En 1962, une voiture considérée par beaucoup comme la plus grande voiture de course de tous les temps était lancée. Et en mars de cette même année, elle a fait ses débuts en compétition sur circuit. C’était le début d’un voyage pour la Ferrari 250 GTO qui allait la voir devenir la voiture de collection la plus précieuse au monde, mais aussi acquérir une aura mythique qui fait qu’aujourd’hui elle est non seulement seule au panthéon des légendaires modèles de course de Maranello, mais aussi de toutes les voitures classiques.
L’une des raisons en est sa rareté : il n’en existe qu’une poignée d’exemplaires. Par conséquent, en essayer une pour découvrir son caractère unique est destiné à rester un rêve pour tous, à l’exception de quelques chanceux.
Châssis 4115 GT
C’est pourquoi je m’estime heureux d’avoir passé des centaines de kilomètres de plaisir à conduire des 250 GTO. La voiture photographiée ici appartient depuis 40 ans à l’ancien pilote Paul Vestey. Nous l’avons partagée ensemble à de nombreuses reprises lors du Classic Adelaide Rally, à Goodwood et sur la route. Son numéro de châssis est 4115 GT, elle a été vendue neuve par Ferrari au gentleman driver allemand Hermann Cordes qui l’a fait débuter en courses de côte locales en mars 1963, a remporté avec une course mineure à Hockenheim, a terminé 2e à l’AVUS et l’a ensuite revendue à un extraordinaire playboy et architecte de Krefeld nommé Manfred Ramminger.
Tout au long de l’année 1964, Ramminger l’a pilotée pour remporter des victoires (mineures) de classe à Mayence-Finthen et à l’AVUS, avant de la vendre pour la saison 1965 à Werner Lindemann de Dusiburg, qui a remporté avec elle sa classe dans d’autres événements mineurs au Nürburgring et à l’AVUS, et l’a partagée avec Ramminger pour finir 2e de leur catégorie (et 23e au général) dans les 1 000 km de l’ADAC.
Ramminger a ensuite été condamné en tant qu’agent du KGB : en 1967, il a volé un missile Sidewinder sur une base aérienne germano-américaine et l’a expédié à Moscou. Après l’avoir poussé sur une brouette jusqu’à un trou dans la clôture, il l’a chargé dans sa Mercedes, mais comme il s’est aperçu que le missile était trop long, il a brisé la lunette arrière et a laissé dépasser le nez. Il a ensuite placé un morceau de moquette pour en faire un drapeau de signalisation, afin de respecter le Code de la route allemand…
4115 GT est alors passée au Suisse H.P. Burkhardt, puis à Bob Roberts et son Midland Motor Museum à Bridgnorth, en Angleterre. Neil Corner l’a achetée en 1978 et l’a vendue à un ami commun, Paul, en 1981. Depuis, il l’a préservée a parcouru plus de 80 000 km avec.
Avec ces 60 années en perspective, allons donc conduire la voiture.
À bord de la GTO
L’ouverture de la porte de la GTO est assez étroite : pour un homme de taille normale, il est difficile d’y entrer. Les loquets de la portière ont une petite tirette sous le bouton de verrouillage. Vous appuyez sur le bouton avec votre pouce, en croisant la languette avec votre index, et la porte s’ouvre en grand, avec des panneaux en aluminium léger, des garnitures intérieures noires, une pochette assez spacieuse pour ranger les cartes et les road-books, une poignée chromée et un câble de déverrouillage.
Il est préférable de glisser le genou droit en premier sous le volant, sinon vous n’aurez pas assez de place pour vos jambes ensuite. Le dossier incliné du siège baquet à sellerie bleue s’adapte confortablement sous les omoplates. Il est assez difficile de caler les genoux derrière le fameux volant à la fine jante en bois, avec son badge jaune et noir du Cavallino Rampante, mais une fois en placé, c’est très confortable. Le harnais à quatre points se ferme en un clin d’œil. Les pédales sont légèrement décalées vers la gauche, vers l’extérieur, tandis que votre torse est orienté droit devant. Dans la plupart des voitures, les pédales sont déplacées vers la droite pour éviter un passage de roue avant intrusif, mais dans la GTO, on est assis bien en arrière dans l’empattement, le cale-pied étant derrière le passage de roue avant, tandis que le dossier du siège est fermement appuyé contre le passage de roue arrière. Avec le moteur avant et la boîte de vitesses montés à l’arrière, la masse (considérable) du conducteur est placée aussi au centre que possible.
