J’ai eu la chance d’essayer le SL 55 AMG, premier de la lignée, lors de son lancement. C’était au printemps 2002, du côté de Saint-Tropez entre le fameux Club 55 (évidemment) et les jolies routes de l’arrière-pays varois. Plus qu’un essai, un mini-cannonball encadré par des motards de la police ouvrant la route pour nous permettre de lâcher la bride aux 476 ch sur les petites départementales ! Outre l’escorte invraisemblable (déjà à l’époque), je garde le souvenir ému d’une propulsion bien dans ses grosses baskets, tantôt chaleureuse et docile, tantôt bestiale, dont la poussée dantesque du V8 compresseur n’avait alors guère d’équivalent sur le marché. Songez qu’en 2002, une Ferrari 456 GT se contentait de 442 ch et une Porsche 911 Turbo de 420… Quelques années plus tard, c’est lors d’un road trip au Mont Ventoux que l’équipe de Motorsport tomba sous le charme sensuel du SL 63 de 525 ch, un tatoueur d’épingles hors pair au V8 atmo enchanteur. AMG a depuis toujours excellé dans l’art de transformer de paisibles bourgeoises étoilées en machines rebelles et frissonnantes. Seulement l’exercice, aussi savoureux soit-il, a ses limites, notamment en termes d’efficacité pure.
Plateforme inédite
Mercedes a décidé de s’en affranchir en confiant l’intégralité de la conception du nouveau SL aux énervés d’Affalterbach. Après l’AMG GT, le célèbre préparateur assoit son statut de constructeur avec l’AMG SL. Le dossier de presse est clair : structurellement parlant, les deux autos ne partagent pas la moindre pièce. Nous avons affaire à une toute nouvelle voiture reposant sur une plate-forme inédite. À l’aluminium de la coque et des trains roulants (bras forgés) se mêlent du magnésium pour la planche de bord et de l’acier haute résistance au niveau du pare-brise. La caisse nue ne pèse que 270 kg et présente une résistance à la torsion supérieure de 18 % à celle de l’AMG GT Roadster. La rigidité transversale progresse quant à elle de 50 % !
C’est du sérieux, sur le papier et au volant. Rien ne bouge, rien ne craque, rien ne se tortille lorsqu’on commence à chatouiller la bête sur une petite route de campagne à peine plus large qu’elle. Le SL 63 AMG vire d’un bloc tel un roc posé sur un tapis volant. Je ne crois pas avoir déjà vu une voiture capable de filtrer à ce point les aspérités de la chaussée et préserver un tel confort de roulage tout en assurant une efficacité d’un tel niveau, le tout cheveux au vent. La clientèle raffinée et paisible de l’ancien SL 500 peut être rassurée : le cabriolet 100 % AMG ne bascule dans une aucune forme de brutalité outrancière. C’est tout l’inverse. Jamais un produit d’Affalterbach ne m’a semblé aussi sage et bien élevé de prime abord.
Sa fausse nonchalance, son efficacité froide laissent place à de joyeuses attitudes
Débauche technologique
Depuis un cockpit aussi douillet qu’ultramoderne, on plonge dans les méandres de la personnalisation des modes de conduite aux combinaisons infinies, à la recherche d’un peu moins de douceur, de calme et de sérieux. Les gènes du panache et de l’excès qui composent l’ADN d’AMG semblent ici dilués, entre débauche technologique et souci maladif de perfection. Même en mode “Race”, le plus radical, la voiture adopte un jeu de jambes sportif, certes, mais tout en souplesse. Verrouillés au maximum, les amortisseurs pilotés à double chambre (compression et détentes) continuent de faire des merveilles. Ils sont tous interconnectés hydrauliquement et travaillent de concert avec des barres antiroulis actives. À la clé : des mouvements de caisse bien présents mais toujours maîtrisés et une précision de conduite optimale, qu’importe le terrain de jeu.
