Ça fait tout drôle de se trouver à côté d’une B7 S Turbo. Non seulement la calligraphie de son lettrage peint derrière les roues arrière fleure bon le disco et les années 70, mais cette Série 5 endiablée s’imposait en 1981 comme la berline la plus rapide et la plus puissante du monde. À cette époque, Alpina était déjà connu comme une référence absolue de la préparation de BMW de route, au point d’obtenir à partir de 1983 la qualification de « constructeur automobile » auprès du ministère allemand des transports. Il propose ainsi des berlines bien plus puissantes et performantes que celles vendues par BMW. Basée sur la 535i de la génération E12, la B7 S Turbo revendiquait 330 ch là où l’originelle se contentait de 218 ch.
ALPINA B7 S Turbo 1982 (E12) :
- Moteur >> 6 en ligne turbo, 3,5 litres, 330 ch
- Transmission >> propulsion, 5 manuelle
- Poids >> 1 485 kg
- Perfs >> 0 à 100 km/h en 5″9, 260 km/h
- Cote actuelle >> environ 120 000 €
Même la toute première BMW M5, la E28 lancée en 1985, restait moins puissante que cette berline hors normes avec ses 286 ch ! Voilà pourquoi conduire cette vieille légende des autobahns, participant largement au mythe des familiales ultra-sportives allemandes, vous colle quelques papillons dans le ventre même dans des conditions aussi tristes que celles d’un modeste gymkhana sur un parking entre des cônes. Le 6 cylindres en ligne de 3,5 litres pousse encore fort même en se référant aux standards actuels (0 à 100 km/h en 5″9) mais le gigantesque volant sans direction assistée, la commande de boîte manuelle « à l’ancienne » et la brutalité de la réponse moteur vous replongent inévitablement dans une autre époque. L’habillage excentrique et raffiné de l’intérieur donnait aussi le ton. Alpina voulait également séduire une clientèle se focalisant sur la finition et l’artisanat de haut niveau.Au fil des générations de Série 5, Alpina s’est fait rattraper par BMW au registre de la puissance et de la performance pure. Grâce à ses deux turbos, la B10 de 1989 de 360 ch (Série 5 E34) – au punch encore remarquable aujourd’hui – gardait l’ascendant sur la toute première BMW M5.
ALPINA B10 Biturbo 1989 (E34) :
- Moteur >> 6 en ligne biturbo, 3,5 litres, 360 ch
- Transmission >> propulsion, 5 manuelle
- Poids >> 1 695 kg
- Perfs >> 0 à 100 km/h en 5″6, 290 km/h
- Cote actuelle >> environ 95 000 €
Un glissement vers le luxe sportif
La B10 de 1999 (Série 5 E39), en revanche, ne faisait plus que jeu égal avec la première M5 V8 devenue plus puissante. La B5 de 2005 (Série 5 E60) misait à son tour sur la force de la suralimentation pour faire face au fabuleux V10 de la troisième M5. Quant à la B5 de 2010 (Série 5 F10), également prise en main à Zandvoort, elle cohabitait avec une cousine BMW à la fois équipée de la même architecture moteur qu’elle et plus efficace sur circuit.
ALPINA B10 V8 S Touring 2002 (E39) :
- Moteur >> V8, 4,8 litres, 375 ch
- Transmission >> propulsion, 5 auto.
- Poids >> 1 705 kg
- Perfs >> 0 à 100 en 5″6, 273 km/h
- Cote actuelle >> environ 50 000 €
Ces Alpina ont progressivement glissé vers une formule favorisant davantage l’équilibre entre le luxe et le sport que l’efficacité dynamique maximale, laissée aux productions de BMW M. Dans le même temps, ces Alpina soignaient de plus en plus l’assemblage, les matériaux et le confort. Les B8 Gran Coupé et B5 GT modernes qui nous attendent dans la voie des stands du circuit, respectivement basées sur la BMW Série 8 Gran Coupé et la BMW Série 5 de la génération G30 (remplacée par la nouvelle G60), illustrent parfaitement ce changement philosophique : leur V8 biturbo, développant 621 ch dans la première et 634 ch dans la seconde, sont surclassés par les 635 ch de la récente BMW M5 CS qui dispose par ailleurs d’un châssis plus affûté. Mais les productions d’Alpina revendiquent un couple supérieur (800 Nm pour la B8 et même 850 Nm pour la B5 GT) tout en se targuant d’une finition intérieure plus raffinée avec des cuirs absolument superbes et un soin du détail plus proche des standards de Bentley que de celles des marques premium classiques. De là à cataloguer les productions d’Alpina comme d’opulentes berlines de luxe incapables de jouer les ultra-sportives, il y a un cap que nous ne franchirons pas.