Regardez autour de vous : les vitres latérales coulissantes en deux parties sont en Plexiglas et le pare-brise aux formes arrondies en verre feuilleté. Le levier de vitesse, placé en haut du tunnel central, avec son majestueux levier arqué de machine à sous et sa boule de pommeau usinée, domine totalement le cockpit. Il invite à une utilisation immédiate. Le mouvement est long, environ 15 cm d’avant en arrière, mais il est incroyablement précis, avec un minimum de jeu, et il est maintenu au centre de la grille à six positions par des ressorts.
La marche arrière se trouve côté conducteur, avec la plus légère pression contre un ressort et en avant. De là, pour passer la première vitesse, c’est en arrière, en bas à gauche. Pour la seconde, en avant, en travers au centre, en avant à nouveau, dans une série de coups de poing. La troisième : tout droit en arrière. La quatrième : punchs en avant et en travers. La cinquième : droit en arrière. Et il n’y a guère que la distance qui sépare mon pouce de mon index entre le volant et ce levier de vitesse qui, dans sa position élevée, me donne l’impression d’être assis bas et de devoir presque tendre le bras pour changer de rapport.
L’instrumentation est parfaitement placée. La vision panoramique est très bonne, bien que les panneaux de custode créent des angles morts. Et maintenant : action !
Le V12 crépite
La serrure de contact se trouve à droite du tableau de bord, sur le panneau de commande de la façade. Pompez l’accélérateur. Tournez la clé : les témoins lumineux s’allument. Enfoncez la clé : le démarreur s’enclenche. Le bruit ressemble plus à celui d’un avion qu’à celui d’une voiture : un ronflement puissant et régulier lorsque ces douze petits pistons effectuent leur course, que les distributeurs jumelés situés juste derrière la cloison pare-feu allument leurs bougies et que le V12 Ferrari, célèbre dans le monde entier, se réveille dans un crépitement extraverti. La GTO est plus bruyante à l’intérieur qu’à l’extérieur. Appuyez sur l’embrayage très léger et doux, passez la 1re, et c’est parti. Accélérez, passez en 2e, tirez d’un coup sec en 3e, passez en 4e, tirez en 5e… Et déjà on se sent en terrain connu.
Sur la route, la GTO est agréablement maniable et, en dépit du bruit et des vibrations peu raffinées selon les normes modernes (vous devriez adorer), elle est civilisée, même si elle n’est jamais discrète. Le vacarme angoissant de la distribution, des pignons et de l’échappement rugissant remplit l’habitacle. La conversation avec un passager est difficile, même à vitesse réduite. La caractéristique la plus délicieuse de cette voiture (à part le changement des vitesses à travers la grille exposée) est peut-être son embrayage léger et progressif, suivi de près par la direction qui est légère et pleine de sensations, sans retours excessifs.
Plus vous nourrissez le V12, plus il a faim, et tout dans la GTO se transforme en une surcharge sensorielle.
Mais le cœur de toute Ferrari ancienne est sans aucun doute ce moteur V12, une pièce impressionnante. Imaginez-vous assis là, le levier de vitesse en haut à droite, le tableau de bord ergonomique droit devant et, au-delà, à travers le pare-brise incliné, ces voluptueux gonflements et courbes du capot, entre le bossage en son centre et les ailes. Le tout en croisière sur route ouverte, en 4e vitesse, peut-être à 70 km/h sur un filet de gaz, le moteur grondant comme un avion de chasse de la Seconde Guerre mondiale au roulage.En appuyant délicatement sur l’accélérateur, la voiture accélère en douceur à partir de 2 500 tr/min environ. La route est dégagée : OK, c’est le moment. Tirez le levier vers l’arrière, point mort, vers vous et vers l’arrière pour la 3e… Et appuyez sur l’accélérateur. Passage à 4 000 tr/min : rien de sensationnel dans l’immédiat, juste une poussée progressive vers l’avant. Mais ne pensez pas qu’après toute cette agitation, il ne s’agit « que » d’un V12 de 3 litres vieux de 60 ans. Vous n’avez pour le moment qu’effleuré la surface de ses capacités.
