Nicolas Gourdol, le fondateur de votre magazine préféré, possède de nombreuses qualités dont celle d’avoir un redoutable coup de volant. Mais pas celle de prédire l’avenir de Tesla, évoqué lors d’une soirée d’élection de la Sportive 2015 : « Tout le monde s’extasie sur Elon Musk et Tesla alors que ce constructeur est un gouffre financier qui n’a jamais gagné le moindre centime. Maintenant que Mercedes, BMW ou Volkswagen se mettent à l’électrique, je pense que Tesla n’en a plus pour longtemps », lançait-il. À cette époque, nous étions tous d’accord et l’élection comprenait uniquement des mécaniques thermiques plus ou moins merveilleuses.
Longue histoire
Mais l’histoire ne s’est pas écrite de cette façon. Tesla a réussi à passer du statut de catastrophe comptable à celui de marque bénéficiaire grâce à l’arrivée de modèles grand public 3 et Y, et la forte augmentation de ses cadences de production. Les géants de l’automobile n’ont toujours pas rattrapé l’américain en 2022, malgré des moyens colossaux placés dans la technologie électrique. Tesla a vendu 1,3 million de modèles en 2022, un chiffre certes décevant par rapport aux prévisions mais qui le rapproche désormais des rois du premium allemand (1,61 million pour Audi). Pas si mal, pour une marque qui n’a lancé son premier vrai modèle qu’en 2012 !
Ce premier modèle, c’est la Model S : une grande berline au style classique vite devenue la reine du net grâce à ses accélérations hors du commun lui permettant de battre d’authentiques supersportives thermiques. À l’époque, si la “drag race” durait plus de cinq secondes ou qu’il fallait négocier des virages, le prestige de la grosse Tesla volait en éclat. Uniquement bon à bondir de 0 à 100 km/h, l’étendard familial affichait un comportement dynamique quelconque.
Avec l’arrivée de la Model 3 Performance en 2019, la marque a prouvé son savoir-faire à ce niveau. Sur les routes de Provence ou le Driving Center du Paul Ricard, la berline affichait une agilité inédite et devenait franchement amusante à piloter. Capable de glisser et de chasser le chrono, cette électrique de près de 500 ch coûte 35 000 € de moins qu’une M3 (ou 85 000 € en comptant le malus !) tout en affichant des performances relativement proches.
Et la grande Model S, que devient-elle ? Dix ans après son lancement, elle fait toujours partie du catalogue. Elle vient de bénéficier d’un restylage, dont les changements ne peuvent se deviner en la regardant. La version de base « Dual Motor » développe 670 ch et revendique déjà un 0 à 100 km/h en 3’’2. Quant au haut de gamme sportif « Plaid » que nous essayons, il possède trois moteurs à aimants permanents avec des rotors en fibres de carbone. Puissance maxi ? 1 020 ch américains, soit 1 034 ch DIN. Couple maxi ? Environ 1 400 Nm (Tesla refuse de communiquer officiellement cette donnée). Le 0 à 100 ? 2’’1. Oui, cette grande berline familiale au design on ne peut plus banal pourrait coller 0’’3 à une Chiron Pur Sport !
Monde à part
Les geeks passent des heures à parler de son nouveau et gigantesque écran tactile central doté de processeurs ultrapuissants ou des innombrables fonctionnalités qu’il offre. Mais concentrons-nous sur les parties physiques de la voiture. Toujours pas au niveau des grandes berlines Mercedes, Audi ou Porsche, la finition progresse et l’habitabilité atteint des sommets. Attirant immédiatement l’attention, le volant « Yoke » nécessite une gestuelle proche du ridicule dans les manœuvres. Je ne vous parle même pas de la commande d’activation de la marche avant ou la marche arrière, désormais virtuelle et située sur la partie gauche de l’écran central. Si Nicolas Gourdol voyait ça, il rhabillerait encore Elon Musk pour l’hiver.
Hivernales, les conditions de cette prise en mains le sont. Le thermomètre affiche – 3° lorsque nous arrivons en Vallée de Chevreuse avec notre photographe Yannick Parot. Heureusement, le chauffage fonctionne et les grosses batteries (capacité estimée à 95 kWh, Tesla ne veut pas la dévoiler non plus) ne semblent pas trop perdre en efficacité malgré la température. Annoncée à 600 km, l’autonomie chute à environ 480 km dans ces conditions avec une consommation de 22 kWh/100 km en conduite tranquille. Passons maintenant du mode « Confort » au « Plaid » pour tenter une première accélération. Les roues patinent abondamment sur le tarmac humide et l’électronique module la puissance envoyée aux quatre roues. Premier freinage appuyé, la course de la pédale et sa mollesse surprennent mais la voiture s’arrête correctement.
Haut potentiel
Au fil de la journée et des photos, nous trouvons enfin des portions sèches. Il est temps de tester le launch control, qui fait d’abord chauffer les batteries pour optimiser l’accélération. Quand il fait froid comme ça, ça prend plus de dix minutes ! Une fois à température, on écrase les deux pédales, on attend que le train avant se baisse et atteigne la position « Guépard », puis on relâche les freins. Résultat, la voiture est catapultée. Dans ces conditions, on mesure un 0 à 100 km/h en 3’’ et un 0 à 200 en 8’’4. De quoi agacer une Taycan Turbo S ou une Huracán Evo, mais loin des records annoncés probablement en raison de la charge à 40 % et du tarmac froid. Précisons que l’activation du mode Piste donne accès à la meilleure efficacité dynamique possible, la voiture régulant ses batteries à une température différente de celle nécessaire au launch control. En jonglant entre ce mode Piste et le launch control pendant des heures, nous avons réussi à vider la batterie en moins de 250 km. Mode Piste enclenché sur les portions sinueuses rencontrées, la Plaid laisse entrevoir un potentiel dynamique à des années-lumière de l’ancienne Model S.
En attaquant, la préhension du volant devient naturelle. Les performances colossales en ligne droite vont enfin de pair avec une agilité plaisante en courbes. Comme dans la Model 3 Performance, on ressent le travail électronique (torque vectoring) s’appuyant sur les freins à l’inscription et un train arrière prompt à enrouler, à jouer avec les limites d’adhérence. On remarque que la désactivation des aides à la conduite ne coupe pas totalement l’antipatinage. Le mode Piste permet toutefois, comme dans la Model 3 Performance, de simuler une propulsion en envoyant toute la puissance sur l’arrière. Au final, cette Plaid ne semble pas surclasser la Taycan Turbo S, mais nous n’avons pas exploité tout son potentiel. Promis, nous la mesurerons à Magny-Cours dès que nous aurons le feu vert de Tesla. À 131 490 €, cette familiale hors normes, spacieuse et confortable reste beaucoup plus abordable que la plus véloce des Porsche électriques (201 440 €). Quant à Nicolas Gourdol, il nous fait remarquer qu’après les errements d’Elon Musk vis-à-vis de Twitter, Tesla a perdu 60 % de sa capitalisation boursière.