé 5 km/h plus vite… Au point qu’elle entre quasi aussi fort qu’une 992 Cup ! « Elle se révèle sous la contrainte, comme une voiture de course. On a l’impression d’être en slicks, en Carrera Cup. Elle est très fine et possède le meilleur train avant du monde » confie Nicolas, après avoir réalisé le chrono. Il est également dithyrambique en sortant du baquet Lambo’ : « C’est phénoménal ! L’univers est très course. Il y a une allonge de dingue. On est sur le cm pédale, pas le mm pédale comme une Turbo. Les pneus sont un véritable fusible. Oui, elle est mieux que la Pista en émotion, mais la Ferrari reste plus fun, rapide ». Précisons qu’il a hérité de Cup 2 R ayant déjà servi à Romain sur le GP pour la 911 et qu’il a bénéficié de pneus neufs lors de sa seconde session de chronos sur le Club avec la Huracán, sans pour autant améliorer le temps.
La question soulevée par les pneus rend dingue Sébastien Loeuillet, pistard invétéré : « Ce Bridgestone est soi-disant capable de faire de longs runs… Or au bout d’une vingtaine de tours, l’avant est quasi lisse et les flancs anormalement usés ». Il avoue préférer la GT3, plus gratifiante à piloter à la limite tout en étant hypersaine et facile à mener. D’un côté, le tsunami émotionnel provoqué par la STO fait l’unanimité. De l’autre, la majorité de l’équipe se verrait davantage évoluer sur les trackdays en GT3, qui coûte au passage quasi deux fois moins. D’où le dilemme et la remarque initiale de Sébastien Ullmann : au fond, pourquoi choisir ?