Où et quand ?
Nous parvenons enfin à croiser nos agendas en octobre, avant que le froid ne s’abatte sur la région. Mais nous n’avons pas échappé à la pluie, avant de déguster les cols du Vercors sur le sec chaussés de Michelin XWX au dessin rappelant les TRX mais disposant d’un mélange de gommes moderne. L’accoutrement de motard n’est pas exigé comme à bord d’une Caterham dépourvue de pare-brise, mais le port de lunettes est vital et celui du casque conseillé. Quant aux chaussures, mieux vaut qu’elles soient fines.
Le pitch
Il était une fois un passionné d’automobiles qui a brillé dans les championnats internationaux de radio télécommandée pendant 20 ans et qui a toujours aimé rouler différemment. Cela l’a poussé à importer à titre isolé des Caterham, Wiesmann ou Westfield… L’administration française ne lui fait donc pas peur ! Hervé Valliet n’en a pas pour autant fait son métier puisqu’il dirige depuis 40 ans l’entreprise familiale SORI de tôleries fines basée à Tullins (38) et spécialisée dans le rangement d’outillage (2500 points de vente en France). Elle travaille l’acier, l’alu et l’inox, et s’adresse avant tout aux professionnels. Des particuliers craquent toutefois le porte-monnaie pour équiper leur garage… Comme nous les comprenons ! Entre l’expérience acquise en important des sportives et les ressources offertes par SORI, le chef d’entreprise passe à l’action en 2016, dans un premier temps avec une sportive lourde propulsée par un gros moteur. Mais face aux contraintes d’homologation et de pollution, il décide de se positionner sur le marché de niche des roadsters lights. Il crée la marque en 2019 en « anoblissant » son nom et tient à offrir un maximum de sensations sans devenir un délinquant, tout en conservant une réelle facilité de conduite. Le nom, lui, rend hommage au circuit du Mugello et le nombre accolé indique la puissance à la tonne, comme les Caterham.
Premier regard
La 375F Mugello joue à fond la carte rétro, en s’inspirant de la compétition des années 50/60 : nez de requin Ferrari, passages de roues creusés des Maserati 250F, ouïes inversées de la 250 GTO, jantes à rayons. Le double bossage rend, lui, hommage aux grands carrossiers italiens et cache un vrai coffre de 300 l verrouillable ! Les phares de batraciens évoquent évidemment l’inspiratrice anglaise Seven. La carrosserie en composite est fabriquée non loin de l’usine d’assemblage, chez MG Composites dans le Vercors. Si la hauteur équivaut à l’anglaise, la longueur explose avec + 70 cm, comme la largeur avec + 25 cm. Le résultat ne manque pas de faire tourner les têtes, dégainer les pouces et les téléphones, toujours avec le sourire.
La hausse de gabarit profite logiquement à l’habitabilité et l’installation ne nécessite pas une souplesse de gymnaste. La superbe sellerie préfère le moelleux au maintien latéral. Elle participe à l’ambiance délicieusement vintage, au même titre que le volant en bois, les commandes à basculeurs (dont les clignotants) ou les cadrans (spécifiques à la marque). La petite touche technophile – invisible – vient de l’installation audio optionnelle utilisant le smartphone en Bluetooth. Aucun écran à l’horizon. Point d’assistance à la conduite : freins, direction, correcteur de trajectoire. Une fois installé et harnaché (simple ceinture, ouf !), le conducteur profite d’une vue imprenable sur le long capot encadrée par les phares ronds. Le mini parebrise ou si vous préférez le gros saute-vent protège les occupants jusqu’à 100 km/h. En cas d’intempéries ou de coup de froid, il existe des portières, une capote et même du chauffage (en option). Mais nous n’en aurons même pas l’utilité, malgré une averse en début d’essai.
Les chiffres (et quelques lettres)
Avant de vous détailler tous les secrets de ce miracle français, il est utile de préciser que tout a été imaginé en interne. Démarrons le tour d’horizon par l’ossature qui pourrait encaisser jusqu’à 400 ch selon son concepteur. Il s’agit d’une baignoire en alu fabriquée à partir de feuilles d’aluminium découpées au laser, pliées, assemblées par emboîtement type tenon mortaise (technique provenant du bois) puis soudées (TIG). Les berceaux avant/arrière en alu sont boulonnés à la cellule centrale pour pouvoir être réparés facilement. L’alignement entre ces trois éléments est vérifié au laser. La suspension se compose quant à elle d’une double triangulation (acier) et de combinés réglages (au choix). Grâce à l’ingéniosité de Hervé Valliet et à l’héritage du modélisme, la triangulation est ajustable facilement via des bagues en polyuréthane remplaçant les silentblocs traditionnels.
