À l’entame du troisième tour, les pneus crient leur désespoir. Moi aussi. Le dossier de presse est pourtant clair : « La M5 CS est équipée de série de pneumatiques circuit ultra-sportifs Pirelli P Zero Corsa (…), les réglages du châssis spécifiques tiennent compte de leurs performances accrues ». Dans ce cas, pourquoi des Michelin Pilot Sport 4S entourent les jantes “Gold bronzées” de ce monstre déjà sacré ? Nous parlons de l’évolution ultime d’une légende du sport en famille (lancée en 1984), de la dernière M5 de l’ancien monde, celui sans autre mode de propulsion qu’un noble et bestial moteur thermique. La prochaine génération devrait être bien plus puissante (autour de 750 ch) mais hybride. Ce sera sans doute époustouflant, mais plus vraiment pareil… Produite pendant seulement un an (de mars 2021 à mars 2022), la CS prend ainsi des airs de bouquet final. Dommage que le feu d’artifice auquel nous assistons à Magny-Cours ne soit pas à la hauteur de l’événement…
Pneus importent
Cela ne vous aura pas échappé : plus les années passent, plus la puissance et le poids des sportives croissent et plus les pneus jouent un rôle décisif. Les désillusions liées aux baskets sont légion. Prenez l’exemple récent de notre sportive de l’année 2021, la Lamborghini Huracán STO, dont les Bridgestone annihilent purement et simplement sur piste l’allègement et les progrès réalisés depuis la mémorable Performante. Je pense aussi à la dernière Golf R dont nous n’avons pas vu la couleur des semi-slicks optionnels. Dans le cas de cette M5, le problème est encore différent et plus embarrassant… Les metteurs au point ont pris soin de développer des gommes spécifiques, mais pour des raisons bassement pratiques ou logistiques, la voiture du parc presse français en est privée… Les très respectables Pilot Sport 4S incriminés n’ont rien de vulgaires savonnettes, seulement j’ai la faiblesse de croire que si les hommes avertis de BMW M ont passé des centaines d’heures pour concevoir main dans la main avec Pirelli des P Zero Corsa tout en raffinant châssis et électronique en conséquence, ce n’est pas juste pour la beauté du geste… On ne joue pas impunément avec un ingrédient majeur d’une recette aussi savante !
Que diraient les grands chefs bavarois en voyant leur création sur notre piste de référence, aussi instable au freinage et fragile sur ses gros appuis, au point d’être incapable ne serait-ce que de reproduire le temps de la M5 F90 de base (600 ch) essayée en 2018 ? Rappelons que dans l’intervalle est apparue une version baptisée “Competition” que nous n’avons jamais eu l’occasion de chronométrer. Celle-ci bénéficie, outre une puissance de 625 ch, de supports moteur raffermis de 55 %, de bras arrière montés sur rotules, d’une barre antiroulis postérieure rigidifiée de 10 %, de ressorts spécifiques et d’une hauteur de caisse réduite de 7 mm.
Taycan Turbo S mise à part, jamais une berline de série n'avait accéléré aussi fort
À ce menu, la CS ajoute 10 ch, des réglages de trains peaufinés, des amortisseurs hérités de la M8 Gran Coupé et un allégement de 70 kg. 27 kg sont à mettre à l’actif du seul freinage carbone-céramique (livré en série), les 43 autres provenant de l’emploi de carbone pour de nombreuses pièces (capot, diffuseur, cache moteur) et des superbes baquets qui poussent le bouchon du raffinement jusqu’au tatouage de la Nordschleife sur les appuie-tête. Le dossier de presse parle également d’une suspension rabaissée de 7 mm, mais la fiche technique ne montre qu’un écart de 1 mm. Après enquête, il s’agit bien d’une coquille… Enfin n’oublions pas le plus beau, le plus important, le plus symbolique. Je veux parler des vrais baquets auxquels ont droit les chanceux occupants des places arrière. Idéal pour voir des étoiles dans les yeux des pistards en herbe et les maintenir bien en place quand papa oublie qu’il n’est pas au volant d’une supercar d’égoïste. La déception sur piste ne doit pas, en effet, occulter les qualités dynamiques exceptionnelles de cette M5.
