Où et quand ?
Après des années d’attente, Pininfarina nous convie à tester sa supercar dans les vignobles de la Morra, à mi-chemin entre Turin et la cote ligurienne (Savone). Les conditions ne sont pas idéales en ce début de printemps : 5 à 9°, ciel nuageux, chaussée parfois glissante. Notre édition spéciale Nino Farina chausse des semi-slicks Michelin Pilot Sport Cup2. Ils devraient vite chauffer avec autant de force à canaliser !
Le pitch
Pour son premier modèle en tant que constructeur (en 95 ans d’existence !), Pininfarina a voulu frapper fort en produisant une vitrine électrique à 150 exemplaires. Il s’allie pour cela à Rimac dont la Nevera sortie en 2021 doit également être construite à 150 exemplaires. Les deux cousines partagent leur coque en carbone, leur faux châssis avant/arrière en aluminium, une grande partie de leur carrosserie carbone et leur mode de propulsion : deux électromoteurs avant de 340 ch et deux arrière de 612 ch alimentés par une batterie de 120 kWh installée dans le plancher. Ces batteries pèsent à elles seules 720 kg et promettent 476 km d’autonomie… Lors de notre essai le plus dynamique possible, elle avoisine les 200 km. Chaque Battista nécessite 10 semaines d’assemblage à l’usine de Cambiano (Piemont, banlieue de Turin) et se distingue de la Nevera par son tablier avant, ses ailes avant/arrière, sa suspension (antiroulis, ressorts, réglages amortisseurs pilotés), son intérieur et la gestion des modes de conduite, de l’aileron actif ou du Torque Vectoring.
Premier regard
La Battista tape dans l’œil non pas par ses traits simples (caractéristiques de la maison) mais par sa carrure et ses proportions de monstres sacrées : 4,91 m de long, 2,20 m de large avec les rétros. Le museau pointu est traversé par un bandeau lumineux reliant les phares et une énorme écope. Les dérives latérales en carbone font partie des appendices aéros constrastés sur cette édition spéciale produite à 5 exemplaires et dévoilée au Festival of Speed de Goodwood en 2023. La Nino Farina rend hommage au premier champion du monde de F1 de l’histoire, qui n’est autre que le neveu du fondateur de la Carrozzeria Pininfarina : Battista « Pinin » (petit) Farina. Elle s’habille de rouge en clin d’œil à l’Alfa 158 et opte pour des jantes dorées à écrou central, des bandes blanches ou un énorme « 01 ». L’angle le plus spectaculaire reste l’arrière marqué par un diffuseur colossal et un aileron qui se déploie à l’oblique dans les modes Energica et Furiosa ou lors de gros freinages, laissant admirer ses dessous : les signatures « Battista » sur la gauche et « Nino Farina » sur la droite, le tout sur fond blanc. La déportance atteindrait environ 500 kg à la vitesse maxi, soit 350 km/h.
Les portes en élytre – qui nécessitent deux jours de montage – assurent le show et permettent d’accéder facilement au cockpit tout en carbone et épuré à l’extrême. Rien que pour l’intérieur, le constructeur revendique 128 000 000 combinaisons ! Bien calé dans un baquet confortable, le conducteur fait face à trois écrans indiquant les réglages de conduite sur la gauche – mode ajustable Carattere, sièges ou rétros -, les infos vitales au centre (vitesse, autonomie, niveau de charge de la batterie) et le multimédia sur la droite. Le petit volant à méplat occulte une partie des écrans latéraux et recèle un maximum de fonctions, dont un indispensable lift system. Le démarrage s’effectue depuis une molette sur la console et celle du tunnel permet de sélectionner le mode de conduite.
Les chiffres (et quelques lettres)
Ils laissent sans voix ! Jugez plutôt : 0 à 100 km/h en 1’’86, 0 à 200km/h en 4’’75, 0 à 300 km/h en 10’’49, vitesse maxi de 358 km/h bridée à 350 km/h en raison des pneumatiques, jusqu’à 1,75g à l’accélération avec des Cup 2R, environ 500 kg d’appui aéro… Tout cela à bord d’une supercar de 2,3 tonnes ! Pininfarina ne s’est jamais rendu sur la Nordschleife, jugeant qu’il s’agit d’un territoire Porsche. Il précise que la Battista n’est pas une auto de circuit mais qu’elle est capable d’y évoluer. Souvenez-vous, le cousin Rimac a tenté l’aventure en 2024 et n’a pas réussi à descendre sous la sacro-sainte barre des 7’ : 7’05’’298. Un coup d’œil sur les données embarquées permet de constater que la puissance maxi n’est jamais atteinte en roulant (maxi 1300 kW soit 1768 ch) et est sans doute réservée au launch control. Or nous avons testé ce dernier en mode Furiosa devant libérer tous les watts et nous n’avons pas obtenu l’uppercut escompté en raison du manque de grip : conditions fraîches, Cup 2 (au marquage Porsche N2 !) qui ont du mal à chauffer, forte sollicitation de l’antipatinage. La poussée reste donc inférieure à celle – folle – d’une Taycan Turbo GT forte de 1034 ch et capable de couvrir le 1 000 m en 17’’3.