Honorables sur circuit
Il suffit de prendre le volant de ces deux modèles sur le très vallonné tracé de Zandvoort pour s’en convaincre. Lors des premiers tours en B8 Gran Coupé, on peste face à la réactivité moyenne de la boîte automatique ZF dans son mode manuel (au point de préférer la laisser en mode Drive Sport). Avec les aides à la conduite, la grosse Allemande se révèle aussi assez figée, les béquilles électroniques empêchant tout mouvement du train arrière à l’inscription et annihilant sa glisse à l’accélération. La poussée en ligne droite impressionne et la sonorité du V8 rappelle celle du moteur de la M5 F30. Une fois familiarisés avec le tracé, on passe à la B5 GT qui bénéficie de réglages châssis légèrement plus sportifs (grâce essentiellement à un support moteur renforcé) en plus d’un moteur marginalement plus performant. Avec les aides à la conduite passées en mode Track puis totalement déconnectées, les sensations de pilotage surclassent celles de la B8. La GT paraît beaucoup plus agile avec un arrière qui pivote plus volontiers au lever de pied et qui peut aussi tourner à l’accélérateur. Ajoutez à cela une boîte au mode manuel plus rapide (calibration différente) et vous obtenez une grosse familiale passionnante à piloter dans ces conditions. Alpina affirme d’ailleurs que la B8 est plutôt réglée pour le marché américain où les clients raffolent du confort, la B5 GT bénéficiant d’une mise au point plus « européenne ». En piste en tout cas, cette dernière surprend par son efficacité, y compris sur le plan du freinage et de son endurance. La monte pneumatique sur mesure signée Pirelli aide le train avant à lutter contre le sous-virage que les dirigeants d’Alpina « détestent », selon leurs propres termes. À ce sujet, Pirelli présent sur place nous a assuré que les PZero montés sur la B5 GT ont plus de grip que ceux montés sur la M5. Les gommes de cette dernière favoriseraient un peu plus les économies d’énergie et la lutte contre la résistance au roulement.
Les dernières Alpina extrêmes
Limitée à 250 exemplaires, seule la B5 Touring GT sera assemblée jusqu’au début de l’année 2024 et toutes les autos prévues ont été vendues. Proposant actuellement une gamme basée sur la Série 3 (D3 S et B3), la Série 4 (B4), l’ancienne Série 5 (B7), la Série 8 (B8), les X3 et X4 (XD3 et XD4) et le gros SUV X7 (XB7), Alpina n’a plus que deux ans à vivre en tant que constructeur automobile. BMW a en effet officialisé son rachat l’année dernière, condamnant l’activité principale de l’enseigne de Buchloe. Voilà pourquoi Alpina ne développera pas d’extrapolations de la nouvelle Série 5 G60 ou de la récente Série 7 G70, ni d’autos électriques. Alors, que va devenir Alpina après 2025 et son passage officiel dans le giron de BMW ? « Il faut poser cette question aux dirigeants de BMW pour le savoir », nous répond Alpina. On sait juste que le constructeur allemand compte bien mettre à profit l’expertise du préparateur en matière de finitions intérieures et de personnalisation, tout comme celle de ses mises au point châssis réputés pour leur compromis entre efficacité et confort. Comme Mercedes avec Maybach, BMW pourrait intégrer Alpina comme une signature d’excellence, dans un département réservé à la personnalisation. Alpina pèse lourd dans l’histoire de la marque à l’hélice, aussi espérons que BMW ne se contente pas de simplement démanteler la société. En 2022, elle a écoulé seulement 2 200 modèles dans le monde. Au fil du temps, ses grands crus ont vieilli comme du bon vin sans chercher à supplanter les productions BMW M sur leur propre terrain. Ce n’est sans doute pas une simple coïncidence, quand on sait qu’Alpina mène une activité de négociant en vin parallèlement à sa firme automobile.
ALPINA B5 GT / Touring GT (G30/G31) :
- Moteur >> V8 biturbo, 4,4 litres, 634 ch
- Transmission >> intégrale, 8 auto.
- Poids >> 2 055 / 2 080 kg
- Perfs >> 0 à 100 km/h en 3″2/3″4, 320 km/h
- Prix >> 148 300 / 151 300 € (250 exemplaires)