Une plume chez les poids lourds
Pesée à 1 813 kg chez nos amis de W-Autosport, la Bavaroise fait figure de poids plume de la catégorie, comparée à une AMG GT 63 S 4 portes (2 149), une Audi RS6 (2 209) ou pire, une Taycan Turbo S (2 349) ! Cette relative légèreté doublée d’un châssis rigide à souhait et d’une direction hyper incisive confère à la CS des manières de supersportive, d’autant que comparé à la M5 de base, le train arrière se révèle plus actif et la connexion homme-machine moins filtrée.
L’amortissement est ferme à basse vitesse mais parfaitement consistant et solide sur des petites routes au profil gentiment tourmenté, tandis que la transmission intégrale procure une motricité époustouflante… et rassurante compte tenu des performances de l’engin. Taycan Turbo S mise à part, jamais une berline de série n’avait accéléré aussi fort. Son rapport poids/puissance équivalant à celui de l’actuelle 911 GT3 permet à la M5 de pointe d’expédier le 0 à 100 km/h à la vitesse d’une Huracán STO (3”0) et de passer sous la barre ô combien symbolique des 20”0 au 1 000 m départ arrêté. La sonorité du V8 biturbo demeure trop étouffée malgré la présence d’un échappement sport en série, mais sa poussée foudroyante autorise en outre un 140 à 200 km/h en moins de 6’’. Si ça ne vous parle pas, croyez-nous sur parole, c’est peu !
Autant dire que ce n’est pas de puissance que manque notre CS pour claquer un temps à Magny-Cours. Ni de conditions météo idéales. Pour tout vous dire, cet essai remonte au mois de juillet. C’était le matin, le soleil brillait et le thermomètre affichait 23 °C. Un temps à faire des temps… Et dès le tour de chauffe, le monstre de Motorsport impressionne. Comme sur la route, cette berline de 5 m de long dont près de 3 d’empattement fait montre d’une agilité de GT affûtée. L’appétit du train avant n’a rien à envier de prime abord à celui d’une 911 tandis que les 635 ch jouent à merveille leur rôle de catapulte. Les configurations de conduite sont innombrables. Nous optons évidemment pour la plus radicale avec le mode Track (apparu sur la Competition), la transmission 4WD Sport et DSC (ESP) Off.
Potentiel gâché
Le premier contact sur piste est aussi récréatif qu’encourageant, jusqu’à ce que la conduite rapide se transforme en chasse au chrono. La sensibilité agréable du train arrière à l’inscription ou au lever de pied devient alors le plus gros défaut de la CS. Elle empêche de garder tard les freins sous peine de survirer plus que de raison. Le surplus de fun n’est pas désagréable mais au final, on subit plus qu’on ne savoure cette nervosité. De quoi rendre le mode 2 roues motrices encore plus fumant et délicieusement absurde. La M5 de base a tourné ici en 1’22”29 et la référence chez les berlines demeure la lourde mais époustouflante AMG GT 63 S 4 portes en 1’20”49 (avec des semi-slicks). Autant dire que le premier tour rapide bouclé en 1’23”35 plombe l’ambiance.
En faisant preuve de plus de finesse au volant et de dégressivité sur les freins, j’obtiens au tour suivant un 1’22”72, avant que les pneus ne déclarent forfait et fassent retomber le chrono au-delà de 1’23’’. Quelques minutes plus tard, la deuxième tentative sera veine. Non seulement les Michelin équipant la voiture ne sont pas à leur place mais ils affichaient déjà quelques signes d’usure au moment de notre essai. Difficile pour autant d’expliquer une telle contre-performance, hormis par le fait que les réglages très typés de la M5 CS, s’ils ne sont pas exploités par des pneus ad hoc, finissent par devenir contre-productifs. Quel gâchis !
Le pack Experience M faisant partie de la dotation standard, chaque client français aura droit à un stage de pilotage sur notre piste de référence. Espérons pour eux qu’ils disposeront des Pirelli permettant de savourer l’énorme potentiel que nous n’aurons fait, pour notre part, qu’entrevoir.