On ne présente plus le Nürburgring et la Nordschleife : 20,8 km, 73 virages, un relief vertigineux, des sapins aussi grandioses qu’effrayants, et quelle histoire ! Se retrouver ici lorsqu’on a un tant soit peu de passion pour la chose automobile, goûter à la ferveur qui entoure cette légende, c’est le genre d’expérience qui vous date un homme. Une expérience que tout un chacun peut vivre au volant ou au guidon de n’importe quoi ou presque. Le tour de manège coûte 22 euros. Lorsqu’on sait qu’il peut se vendre plus de trois mille tickets en une seule journée, cela donne une petite idée de l’intérêt planétaire suscité par le Ring… La magie du lieu ne doit cependant pas masquer sa dangerosité. On ne se frotte pas à la boucle nord impunément. Comme la plupart des mythes, celui-ci traîne derrière lui son lot de tragédies. Une personne perd la vie ici chaque semaine, essentiellement parmi les motards. Scandaleux, diront les âmes bien-pensantes autophobes qui, si on leur en donnait les clés, fermeraient illico cet enclos hors du temps pour allumés du bocal. Chaque année, des dizaines d’aventuriers disparaissent dans l’Himalaya, victimes de leur passion, de leur quête de rêve et d’adrénaline. Faut-il pour autant en interdire l’accès ?
En terrain hostile
Voyez-vous, la Nordschleife, c’est tout simplement l’Everest du passionné de sport mécanique. Les constructeurs ont depuis longtemps adopté les pentes abruptes de ce sommet ultime du pilotage pour peaufiner le développement de leurs autos et tenter au passage de battre le plus prestigieux record du tour de la planète. Citons Porsche, BMW, Ford, Mercedes, Nissan, Aston Martin, Pagani, Audi… et maintenant Renault. L’arrivée récente de la marque au losange et d’une Mégane un peu spéciale à l’ “Industry pool” ont paraît-il bien fait marrer certains metteurs au point teutons au volant de leurs grosses GT. Au début seulement. « Maintenant, nous avons droit aux saluts les plus amicaux lorsque les 911 GT3 mettent le cligno pour laisser passer la R26.R », nous explique avec un sourire en coin Philippe Mérimée, responsable de la mise au point chez Renault Sport Technologies. Dans d’autres conditions, nous regarderions l’auteur de ces propos avec la tendresse amusée que l’on peut avoir devant l’amour aveugle d’un père pour sa fille. Mais pas là. Notre homme joint les gestes à la parole, en glisse des quatre roues à près de 160 au milieu des sapins et, croyez-moi, on ne manque pas de respect à un artiste du cerceau qui vous baptise de la sorte sur la Nordschleife. Il insiste : « Nous avons sans doute l’une des voitures de série les plus performantes de la planète dans la partie lente du circuit ». Ne riez pas, c’est vrai !
La star du Ring
Ce ne sont pas les gouttes de sueur (froide) qui me font croire à de telles “inepties”, mais simplement un chrono. 8’17”, c’est le temps réalisé sous nos yeux par le metteur au point français Vincent Bayle. Renault explose ainsi le record détenu jusqu’ici par une Opel Astra OPC (8’36) dans la catégorie des tractions. Naturellement, nous sommes encore loin des 7’25 de la Corvette ZR1, la toute nouvelle championne chez les voitures de série. Cela dit, lorsqu’on sait à quel point la puissance parle sur ce tracé ultrarapide, les paroles de ce cher Philippe au sujet de l’efficacité pure de sa petite protégée prennent tout leur sens.