Sur notre portion de route favorite aux faux airs de spéciale de rallye, non loin de Magny-Cours, le gros roadster avale les obstacles avec une facilité troublante. La transmission intégrale intelligente, le différentiel arrière piloté et les roues arrière directrices (rien que ça) jouent également dans ce domaine un rôle prépondérant. Avec 4,70 m de long pour un empattement de 2,70 m, le gabarit du SL se place entre celui d’une AMG GT et d’une M8 cabriolet, sa rivale la plus directe. Tandis que ladite BMW est annoncée pour 2 010 kg, la Mercedes est donnée pour 1 895. La balance de notre partenaire W-Autosport affiche quant à elle 1 946 kg. Mercedes insiste pourtant sur les efforts en matière de légèreté, ceux-ci ayant d’ailleurs conditionné le choix d’une capote souple (-21 kg), une première dans l’histoire du SL depuis des décennies. Le centre de gravité s’en trouve abaissé au passage. Nous restons au volant d’une belle enclume mais soyons honnête, le SL des temps modernes n’a jamais été un poids plume. En 2002, je me souviens d’avoir pesé le 55 avec ses seules roues arrière motrices à 1 987 kg…
Transmission intégrale imposée
Le dernier bébé d’AMG, très rationnel, a tourné le dos à la pure propulsion, mais pas à la propulsion tout court. Entendez par là que la poupe reste la première cible du couple monstrueux (plus de 785 Nm !), cela afin de préserver un minimum de swing en toutes circonstances. Plus, par exemple, qu’au volant d’une M8. Il n’existe ici pas de mode drift permettant de débrayer les roues avant comme sur l’AMG GT 4 portes. Ce n’est pas la philosophie de ce modèle tourné avant tout vers le raffinement et la performance.
Du côté de Lurcy-Lévis, le luxueux roadster a l’outrecuidance de surclasser d’un dixième le bestial coupé AMG GT-R au mille mètres départ arrêté, expédié en 20”6. Oubliez en revanche la voix d’outre-tombe à bas régime, le hurlement dans les tours et les terrifiants crépitements au lâcher de gaz. Les deux autos affichent la même puissance (585 ch) mais pas la même ligne d’échappement, pour le plus grand regret des accros au fameux timbre AMG. N’y voyez aucun lien avec la musique, mais le bloc du SL, code M177, n’est pas exactement celui, à carter sec, du M178 développé pour la GT. On retrouve ce 4,0 litres biturbo et sa remarquable boîte 9 automatique sur l’ensemble de la gamme AMG mais également chez Aston Martin. Pour mémoire, l’ancien SL était lui propulsé par un 5,5 litres aussi puissant mais encore plus coupleux : 900 Nm ! Pas de surenchère donc, mais je vous rassure, les 800 Nm du nouveau font parfaitement le job, d’autant qu’ils sont pleinement exploités par la transmission intégrale. Les décollages sont fulgurants avec un 0 à 100 km/h réalisé en 3”6. Le niveau d’accélération est comparable à celui d’une Porsche 992 Carrera S. La Turbo, elle, joue dans une autre catégorie. Pour mieux fendre l’air, le SL profite d’un Cx soigné (0,31) et d’une aéro active. Celle-ci comprend des lamelles amovibles cachées derrière le bouclier et un becquet arrière se déployant avec une inclinaison variable dès 80 km/h.
Révélation
Notre modèle d’essai affiche pour environ 18 000 € d’options mais Mercedes France n’a pas opté pour l’enregistreur de données AMG Track Pace (300 €). Le fait que ce dernier soit tout de même proposé au catalogue est déjà un signe encourageant. Que le SL soit capable de briller sur circuit n’apparaît pas comme une évidence après une journée passée à son volant sur route. Avant de poser les pneus à Magny-Cours Club, je ne doute pas de la rigueur du châssis ni de la capacité à exploiter les 585 ch. Je crains juste l’ennui… Mais voilà qu’au premier virage, c’est la révélation ! Le SL ne mue pas en AMG GT-R mais sa fausse nonchalance, son efficacité froide laissent place à de joyeuses attitudes, entre sous-virage parfaitement maîtrisé et beau déhanché à l’entrée comme à la sortie. Même si la direction manque de consistance, l’auto répond au doigt et à l’œil, freine fort et incite à tutoyer puis à repousser les limites. L’équilibre remarquable des masses (54/46 %) et la finesse de mise au point du châssis autorisent un pilotage généreux, tandis que la transmission intégrale assure un compromis idéal entre agilité et efficacité. Saluons la prestation des excellents Michelin Pilot Sport 4S, décidément une référence dans leur segment. Les sensations restent feutrées mais le plaisir et là. Le chrono aussi. L’imposant roadster tourne en 1’21”23. C’est une demi-seconde de mieux qu’une AMG GT-S et surtout, une seconde plus vite que le coupé BMW M8 équipé des mêmes pneus. Certaines vitesses de passage, notamment dans les courbes rapides, sont dignes des meilleures supersportives ! C’est dire l’excellence du nouveau châssis développé par AMG, et cela permet de relativiser la note, pas si salée au regard du bagage technologique embarqué et des performances proposées.