Autre élément crucial, le choix du moteur a nécessité de la patience et de belles rencontres. Si le prototype réalisé en 9 mois abritait un 1 litre turbo Fiat (120 ch) grâce à un partenariat avec Milano Racing, le modèle de série s’appuie sur un bloc Peugeot suite à une rencontre fondamentale sur le stand du salon Epoqu’Auto fin 2019. Attirée par le projet, une équipe de Michelin va bouleverser l’histoire de la marque, en fournissant des pneus et de précieux contacts chez son allier Peugeot, prêt à fournir le dossier complet nécessaire à l’homologation… Ce qui représente un budget de 1 000 000 €. L’Isérois a ainsi accès deux moteurs : trois cylindres turbo 1,2 litre ou quatre cylindres turbo 1,6 litre. Le tarif étant voisin et les premiers intéressés réclamant de la puissance, il opte pour le quatre pattes de 225 ch équipant les 508 ou DS7. En raison de la dépollution, le positionnement se trouve rehaussé, d’où la présence d’une grosse écope sur le capot. L’échappement en inox (Club optionnel), lui, comprend un catalyseur, un filtre à particules et se divise en trois (choix purement esthétique) avant de regagner le silencieux oblong. Rassurez-vous, ce bloc chatouille les tympans… Monté longitudinalement, le 1,6 litre turbo est couplé à une boîte à 6 rapports en option et à un autobloquant, tous deux d’origine Mazda (solide réseau de distribution). Avec seulement 680 kg annoncés à sec, la plume se contenterait de 4’’6 pour passer de 0 à 100 km/h et parviendrait à atteindre 230 km/h.
Le truc en plus
Le made in France, sans hésiter ! Hervé Valliet réussit le pari de fabriquer son rêve en s’appuyant sur des sous-traitants locaux et un motoriste français. Si la Mugello ne révolutionne pas le concept du roadster light, elle en propose une vision unique et délicieusement rétro.
Le râleur, il dit quoi ?
Il grogne parce que l’investissement avoisinant les 100 000 € reste lourd et qu’il faut patienter un an en moyenne pour récupérer son joujou ultra-exclusif.
Sur la route
D’emblée, la Mugello se distingue d’une Caterham par sa douceur de fonctionnement. La mécanique se révèle très onctueuse et les 300 Nm déboulent très tôt, ce qui réclame de doser les gaz sur les premiers rapports. C’est certain, des semi-slicks changeraient la donne mais il faudrait faire une croix sur ce déhanché progressif, à l’ancienne. Le 1,6 litre à injection directe claque généreusement au ralenti puis les tympans sont flattés par les grognements à l’admission avant de se délecter du timbre métallique de l’échappement inox à mi-régime. Même si les envolées s’arrêtent tôt (6500 tr/mn), le terrain de jeu est largement suffisant pour s’amuser avant de toucher au petit levier. Un régal ! Le maniement de cette boîte 6 optionnelle réclame juste de s’habituer à l’embrayage brutal. Au fil des kilomètres, la 375F étonne par son filtrage de suspension conciliant. En contrepartie, les mouvements de caisse sont moins canalisés qu’à bord d’une Caterham. Attention, il faut relativiser, on parle d’une plume à la réactivité et à l’équilibre bluffants. Cette progressivité s’associe parfaitement au grip des Michelin et se matérialise aux limites d’adhérence par un peu de sous-virage (voulu sur ce modèle dédié aux essais clients) puis du survirage facile à contrôler, en étant épaulé par l’autobloquant (en option). Inutile de s’affoler quant à l’absence d’aides ! Les freins nécessitent juste de l’anticipation sous la pluie et de la poigne mais moins qu’à bord d’une Caterham. La direction, elle, s’avère lourde seulement à basse vitesse. Quoi qu’il en soit, cette française devient vite une drogue, jamais dure, taillée pour le grand tourisme musclé.
Sur la piste
Nous n’avons pas eu l’occasion d’amener la Mugello à Magny-Cours. Même si cela n’est pas sa vocation première, elle pourrait y briller avec une monte pneumatique et des réglages plus radicaux. Hervé Valliet a la solution et elle se nomme Grand Prix, fêtant les 5 ans du premier modèle Devalliet. Cela se traduit par un look de monoplace (biplace possible sur demande) dotée d’un nez, de grilles d’aération spécifiques et de jantes tôle de 17 pouces recouvertes de Michelin Pilot Sport 5. À bord, le volant en bois disparait au profit d’une jante plus épaisse recouverte de cuir. L’ensemble moteur/boîte/différentiel reste inchangé et le travail s’est concentré sur les trains roulants, plus typés : triangles plus longs, axes de pivots repositionnés, assiette abaissée, amortisseurs/ressorts spécifiques, barres antiroulis plus grosses, disques de freins majorés. La masse chute ainsi de 50 kg (630 kg à sec) et l’accélération gagnerait un dixième de 0 à 100 km/h (4 »5). Les livraisons des 5 exemplaires prévus débuteront en 2026 et le tarif démarre à 118 940 €. Motorsport ne manquera pas de chronométrer cette version plus dédiée à la piste à Magny-Cours.
Les tarifs
La Devalliet Mugello 375F démarre à 88 400 €, ce qui peut paraître déraisonnable au regard de l’usage restreint d’une telle plume. Mais l’investissement vaut le détour en tenant compte des sensations brutes et de l’exclusivité. Seul un deux roues musclé pourra vous en offrir davantage. En sus, le malus français 2025 s’en tient à 360 € ! Hervé Valliet s’est appuyé sur le succès de sa société SORI pour accomplir son rêve et ne court pas après les bénéfices pour ce projet qu’il vendrait prix coûtant. Actuellement, quinze exemplaires ont déjà pris la route et quinze autres sont dans les cartons. Une perle rare française aussi plaisante à moins de 100 000 €, avouez que cela fait réfléchir…