Un bruit assourdissant
Le confort ferme s’adoucit à mesure que la vitesse de la Ferrari augmente. Puis l’aiguille du compte-tour atteint la verticale, à 5 000 tr/min, et c’est presque comme si on appuyait sur un interrupteur. La puissance monte en flèche, pas brusquement, pas avec la charge explosive qu’un moteur moderne pourrait fournir, mais offrant juste un renforcement rapide et implacable de la poussée dans votre dos. Le chant aigu du V12 sortant des extracteurs d’échappement SNAP se durcit brusquement. Il devient un lourd vrombissement crémeux et votre cou commence à se tordre. Maintenant, les haies bordant la route défilent. Le pouls s’accélère. Le bruit est assourdissant. Il y a une note qui monte, comme si elle était à l’intérieur de votre tête, un hurlement résonnant et croissant. Et les vitres latérales en plastique commencent à claquer. À 6 000 tr/min, la GTO a l’impression d’avoir l’arrière rabattu, bien que sa suspension dure et son amortissement ferme ne lui permettent pas de s’affaisser. Maintenant elle accélère comme une furie, l’aiguille passe rapidement de 6 500 à 7 000 tr/min. Changez de rapport, poussez vers l’avant et vers la droite le levier pour le positionner en 4e. La jante en bois du volant, légèrement serrée dans les doigts de votre main gauche, cette note exaltante du V12 de course s’est arrêtée net lorsque vous avez coupé les gaz du bout du pied, puis lorsque vous avez écrasé la pédale de droite en 4e, elle est revenue avec une réponse instantanée. Plus vous nourrissez le V12, plus il a faim, et tout dans la GTO se transforme en une surcharge sensorielle. La voiture semble maintenant s’affaisser (peut-être un effet aérodynamique), sa conduite est plus douce. Nous sommes clairement rentrés sur le terrain de jeu de la voiture, au cœur de sa courbe de couple. L’aiguille s’envole et le paysage passe en trombe. Quant au bruit lorsque celle-ci approche des 7 000 tr/min, ce bruit ! C’est un hurlement ondulant et résonnant qui remplit le cockpit et la peau de vos joues frissonne de bonheur. Le son s’arrête une seconde, c’est le passage en cinquième et la voiture continue d’accélérer alors que l’aiguille du compte-tours continue de monter jusqu’à 8 000 tr/min… Vous voilà au-delà de 270 km/h… Cette charmante vieille dame est l’antithèse absolue de toute voiture électrique pleurnicharde.
Une partenaire, pas une adversaire
Lorsque j’ai conduit une GTO pour la première fois, il y a quarante ans, j’ai écrit que « … le vacarme est indescriptible et les bouchons d’oreilles sont indispensables ». Aujourd’hui, la surdité les rend inutiles. Mais je n’ai aucune idée de comment les copilotes du Tour de France parlaient sans intercom à leur pilote. Ce moteur est indéboulonnable. La boîte de vitesses inspire une telle confiance qu’elle pourrait presque murmurer « 24h du Mans » en encourageant son utilisation. Les freins à disques sont raisonnablement puissants par rapport aux normes de 1962, mais pas trop impressionnants aujourd’hui. À mon niveau de conduite, le châssis m’impressionne toujours par sa stabilité et sa réactivité, bien réglé et sensible à l’ouverture de l’accélérateur et à l’action de cette direction merveilleusement sensorielle. Dans les virages les plus serrés, il est très facile d’induire un sous-virage initial, mais tout aussi facile de balancer la voiture avec l’accélérateur. Tout semble bien équilibré, volontaire et utilisable : la GTO est une partenaire, pas une adversaire.
Mon souvenir le plus vif de la GTO est celle d’une conduite de nuit sur une route de campagne rapide et sinueuse, les phares ambrés sondant l’obscurité devant moi et le profil de ce fameux capot se profilant dans leur lumière. Cette image, ainsi que le bruit des 12 cylindres, l’équilibre de ce châssis classique dans les virages à 110-130 km/h, l’allure musclée de la voiture lorsqu’elle est catapultée dans les longues collines escarpées, et les cris de baryton des passages de rapports dans la nuit sur des routes sèches et désertes, m’ont toujours habité.
Ne vous méprenez pas, la légende de la 250 GTO est entièrement justifiée, même si, malgré toutes les victoires remportées en 1962 et 63, elle n’a pas battu beaucoup de voitures importantes. Avec la GTO, les astres se sont tout simplement alignés (peut-être plus par hasard que par réelle intention), et c’est pourquoi cette légende est toujours vivante aujourd’hui.