À sa sortie, nous avions imaginé un comité d’accueil haut en couleur pour cette 992: R8, Vantage, Corvette, AMG GT… Mais toutes les ennemies ont trouvé une bonne excuse pour esquiver la confrontation. L’AMG GT était en cours de renouvellement. La Corvette C7, en toute fin de vie, n’était disponible qu’en Grand Sport, dont l’esprit se rapprochait davantage de celui d’une GT3. La Vantage, qui vient d’évoluer, avait essuyé de nombreuses déconvenues et Aston refusait dès lors les rencontres. Quant à la R8, faute de version V8, il aurait été intéressant de lui opposer la “petite” version V10 de 570 ch. Mais elle était introuvable, même en Allemagne ! Dommage. Il ne faut pas forcer le destin, ni s’écarter de la cible en déviant vers la légèreté ou la polyvalence (berlines musclées). La concurrence directe a donc agité le drapeau blanc. Tant pis pour elle. Autant se concentrer sur une bonne séance de tortures pour jauger les capacités de cette intrigante 992, musclée et armée d’une ribambelle d’options dynamiques. « Quand on la voit pour la première fois, c’est simple, on dirait une Turbo ! » s’exclame Nicolas. C’est vrai qu’elle en impose cette 992.
Comme pour les générations précédentes, il va être difficile de tester un modèle de base, dépourvu de cuir étendu, de roues arrière directrices, d’échappement actif Sport, de boîte PDK (imposée), de barres antiroulis actives, de sièges adaptatifs ou du pack Sport Chrono incluant des paliers moteur actifs. Ajoutez à cela quelques aides à la conduite et un peu de déco, la note dépassait déjà en 2019 facilement les 150 000 €… Pour une Carrera S ! Notre modèle d’essai aurait d’ailleurs pu faire l’économie de la suspension Sport, rabaissant l’assiette de 10 mm et réduisant le confort.
Digitalisée
Rassurez-vous, le filtrage reste supportable à la longue et la 911 est toujours aussi facile à vivre. Le photographe trouve son bonheur en chargeant le coffre avant… et les places arrière, où les dossiers se rabattent pour insérer de longs objets. Le conducteur met un peu de temps à retrouver ses repères, entre les réglages des compteurs digi- taux et ceux de l’écran tactile, à utiliser comme un téléphone. Eh oui, la 992 a fait sa révolution high-tech… Les commandes restent intuitives. Les modes de conduite peuvent s’ajuster depuis la molette au volant (optionnelle) ou l’écran tactile, dans le menu “Car” puis “Drive”: Wet, Normal, Sport, Sport+ et Individual paramétrable. Dans “Drive”, on trouve également deux commandes importantes agissant sur les valves d’échappement Sport optionnel) et l’aileron actif, qui a pris de l’ampleur et intègre désormais une fonction aérofrein à partir de 170 km/h. La 911 profite de cette révolution pour ajouter des gadgets inutiles, comme les poignées rétractables qui sont en général repliées quand on en a besoin, ou le démarrage sans clé matérialisé par un ersatz sur la gauche du volant. Installé plus bas qu’auparavant, le conducteur ajuste au millimètre la position de conduite mais, quelle qu’elle soit, il ne peut percevoir les cadrans périphériques du compteur… Dont la température du liquide de refroidissement et l’autonomie sur la droite. À ce propos, la consommation raisonnable en conduite coulée (12 l/100 km) et le réservoir de 90 l (en option) espacent les ravitaillements… Mais l’appétit grimpe vite quand on s’amuse un peu (16 l/100 km) et beaucoup sur piste (plus de 20 l/100 km). Le gros réservoir paraît indispensable pour les amateurs de trackdays. Justement, nous débutons la journée par la rencontre d’un amateur atypique, devant les grilles du circuit de Dijon-Prenois.
Hasard des rencontres
À l’horizon, une silhouette de grenouille blanche attire l’œil. En un coup de palette, nous nous rapprochons. Un aileron en queue de canard se dessine, puis des bandes latérales colorées. Pincez-moi, il s’agit d’une mythique 2,7 litres RS : le point d’orgue de la génération originelle, forte de 210 ch, pesant 1 000 kg et produite à 1 525 exemplaires. Walo, son propriétaire suisse, s’apprête à aller tourner : « Je roule rarement sur piste. » Vu le prix de cette perle, datant de 1973 et restaurée il y a 20 ans, c’est compréhensible. Nous reprenons la route en direction du Morvan. Le relief commence à être conséquent. Le bitume se tord de plus en plus. Miam, la 992 n’en fait qu’une bouchée, sans forcer. Elle met vite en confiance et régale par son feeling de direction, son équilibre, sa réactivité et son freinage. Cela aiguise l’appétit, juste avant de regagner Saulieu pour une halte incontournable devant l’institution créée par Bernard Loiseau. La tentation est forte, mais nous n’avons pas le temps d’y déjeuner… Juste de poser au côté d’une Porsche familiale, utile pour se faire raccompagner après un festin arrosé : une Panamera. À l’heure de la digestion, nous profitons de la quiétude du lac des Settons, avant de regagner le barrage de Pannecière, via de superbes mais étroits serpentins. En s’arrêtant pour vérifier notre chemin, une vieille dame nous interpelle: « Je suis ravie de voir une si belle auto garée devant chez moi. C’est une Porsche… Mais c’est une ancienne ? ».
