Où et quand ?
Début février, Lamborghini a convié quelques journalistes dans la station de Courchevel en Haute-Savoie pour des essais hivernaux incluant l’Urus S (restylé et 666 ch) et la Huracán Sterrato. Non pas dans le but de glisser sur le circuit de Val Thorens, mais pour profiter de ces nouveautés sur les cols environnants. Le froid est de la partie. Le soleil aussi. La neige recouvre uniquement les massifs au-delà de 1800 m et les routes restent dégagées jusqu’à la station huppée de Courchevel 1 850 où défile le gratin mondial en cette saison. Nous avons opté pour une Sterrato non pas chaussée de pneus hiver mais de gommes quatre saisons standards, alias les Bridgestone Dueler AT002 développés sur mesure et limitant la vitesse maxi à 260 km/h. Ca devrait suffire dans ces conditions !
Le pitch
Lamborghini voulait offrir un intermédiaire entre une supersportive et un SUV, dans le but de faciliter l’utilisation au quotidien. Ainsi est née la Sterrato (« chemin de terre » en italien), avec des voies élargies de 30 et 34 mm, une garde au sol rehaussée de 44 mm et un look baroudeur. Une sorte d’anti-911 Dakar (2 500 exemplaires), plus rare car limitée à 1 499 modèles. Même la STO n’a pas eu droit à une production contingentée ! La Sterraro est extrapolée d’une EVO intégrale dont la puissance est ramenée à 610 ch étant donnée la vitesse maxi limitée et les pertes de rendement générée par l’admission du V10 déplacée sur le toit. Elle perd les roues arrière directrices et le lift system étant donné la hauteur de caisse. Côté châssis, le soubassement est renforcé et la suspension relâche la pression en gagnant du débattement, de la souplesse. Tous les systèmes électroniques sont réajustés et un mode Rally (comme l’Urus Performante) remplace le Corsa pour faciliter le drift. Ce taurillon valseur n’en a pas vraiment besoin !
Premier regard
Le premier coup d’œil donne le sourire. Que l’on aime ou non, cette Sterrato interpelle et semble peu surélevée (+4,4 cm seulement). Même la clientèle exigeante de Courchevel dégaine le téléphone et s’empresse de l’immortaliser. La baroudeuse marque d’abord par ses ailes hypertrophiées, rivetées et noir mat. Le contraste se poursuit sur les jupes, le capot arrière, les boucliers et le toit pour la parer d’une tenue biton inédite… Mais optionnelle : 21 600 € ! Précisons que la teinte bronze « Verde Gea » de lancement reste elle aussi optionnelle (15 000 € !) et que les clients ont pu piocher dans la gigantesque palette maison. L’œil est ensuite attiré par les barres de toit, qui peuvent accueillir des skis et en faire la star des stations hivernales. Il pivote ensuite sur la prise d’air cheminée servant à alimenter le V10, comme en rallye-raid, et le capot moteur supprimant la lunette arrière. Il tombe enfin sur les projecteurs additionnels, s’activant uniquement avec les phares (bouton sur la console) et garnissant la liste des options (2 400 €) uniquement dans certains pays (dont la France). Quant à l’arrière, sombre et grillagé, il se rapproche de l’EVO avec son petit becquet et ses sorties d’échappement centrales (noires en option). Bref, cette Huracán optionnée s’offre un look Mad Max inédit qui délit les langues et écarquillent les yeux.
À bord, on retrouve l’ambiance aéronautique des Huracàn, avec une multitude de basculeurs sur la console et un écran central où l’on peut observer l’angle d’inclinaison de l’assiette ou les pressions/températures des pneus. Les baquets à coque carbone (6 977 €) maintiennent parfaitement et l’habitacle se pare d’Alcantara en option. Le rétroviseur central est conservé, bien qu’il ne serve à rien en raison de la lunette occultée par le capot moteur. Cela permet toutefois ici d’admirer un bout du V10 et l’arceau en titane (4 284 €). Le précieux lift system relevant l’essieu avant pour éviter de frotter partout a disparu en raison de la garde au sol rehaussée. Suffisamment ? Oui, la Huracàn évite les pièges typiquement français, comme les innombrables ralentisseurs plus ou moins légaux.
Le râleur, il dit quoi ?