Si la super Mégane ne parvient pas à lutter avec des monstres de 600 ch, elle égale ou surclasse bon nombre de sportives beaucoup plus véloces (voir encadré), parmi lesquelles l’Aston Vanquish (8’17), l’Audi S5 (8’25) ou encore la M3 E46 (8’22), et elle ne concède que treize secondes à l’Audi R8, soit à peine plus d’une demi-seconde au kilomètre… Bien que ces points de repère permettent de se faire une idée assez précise des qualités dynamiques de notre fierté nationale, ils doivent être pris avec un minium de prudence, dans la mesure où tout cela n’a rien d’officiel. Généralement, les temps sont soit fournis par les constructeurs eux-mêmes, soit l’oeuvre du pape de la Nordschleife, j’ai nommé Horst Von Saurma, la star du magazine allemand Sport Auto. Ce quinquagénaire qui ne paye pas de mine a d’ailleurs fait le déplacement (en Aston DBS s’il vous plaît) pour tenter lui aussi sa chance au volant de la Mégane. Toutefois, sa connaissance parfaite du circuit n’a pu compenser sa méconnaissance de l’auto. Un ancien pilote de DTM, paraît-il aussi une pointure du Nürburgring, est également là pour le record. Après avoir visionné la caméra embarquée du tour en 8’17, le géant allemand explique au metteur au point français où il aurait pu gagner du temps. Il parle même avec assurance d’une dizaine de secondes. Après deux essais bien au-delà de 8’20, ce n’est plus tout à fait le même discours. « Y’a trop d’essence, videz le réservoir ! », lance-t-il à son retour dans des stands improvisés devant la Tribune 13. Les hommes de chez Renault Sport se regardent, perplexes, un brin rigolards et surtout pas peu fiers que ce soit l’un des leurs qui conserve le meilleur temps. Allons enfants de la…
Artisanal
Ce 23 juin 2008, la marque au losange a mis les roues dans la cour des grands, et elle le doit essentiellement au champ de liberté laissé à Renault Sport Technologies. Créée en 2000, cette petite entité détachée de la maison mère brille par sa faculté à s’écarter du cadre rigide de la grande série grâce à un bureau d’études spécifique agissant en complémentarité parfaite avec l’usine Alpine de Dieppe. Cette unité de production d’une grande souplesse autorise presque toutes les fantaisies, à l’image de la Clio V6 (la phase II, pas celle de TWR), mais aussi du fameux train avant à pivot indépendant, la botte secrète des Clio et Mégane RS dont le développement et l’industrialisation n’auraient probablement pas été envisageables sans une telle structure. Par chance, ce bel outil a été mis entre les mains de vrais passionnés – le mot est faible – parmi lesquels Jean-Pascal Dauce. Piquousé au sport auto depuis sa plus tendre enfance, le chef de projet Mégane RS possède une Berlinette Alpine et n’aime pas trop qu’on lui parle de diesel (ne le dites pas aux possesseurs de RS DCi). Bref, il a tout pour (nous) plaire et, en discutant avec lui, on comprend mieux les raisons de la carrière exceptionnelle de son auto.
Le souci du détail est permanent. Retouches de la direction, du châssis, du moteur, greffe d’un différentiel autobloquant… autant d’évolutions qui ont fait de la GTI française, lancée en 2004, la référence absolue de sa catégorie. La réussite commerciale a été à la hauteur des efforts déployés. Ce succès quasiment inespéré (près de 20 500 voitures vendues !) a donné des ailes et surtout une idée à la jeune équipe de Jean-Pascal : offrir à la Mégane RS première du nom une sortie en apothéose avant sa disparition, à la fin de l’année. Ainsi est né le projet R26.R. Le but était de faire une sorte de Mégane Cup tournée exclusivement vers la performance et le plaisir de pilotage. Il s’agirait forcément d’une série très limitée, et c’est là que les choses se compliquent. Croyez-le ou pas, même au nom de la passion, Jean-Pascal n’avait pas le droit de présenter à sa direction un business plan déficitaire. Eh oui, les temps sont durs… Amortir de profondes modifications sur une toute petite production relevait donc du casse-tête.
Allègement de 123 kg
Immédiatement, l’augmentation de la puissance, beaucoup trop onéreuse, a été écartée. Les efforts se sont alors portés sur les réglages du châssis mais surtout sur une chasse aux kilos sans pitié. Exit les airbags latéraux et passager (– 7 kg), la climatisation (– 5 kg), l’essuie-glace arrière (– 2 kg), l’autoradio (– 1,4 kg), et même la banquette arrière (– 32 kg), comme sur la Mini GP dont l’esprit n’était d’ailleurs pas très éloigné de celui de la Française. Notez également l’utilisation de polycarbonate pour les vitres de custode et la lunette arrière (– 5,7 kg), façon course. La petite équipe de mordus est même allée jusqu’à enlever le cric, les lave-phares, le tapis de coffre, les antibrouillards, la majorité des insonorisants… Au final, l’économie se chiffre à 123 kg, ce qui représente une perte de poids substantielle avoisinant les 10 % ! Inutile de dire que les 450 futurs propriétaires (dont près de la moitié d’Anglais !) seront interdits de McDo… Le symbole le plus visible de l’allégement demeure le capot en carbone. Il apporte la touche racing ultime à un look franchement ostentatoire mais finalement assez proche de celui d’une F1 Team R26 “ordinaire”. Les connaisseurs remarqueront tout de même les jantes spécifiques (rouges ou noires), ou encore le becquet de toit plus imposant permettant de gagner un peu d’appui. Dans l’habitacle, l’ambiance est en revanche très différente. D’abord parce qu’on s’installe dans de vrais baquets de course Sabelt en carbone (encore 25 kg d’économisés). Ensuite, parce que la ceinture de sécurité a laissé sa place à un vrai harnais six points. Et enfin car dans le rétro central, on peut contempler l’enchevêtrement de tubes rouges qui compose l’arceau proposé en option. Le ton est donné… Pour le reste, c’est comme dans une Mégane des familles, quelques équipements de confort en moins (la clim reste disponible en option) et un volant sport griffé R26.R en plus.