Les modes revêtent une importance capitale puisqu’ils déterminent la force disponible. Le « Calma » (calme) démarre à 680 ch (500 kW) et 1170 Nm maxi. Il utilise uniquement les moteurs avant jusqu’à 160 km/h et bride la vitesse à 200 km/h. Comme le « Pura », il favorise la recharge et opte pour des réglages de direction et de suspension doux. Le « Pura » (pur) fait appel à tous les moteurs avec une répartition du couple avant/arrière de 35/65% et rehausse la puissance à 1013 ch (745 kW), le couple à 1380 Nm et la vitesse à 280 km/h. Une fois que vous vous êtes échauffé la nuque, il est temps de passer aux choses sérieuses. Le mode « Energica » (énergique) déploie l’aileron en permanence, repousse l’intervention du correcteur de trajectoire et opte pour des réglages sportifs en matière de suspension ou de direction. Le conducteur peut alors compter sur une répartition de couple vectorielle (Torque Vectoring) et atteindre les 350 km/h. La puissance maxi s’élève alors à 1496 ch (1100 kW) et le couple maxi à 1840 Nm. Nous n’avons jamais ressenti une telle force lors de notre essai… Quant au « Furiosa » (furieux), il rend le Torque Vectoring plus agressif et permet de décrocher les 1904 ch (1400 kW) et 2340 Nm ! Nous n’avons malheureusement pas expérimenté ces données vertigineuses. Mais ce n’est que partie remise ! Sans surprise, les mélomanes resteront sur leur faim face au sifflement des électromoteurs. Ils se rendront dans le mode personnalisable « Carattere » pour supprimer les notes artificielles imposées en « Furiosa » et jouées par les haut-parleurs intérieurs et extérieurs… Les basses résonnent dans le bouclier arrière !
Le truc en plus
Au-delà des chiffres qui donnent le tournis, la Battista étonne par son esprit GT inattendu : niveau de confort, facilité de conduite…
Le râleur, il dit quoi ?
Il a hâte d’expérimenter la pleine puissance dans de meilleures conditions.
Sur la route
Vous vous en doutez, prendre le volant d’une supercar de 1904 ch et ici 3 720 000 € génère une légère appréhension. Derrière son physique et ses dessous intimidants, la Battista se conduit pourtant comme une GT. Un exploit ! Sa docilité épate en mode Calma, à l’image du niveau de confort : silence de fonctionnement, insonorisation, moelleux des baquets. On comprend mieux pourquoi Pininfarina parle d’elle comme une hyper GT et non une hypercar. Les amortisseurs pilotés pourraient être plus tendres à basse fréquence mais filtrent parfaitement les innombrables défauts des départementales piémontaises. Les mouvements de caisse sont bien maîtrisés et l’on ressent peu la masse élevée. Il faut tout de même appréhender le gros gabarit, bien chauffer les semi-sticks et s’accommoder d’un ressenti tendant vers l’univers des GT.
La direction à assistance électrique fait remonter peu d’informations et le mordant variable des freins réclament de l’accoutumance, sans doute en raison de la régénération d’énergie qui peut mener à une conduite monopédale en Calma et Pura. Résultat, il ne faut pas hésiter à taper dans cette énorme pédale de gauche (versus l’accélérateur étroit) et garder une certaine marge vis-à-vis des points de freinage. Il est temps de basculer vers les modes Energica et Furiosa. La poussée virile – mais pas dingue – efface les lignes droites. Les enchaînements rapides mettent en avant l’équilibre et la stabilité. Dans le lent, le Torque Vectoring rend les placements hargneux à condition de se montrer autoritaire au volant. La confiance s’instaure progressivement. En tentant d’explorer les limites, l’avant encaisse parfaitement le choc à condition de bien chauffer les pneus. L’arrière, lui, remue volontiers mais il est vite calmé par les aides y compris en les repoussant (mode Sport). Dans ces conditions, nous n’avons pas été autorisé à les couper…
Sur la piste
Nous aurions adoré malmener la Battista sur circuit, en chaussant des Cup 2R avec lesquels elle a été mise au point et en coupant les aides. Mais ce n’était pas au programme de ce premier contact. Vivement la suite !
Le bienheureux, il dit quoi ?
Il est bluffé par la facilité de conduite ! Un exploit avec une telle cavalerie…
Les tarifs
Le prix de base est fixé à 2 640 000 € mais vous vous doutez que les 150 clients vont débourser bien plus avec la personnalisation. Cette édition Nino Farina produite à 5 exemplaires (tous vendus) démarre quant à elle à 3 720 000 €. Pour le moment, l’usine de Cambiano a assemblé une vingtaine d’exemplaires. Le constructeur multiplie les carrosseries (targa, barquette) et les éditions spéciales (Anniversario, Reversario, 55) pour attirer la clientèle des supercars vers l’électrique. Mais comme l’avouait Mat Rimac l’an passé, le défi est colossal !