Il s’agit simplement d’une Huracàn assouplie, au comportement dégradé et très survireuse
Les chiffres (et quelques lettres)
Ce ne sont pas sa priorité ! Pour une fois, la puissance et les performances sont reléguées au second plan chez Lamborghini. Enfin, un sacré second plan… Le V10 s’en tient certes à 610 ch/560 Nm et n’incarne pas la version ultime produite (640 ch). Il se démarque toutefois par son admission périscopique et ses soupapes d’admission en titane héritées de la STO. Une pièce d’orfèvrerie qui surprend d’abord par sa légèreté, sa réactivité à bas régimes. Puis le 5,2 litres s’emporte en ronchonnant, en gardant une tonalité grave et en prenant aux tripes jusqu’à 8 700 tr/mn. Impossible de résister à l’appel du moindre tunnel, où les résonances de l’échappement explosent les tympans. Profitons-en un maximum, avant que ce Graal disparaisse en fin d’année. Pour la 6e fois dans l’histoire de son élection, Motorsport a d’ailleurs hissé le V10 Lambo’/Audi au rang de meilleure mécanique 2023, à l’occasion de la participation de la R8 GT. Ce bloc atmo’ phénoménal est couplé d’office à une boîte double embrayage – rapide et obéissante – et à une transmission intégrale (embrayage piloté) typée propulsion. Entre un poids (1 470 kg à sec) en hausse d’environ 50 kg par rapport à une EVO intégrale et des pneus toutes saisons, les performances régressent… Mais appartiennent bien à la catégorie des supersrpotives : 0 à 100 km/h en 3’’4, 0 à 200 km/h en 9’’8. N’ayez crainte, le paysage se pixelise au moindre appel du pied droit instantanément et l’on joue à saute-moutons-vacanciers-scotchés sans qu’ils n’aient le temps de comprendre ce qu’il se passe. Quant à la vitesse maxi, nous avons déjà évoqué la bride instaurée à 260 km/h à cause des pneus Dunlop toutes saison. Évidemment, la plupart du temps, cela ne génère aucune frustration. En revanche, si l’on en juge la courbe d’accélération de ses soeurs mesurées à Lurcy-Lévis, ce limiteur doit intervenir avant d’atteindre la borne kilométrique lors d’un 1 000 m départ arrêté.
Le truc en plus
Le fun, dans son look et dans sa manière de se déhancher ! Déjà, une Huracán fait l’effet d’une batmobile. Alors imaginez avec un accoutrement atypique… Les propriétaires ont sans doute craqué d’abord pour son look, bien avant de se demander si elle se détache vraiment du reste de la gamme. C’est le cas dès qu’on la bouscule et que l’on sent un popotin très entreprenant… Pour une intégrale !
Le bienheureux, il dit quoi
Il a trouvé le jouet idéal pour aller à la montagne ! Le V10 hurlant associé à un équilibre très survireur a de quoi hérisser l’épiderme sans forcément enfreindre la loi.
Sur la route
Que du bonheur ! Il ne faut toutefois pas s’attendre à une position de conduite relevée ni à une meilleure visibilité. Cette dernière empire d’ailleurs puisqu’il faut faire abstraction de la rétrovision centrale. Le conducteur se retrouve parfaitement calé dans les baquets optionnels et apprécient rapidement le surcroît de douceur offert par l’amortissement piloté en mode Strada. Cette souplesse et ce débattement de suspension accrues se paie lors des placements et se matérialise par un train avant moins vif et précis, y compris en Sport. Au passage, Lamborghini impose la direction à démultiplication variable dont le toucher manque de naturel. Très vite, la relative paraisse de l’avant est compensée par un arrière très mobile… Au point qu’il suffit d’ajouter de l’angle au volant ou de conserver les freins pour déclencher du survirage, à l’image d’une A110 Première Edition ! Sauf que le poids n’est pas le même et qu’il y a un V10 dans le dos. Les réactions n’ont donc pas la progressivité de la plume française, mais restent téléphonées et gérables sur du bitume. La glisse déboule dès le mode Sport repoussant l’intervention du correcteur de trajectoire. Le mode Rally autorise quant à lui un plus gros angle de dérive, toujours sous la surveillance réduite des aides électroniques.
Bref, on virevolte généreusement avec le sourire jusqu’aux oreilles. Mais en adoptant une conduite plus efficace, on souhaiterait parfois que l’arrière soit mieux maintenu pour éviter quelques décrochages impromptus. Sur ce point, la Sterrato va plus loin que la 911 Dakar, qui sait garder son sérieux et réclame plus d’autorité au volant pour swinguer. Dans tous les cas, on peut compter sur les freins qui n’ont jamais fléchi malgré le dénivelé et le rythme. Lamborghini conserve le système carbone/céramique, dont le toucher de pédale n’a pas bougé durant cet essai. C’est sûr, les montagnards fortunés vont adorer le côté exalté de cette Huracán « chemin de terre » !
Sur la piste
Nous aurions adoré glisser en toute légalité sur une piste glacée ou un chemin de terre dans la vallée pour profiter du déhanché de cette intégrale très typée propulsion. L’absence de grip doit la rendre jubilatoire à piloter. En revanche, vous l’aurez compris, elle n’est pas taillée pour le circuit asphalte et réaliserait des temps au tour nettement inférieurs à ceux du reste de la famille. Mais elle assurerait le spectacle !
Le tarif
Il pique les yeux ! Il ne va pas aussi loin que celui de la STO dépassant les 300 000 €, mais s’établit à 264 765 € contre 226 790 € pour la 911 Dakar ou 225 810 € pour feue l’EVO (coupé 4WD de 640 ch). Avec les options, il s’envole ici à 356 153 €, auquel il faut ajouter le supermalus français de 60 000 €. Ce joujou baroudeur réclame donc plus de 400 000 € pour profiter de son humeur taquine. Il faut relativiser, c’est le prix d’une semaine de location du plus gros et luxueux chalet de Courchevel ! Quoi qu’il en soit, tous les exemplaires ont trouvé preneurs depuis longtemps et les commandes pour l’ensemble de la gamme Huracán sont désormais suspendues. La production, elle, se prolonge jusqu’en fin d’année et la future génération devrait adopter un V8 hybride.