Grandiose
L’heure est venue de se jeter dans l’arène, au volant cette fois, avec en ligne de mire un lièvre de luxe. Il s’agit de Vincent Bayle, l’auteur du fameux record. Il me met à l’aise : « C’est simple : tu freines où je freine, tu braques où je braque. Ne t’en fais pas ! ». Pour info, 80 % des virages du circuit sont en aveugle à des vitesses répréhensibles sur nos autoroutes, et c’est ma première fois sur le Ring. Alors, si, « je m’en fais ». D’autant qu’il attaque fort d’emblée dans la première portion hyper sinueuse. A ma grande surprise, j’arrive à le suivre (presque) sans forcer. Mais au moment où j’allais me prendre pour un pilote, je réalise bêtement qu’il dispose d’une simple R26. En somme, lui a le talent, moi j’ai l’R… L’écart entre les deux autos est considérable. Pour commencer, l’assise plus basse des baquets procure enfin une position de conduite correcte sur une Mégane. Autre point perfectible sur le modèle de “base”, la commande de boîte a été raccourcie pour une précision incomparable (la tringlerie est fournie par le service compétition). Dès les premiers mètres, on est également frappé par la sonorité plus rauque, plus présente. Est-ce dû à la suppression des isolants ou à la ligne d’échappement en titane (en option) ? Sans doute un peu des deux. Mais c’est à la première impulsion franche au volant que le fossé se creuse réellement. Si nous devions citer un défaut au sujet de la RS, ce serait sans aucun doute sa direction électrique au feeling trop artificiel. Cette tare a presque été entièrement gommée sur la R26.R.
L’assistance n’ayant pas été recalibrée, ce progrès vient uniquement des retouches apportées au châssis, notamment au niveau de la liaison plus raide entre le berceau moteur et le bras inférieur. Je parviens toujours tant bien que mal à suivre le rythme imposé par Vincent et, à chaque virage mal négocié (autrement dit : tous), je savoure le travail d’orfèvre effectué par Renault Sport en matière de comportement. Même si c’est écrit dessus, la R26.R n’est pas à proprement parler plus radicale.
Meilleure en tout
Enfin si, mais pas seulement. Elle est aussi plus vive, plus facile, plus précise, plus agile, plus tout, quoi ! Elle est même plus confortable. Vous le croyez, ça ? Le gain colossal sur les masses suspendues a permis aux metteurs au point d’assouplir légèrement la suspension au profit du toucher de route, tout en obtenant une meilleure maîtrise des mouvements de caisse. Les innombrables compressions et bosses que compte le circuit ne laissent planer aucun doute à ce sujet. Le cercle vertueux de la légèreté ne s’arrête évidemment pas là. Conjuguée au meilleur travail de la suspension, l’inertie réduite rend l’auto moins caractérielle à la limite, plus progressive et d’une certaine manière plus joueuse. Question performances, les 230 ch de la F1 Team donnent la très nette impression d’avoir fait des petits. Le rapport poids/puissance a fondu pour atteindre une valeur semblable à celle affichée par la nouvelle Lancer Evolution. Renault annonce 6”0 de 0 à 100 km/h et 25”9 au 1 000 m départ arrêté, soit un gain respectif de cinq et sept dixièmes. Volant en main, ces chronos, époustouflants pour une traction, nous paraissent tout à fait réalistes. Vierge de toute modification, le 2,0 litres turbo respire la santé. Le violent pic de couple à mi-régime semble accentué, tout comme la rage dans les tours. Le train avant n’a pourtant pas l’air de s’en émouvoir. L’association du pivot indépendant et d’un différentiel autobloquant (que la concurrence en prenne de la graine) conditionne une motricité remarquable sans générer de violentes remontées de couple. C’est déjà le cas sur la R26, me direz-vous. Oui, sauf qu’ici, le phénomène est encore accentué par le grip hors normes des baskets chaussées par notre voiture d’essai.
Semi slicks
En option, la Radicale peut troquer ses excellents Michelin Pilot Sport 2 pour de véritables slicks retaillés fournis par Toyo. Il faut bien admettre que ces gommes de compet’ sont pour beaucoup dans l’effet ventouse de l’auto. En revanche, leur polyvalence demeure fatalement limitée. Puisque ce n’est pas moi qui paye, je conseillerais donc aux futurs acheteurs d’avoir un jeu de chaque. Nous entrons dans le fameux Carrousel. La mise en contrainte de la voiture dans ce virage relevé fait aussi mal au coeur qu’aux vertèbres. Vincent m’avait prévenu, un kilomètre de Ring équivaut à onze kilomètres de route classique ! La Mégane ne bronche pas, toujours aussi déboussolante de facilité. Cela ne m’empêche pas de me faire lamentablement déposer par mon ouvreur dans les grands enchaînements rapides de la dernière partie du circuit. Au terme de cette journée où chaque journaliste aura roulé près d’une centaine de kilomètres sur le Ring, je laisse la R26.R avec une lueur d’inquiétude. Et si c’était la dernière de sa race, l’ultime folie d’un grand constructeur généraliste en ces temps peu propices à la passion automobile. Au moment de saluer les hommes de Renault Sport avant le départ, j’entends par hasard que « la prochaine sera encore un cran au-dessus… ». Nous voilà rassurés.