Oh non, elle est certes fidèle à la silhouette batracienne depuis 56 ans, mais les proportions ont grandement évolué. On continue d’en prendre plein la vue en traversant les vallées de Cussy et de la Celle en Morvan, étonnantes par leurs airs alpins. En regagnant la bute de Château- Chinon, dont l’ascension relève de la course de côte (qui existait dans les années 70 et 80), nous terminons la journée par une autre belle rencontre: Jérôme, propriétaire de l’hôtel “Au vieux Morvan” et Porschiste depuis 2007. Après une petite balade, il revient ébahi par l’efficacité et les performances de la 992. « J’ai un Cayenne diesel pour la famille et un Cayman de première génération pour me faire plaisir. » C’est sûr, il y a de quoi s’amuser dans cette superbe région montagneuse, que l’on traverse jusqu’au col de Rebout. Il est temps de mettre le cap à l’ouest vers nos bases nivernaise et bourbonnaise, via la D37 lisse et adaptée à la largeur de la GT. Un délice, qui permet de verrouiller la suspension et d’appréhender la vivacité de l’avant, le grip hallucinant. Oui, on va facilement très vite, mais le toucher de route typique de la quinquagénaire est présent et soigné.
Moteur/boîte
Lors de la prise en main de la 992, le moteur était l’un des éléments les moins révolutionnaires et enthousiasmants. Bien sûr, l’atmosphérique rend nostalgique: sonorité, caractère fluctuant… Mais avant de crier gare à la suralimentation et au filtre à particules, prenons le temps de l’apprécier. Au fil des 1 500 km parcourus (2S et 4S), le jugement évolue. Le 3 litres biturbo devient fréquentable, voire attachant à bord de cette 2S particulièrement en forme : trempe, voix, punch. Rappelons qu’il n’a plus rien à voir avec le bloc de la 991.2 GTS, de même puissance: admission, distribution, injection, taux de compression, suralimentation (turbos plus gros), emplacement des échangeurs et des paliers actifs… Le couple maxi est obtenu plus haut et la puissance maxi se hisse au niveau d’une 959 ou d’une 993 GT2! Forcément, ça déménage. Si l’échappement est en sourdine, le flat-6 évolue à bas régimes dans une tonalité rocailleuse traditionnelle. En le libérant, le registre devient grave et grondant. Les turbos soufflent fort dès 2 000 tr/mn, mais ce n’est qu’au-delà de 3 000 tr/mn que les occupants essuient une tempête. Ce turbo lag donne du relief au 3 litres, qui poursuit son ascension en changeant de ton et surprend au-delà de 6 000 tours. Le flat-6 tape le rupteur avec entrain (7 500 tr/mn) mais instinctivement, on change de rapport à 7 000 tr/mn. Oubliez le levier, il s’est transformé en minuscule rasoir électrique. Soit le conducteur profite de la gestion automatique bien ficelée, soit il prend les commandes en Sport, pour éviter les légers à-coups du Sport+. Rapide, intelligente, la boîte à double embrayage à 8 rapports est juste parfaite. Heureusement car Porsche ne laisse pas le choix des armes sur la S. L’alternative manuelle, séduisant seulement 5 % des clients européens, est réservée à la Carrera depuis 2020. Entre l’étagement court (hormis la 8e) et la force des turbos, on se surprend à évoluer sur un rapport supérieur en courbes. Comme par le passé, la PDK dispose d’un launch control par le biais du pack Sport Chrono. Accrochez-vous, les chronos devraient faire très mals à Lurcy-Lévis.
Performances
Avant de déclencher les hostilités, il est fondamental d’avoir un chiffre en tête: le poids. D’un côté, la 992 fait des efforts pour s’entretenir, en misant sur l’aluminium pour la structure et la carrosserie : 63 % au total. De l’autre, elle fait de la muscu’ et fait exploser ses voies, son fessier… Elle n’est pas aidée par la PDK, ni par le filtre à particules ou de nombreuses options équipant cette 2S. Résultat, la balance de notre partenaire W-Autosport fait grise mine : 1 598 kg ! Damned, cela évoque davantage une 991 Turbo. Le doute s’installe quant au caractère dévastateur des chronos. On démarre en “douceur” par les reprises, qui devancent celles excellentes de la 991.2 GTS. Voyons si la hiérarchie est respectée en accélérations. Le régime de départ se cale à 5 000 tr/mn et le décollage est parfait. Incroyables, les accélérations sont carrément supérieures aux prévisions du constructeur : – 0’’2 de 0 à 100 km/h, – 0’’8 de 0 à 200 km/h. Décidément, ce modèle d’essai pète la forme et se rapproche d’une 991 Turbo (520 ch). L’aînée suralimentée Carrera S est larguée et la GTS s’accroche au pare-chocs, avec 0’’2 de retard de 0 à 100 km/h et au 1 000 m D.A. Hallucinante, la 992 franchit la borne kilométrique en 20’’7, à 255 km/h réels. Chapeau bas, elle établit de nouveaux standards chez les GT, malgré une masse élevée. La préretraitée Corvette Grand Sport (466 ch) s’en tient à 23’’2. L’AMG GTS, en version 510 ch, réclamait 21’’1. Il faut miser sur une R8 V10 Plus ou une Nissan GT-R toutes deux nettement plus puissantes pour terminer devant.
