Pour ceux qui se demanderaient ce qu’une familiale de 5 m de long fabrique sur nos terres nivernaises, j’ai un chiffre : 19”6. C’était le temps revendiqué par l’iconique McLaren F1 au mille mètres départ arrêté. C’est désormais le chrono sur cette même distance de cette berline (je me refuse à parler d’un coupé). Les membres de la secte Tesla me parleront de la Model S Plaid, de son 0 à 100 km/h en 2” et du 400 m en 9”2. On demande à voir et, quand bien même la familiale d’Elon Musk atomiserait la dernière création d’AMG, elle ne distillera jamais la saveur inimitable d’un V8 explosif et chanteur. C’est là tout l’intérêt de cette Mercedes qui passe à l’électrique tout en conservant l’un des moteurs thermiques les plus dévastateurs du moment. Une voiture hybride quoi… La maison AMG prend le train en marche avec le panache qu’on lui connaît.
1 470 Nm de couple !
Prenez une GT 63 S 4 portes développant 639 ch, greffez-lui un moteur électrique compact de 204 ch sur l’essieu arrière, et vous obtenez une puissance combinée de 843 ch pour un couple oscillant, tenez-vous bien, entre 1010 et 1470 Nm en crête ! La bestiale McLaren 765LT se limite pour info à 800 Nm… Même si chez Mercedes on est fier de mettre en avant le transfert de technologie entre la F1 et la série pour la conception des batteries à très haute densité et le refroidissement direct de ses 560 cellules, tout ceci à un poids. 239 kg selon le constructeur, qui s’ajoutent à la masse déjà particulièrement généreuse de cette limousine à grande vitesse.
La balance de notre partenaire W-Autosport affiche 2 366 kg pour 2 305 annoncés. On arrive ainsi au poids, à quelques kilos près, d’une Porsche Taycan Turbo S, le ronronnement et la noblesse du V8 en plus ! C’est beaucoup, voire rédhibitoire sur le papier pour encore parler de voiture de sport, mais notez que la greffe du module électrique a le mérite de mieux équilibrer les masses. L’essieu arrière supporte même 51 % du poids, contre 47 à l’origine. On se console comme on peut, mais ce détail n’en est pas un lorsqu’il s’agit de mouvoir énergiquement un tel bestiau.
Prendre 239 kg pour gagner 204 ch n’est pas un jeu à somme nulle du point de vue des performances pures. Le rapport poids/puissance fond pour égaler celui d’une Porsche 992 GT3. Avec 2,8 kg par cheval, de bons gros semi-slicks et quatre roues parfaitement motrices, la familiale peut tenir tête à 99,9 % de la production automobile mondiale sur une drag race. De 0 à 100 km/h, la E Performance ne fait pas mieux que son clone 100 % thermique, mais une fois en action, sa puissance et son couple font la différence et donnent le mille mètres départ arrêté évoqué plus haut, un dixième devant la Taycan Turbo S forte rappelons-le de 761 ch. Bien fait !
Outre ce petit dixième, l’atout majeur du monstre d’AMG est de pouvoir enchaîner les départs canon et vous le verrez plus loin, les tours de piste, sans risquer de vider les batteries et trembler en pensant au trajet retour… Le système développé par Mercedes est fait de telle sorte que la récupération d’énergie (modulable sur plusieurs modes) fonctionne suffisamment bien pour conserver le même niveau de batterie durant l’ensemble de nos mesures. La prise, située à l’arrière, a pour seule fonction de charger la voiture à fond lorsqu’on souhaite bénéficier de l’intégralité des 12 km d’autonomie offerts en tout électrique. Quand bien même vous décideriez d’aller au bout de cette autonomie, la batterie conservera toujours 24 % de réserve pour que jamais vous ne soyez en manque des 843 ch promis ! Cette réserve est aussi là pour que le moteur électrique puisse remplacer l’ESP dans certaines conditions en régulant le couple entre les roues arrière, voire en envoyant du couple à l’avant. Pour clore en beauté le chapitre performances, nous avons mesuré le 140 à 200 km/h en 5”0, ce qui place tranquillement cette Mercedes de 5,05 m de long au niveau d’une Porsche 992 Turbo S. Sidérant !
Impériale
Sur route ouverte, l’exploitation de cette puissance est moins un problème technique qu’éthique. La motricité est impériale, le châssis sain et parfaitement équilibré, le freinage carbone-céramique ultra-efficace. Comme on peut s’y attendre au volant d’une limousine étoilée, aussi AMG soit-elle, le souci vient du décalage entre la vitesse ressentie et la vitesse réelle. La moindre remise de gaz dénuée de mauvaise intention peut vous expédier devant le juge qui risque de ne pas être sensible à l’argumentaire autour de la « puissance parfaitement maîtrisée ». La qualité impressionnante de l’amortissement pour une auto de ce poids ne fait rien pour calmer nos ardeurs sur les départementales nivernaises. À la suspension pneumatique multichambres que nous connaissions, Mercedes ajoute un nouveau système composé de deux valves de limitation permettant de contrôler finement et indépendamment la compression et la détente sur chaque amortisseur. Enfin l’empattement géant (2,95 m) virtuellement réduit par les roues arrière directrices participe également à une agilité qui frise le surnaturel. Jamais sans doute une voiture de sport n’avait embarqué un tel bagage technologique. La légende raconte que des ingénieurs ayant travaillé sur ce projet sont partis à la NASA pour pouvoir se la couler douce.
Pistarde poids lourd
La GT 63 S a laissé au jury de la Sportive de l’année 2019 le souvenir ému d’un engin diaboliquement attachant, aussi rapide et plus fun qu’une 992 Carrera S sur piste ! Sur le circuit Club, elle détenait à l’époque le record du tour dans la catégorie des berlines. Je retrouve un feeling très proche au volant de la E Performance, notamment le mordant du train avant, un sous-virage très contenu et une joyeuse tendance à dessiner de jolies virgules en sortie de courbe. Les Michelin Pilot Sport Cup 2 travaillent si fort pour scotcher le poids lourd sur la trajectoire qu’ils noircissent la piste comme si nous étions déjà passés en mode deux roues motrices… Avant de s’amuser, il est question de s’appliquer pour tutoyer sans les dépasser les limites de la physique. Le châssis a beau être solide comme un roc et les freins indestructibles, les 239 kg supplémentaires rendent l’exercice plus ardu. C’est l’arrière que je finis par perdre dans le dernier virage du dernier tour lancé avant que les pneus ne jettent l’éponge. Le Garmin Catalyst (notre chronomètre) prédisait un chrono de 1’20”8, je passerai la ligne d’arrivée en 1’21”11. La GT 63 S sans assistance électrique n’est pas battue (1’20”49) mais la E Performance devance là encore de peu la Taycan Turbo S et relègue la M5 CS à plus d’1”5 tout en rechargeant sa batterie au passage. Pour être tout à fait juste, précisons que lesdites concurrentes n’étaient pas chaussées en semi-slicks ! La journée à Magny-Cours se termine, c’est l’heure de débrancher les roues arrière et le cerveau en sélectionnant le mode drift. Le résultat fumant et grisant est imprimé sur la piste et en ouverture de cet essai. Les ingénieurs de chez AMG sont des génies mais avant tout des artistes !