Sur la route
Jusqu’à présent (trois 992 testées à l’époque), nous n’avons jamais pu jauger le travail des amortisseurs pilotés Bilstein standard. Dommage, car le confort et la polyvalence en prennent un coup ici, avec les options PASM Sport (compressions, moindre débattement) et les barres antiroulis actives. Ces tarages fermes raviront les amateurs de piste et de radicalité, mais agaceront les autres au quotidien. Quelle que soit la situation, les roues restent parfaitement collées au sol et la suspension filtre parfaitement les irrégularités. Ce sont les passagers qui font les frais du surcroît de fermeté. Avec de tels réglages, les metteurs au point parviennent à gommer le déséquilibre congénital de la 911 et à quasi exterminer les méfaits de l’inertie. La 992 accepte d’être placée sans l’aide des freins. Elle se démarque de ses aînées par le tranchant de son train avant et son grip latéral. Elle enroule gentiment à des vitesses effroyables et répond toujours présent si vous êtes d’humeur joueuse. Elle estomaque par sa motricité naturelle, sa rigidité d’ensemble, le feeling de sa direction à assistance électrique, ses réactions. Jamais elle ne prend en traître. Bref, on se sent en osmose. « En dehors de McLaren, on ne retrouve pas ce type de connexion chez les GT » constate Nicolas. Cette 2S facilite la vie et la pimente juste ce qu’il faut. Grâce aux roues arrière directrices, elle braque comme une compacte et se place en nécessitant moins d’effort au volant. En plus, cet apport reste naturel et s’oublie. Quant au lift system (en option), il est le bienvenu avec ce châssis Sport rabaissant l’assiette d’1 cm. Il relève en quelques secondes le museau de 4 cm sur simple pression d’une commande sur la console. Une des rares à avoir résisté à la révolution digitale !
Sur la piste
Avec un tel dynamisme, la 992 débarque en terrain conquis sur le Club, avec la ferme intention de conserver sa place de mètre étalon des GT… Et de faire flamber le chrono! Pourtant, son poids devrait lui suggérer un brin d’humilité. Les conditions sont idéales: 22 °C, pas de vent, pneus quasi neufs. Nicolas s’élance et revient quelques tours plus tard avec le sourire : « C’est exceptionnel ! Tel quel, le châssis est au-dessus d’une GT3. La direction est géniale, on met moins de volant qu’avant. Elle reste vivante à la limite, mais la bagarre est saine, plus facile. » Le chrono laisse rêveur : 1’20’’36, ce qui la positionne entre les pistardes 997 GT3 RS 4 litres et M4 GTS, devant une 991.2 GTS (d’un cheveu), une LF-A, une R8 V10 Plus (610 ch) ou une 991 Turbo S (560 ch). L’étude de la télémétrie prouve que la performance est très proche de celle d’une 991.2 GTS PDK, plus légère d’une cinquantaine de kilos : 1’20’’42. Cette dernière grappille un km/h en ligne droite, grâce à un meilleur rapport poids/puissance. Mais la 992 pivote mieux et réaccélère plus tôt dans l’Épingle (+ 3 km/h). Quel train avant ! En bout de ligne droite, le gros freinage peut s’exécuter à 100 m en toute quiétude, grâce au dispositif acier très efficace et endurant. L’apport des coûteux disques carbone/ céramique (testés avec la 4S) se matérialise par plus de mordant. Le Double-Droit, lui, se déguste soit de manière académique, soit en léger survirage avec peu de contre-braquage. Dans le Rayon Constant, elle n’est pas déstabilisée par le relief, mais le poids élevé embarque un peu. Là encore, la glisse fumante est ultra-tentante: naturelle et aussi jubilatoire qu’à bord d’une authentique BMW M! Quant au Pif-Paf, la 2S mord les vibreurs à pleines dents et s’extirpe en pivotant, juste ce qu’il faut. Un régal. Cette 992 ainsi configurée est un sacré outil, à la fois précis, intuitif et joueur. « La concurrence est larguée. Avec des Cup 2, elle claquerait un temps d’AMG GT R ! » conclut Nicolas. Pour la première fois, une Carrera S est en mesure de taquiner des GT3 sur les trackdays. Un véritable exploit. Avec une telle base, les chronos des futures GTS, Turbo S et GT3 laissaient rêveur.