Lorsqu’un essai presse a lieu, il réunit aussi bien les médias papier, télé, ou internet. Certains ont quelques privilèges dus à leur rang avec des sessions et des temps sur place plus longs mais la plupart d’entre nous profitons de conditions assez proches. Mais pas forcément équivalentes. Avec une conséquence directe sur le récit des essais que vous lisez ensuite.
Temps de roulage de plus en plus réduits
Certes, il y a fort longtemps que les modèles les plus exclusifs des marques prestigieuses ne sont essayés que sur quelques tours de circuit mais la tendance prend de l’ampleur. L’intérêt des services de communication des constructeurs est évidemment de toucher le plus de médias dans le temps le plus court possible. Pour améliorer cette « rentabilité » la tendance est depuis plusieurs années à la réduction des temps de roulage jusqu’à un niveau qui commence à confiner au ridicule (sans parler des interdictions de désactivation des ESP). Entendons-nous bien, il est évident que la plupart d’entre vous seraient heureux d’être à notre place mais il faut rappeler que tout cela n’est pas qu’un plaisir car l’objectif est d’ensuite sortir un essai qui doit être le plus complet et le plus étayé possible.
Pour illustrer, les derniers essais presse de l’Alpine A110 R proposaient en plus d’une boucle routière d’une heure trente à partager à deux, 5 tours du circuit de Jarama dont un tour de reconnaissance et un tour de refroidissement, soit seulement trois tours effectifs. Nous avions droit au même format pour le dernier essai de l’Audi R8 GT et de la RS3 Performance mais cette fois-ci, nous n’avions même pas d’essai routier de prévu ! Pour l’Audi RS4 pack Competition, là aussi, c’était trois tours mais l’essai avait lieu sur le superbe circuit Ascari dans le sud de l’Espagne. Mais la joie s’est vite éteinte car, d’une part, nous n’avions qu’un peu plus de la moitié du tracé à disposition, et d’autre part, nous devions absolument passer par les stands, au pas, à chaque tour. Comment voulez-vous juger une auto qui dispose de plusieurs modes de conduite et d’un ESP réglable sur au moins trois positions, en tout juste une dizaine de virages ? Dans le cas de l’essai de la Peugeot 508 PSE, il y avait fort heureusement un essai routier mais les quelques tours prévus sur le circuit Bugatti au Mans confinaient au manège pour enfants puisque la ligne droite des stands ainsi que les chicanes opposées devaient être parcourus à vitesse lente (!).
L’importance du lieu et du moment
Dans ce contexte déjà difficile, un autre paramètre important peut jouer : la météo et les conditions de piste. Très souvent, les médias sont divisés en deux groupes et pendant qu’un des groupes effectue les essais sur circuit, l’autre part sur la boucle routière. Et si vous essayez une auto sur circuit le matin ou l’après-midi, cela peut tout changer. C’est encore pire évidemment si la pluie s’invite en milieu de journée.
Sur l’Alpine A110 R, le groupe qui s’est retrouvé sur circuit le matin a dû composer avec une température proche de 0°. Et dans ces conditions, et sur seulement trois tours, impossible de mettre en température les Michelin PS Cup 2 de l’auto qui ne fonctionnent pas sous les 7/8°. Sur l’A110R qui est une propulsion, c’est l’arrière qui chauffe logiquement plus vite que l’avant, résultat, l’auto entrait dans les courbes à peu près correctement mais sans jamais déstabiliser la poupe tandis que le nez élargissait dès la remise des gaz. L’après-midi, changement de tableau, les journalistes ont découvert une auto au nez nettement plus accrocheur et à l’arrière-train beaucoup plus remuant. Résultat, Carfans, mais aussi EVO ou Motorsport (ou la Minute Mécanique) parlent d’une auto à la poupe vissée au sol et difficile à mettre en dérive tandis que l’après-midi l’Argus, The gloved driver et les télés ont eu droit à une auto nettement plus joueuse. Je me souviens aussi d’un essai Audi RS3 LMS sur le Paul Ricard où le givre présent le matin dans Signes la faisait décrocher subitement, contrairement à l’après-midi où elle était d’une stabilité absolue.
Sur l’essai de l’Audi RS3 Performance, ce fut encore différent puisque suite à des averses tombées dans la nuit, le staff Audi a cru bon de troquer les Pirelli Trofeo R l’équipant de série pour des pneus plus conventionnels qui dénaturaient totalement le comportement de l’auto (alors que la piste était quasiment sèche). Le groupe de l’après-midi a évidemment eu droit aux Trofeo R et à une auto totalement différente. Heureusement que certains journalistes jettent un oeil aux pneus qui équipent l’auto qu’on leur donne…
Par ailleurs, si vous lisez EVO, vous aurez noté que les journalistes précisent régulièrement que leur avis devra être complété après un essai sur leurs routes habituelles. C’est le cas aussi pour Motorsport qui récupère les autos après les essais presse pour les emmener sur leur base de mesures de Magny-Cours. En effet, lors des essais presse organisés par les constructeurs, ils n’ont aucunement intérêt à faire essayer leur auto sur des tracés qui ne mettent pas leur voiture en valeur. Les routes sont généralement choisies pour correspondre parfaitement aux caractéristiques de la voiture, ce qui est fort compréhensible. Et la même auto essayée sur les magnifiques routes ensoleillées du sud de l’Espagne ou sur les routes étroites et bosselées d’un Pays de Galles pluvieux, n’a pas du tout le même comportement.
L’urgence internet
Si une publication sur papier plusieurs semaines après l’essai permet de prendre un peu de recul avant d’écrire le sujet et donc de découvrir certaines incohérences avec ceux des collègues, les règles du référencement internet privilégiant les premiers articles publiés, tous les médias internet se pressent pour sortir le plus rapidement leur sujet. Dans ce cas, on reste sur son impression à chaud, pas forcément la plus juste.
Notez que des embargos imposent de plus en plus souvent une date et une heure de sortie commune à tous les médias, évitant ainsi le rush.
L’influence rémunérée
Autre paramètre qui peut aussi inciter à la méfiance, pas mal d’influenceurs et youtubeurs demandent à être payés par le constructeur pour venir sur des essais. Inutile de dire que dans ce cas, l’objectivité n’est pas tout à fait la même que celle d’un journaliste. Il faut donc être vigilant et bien distinguer les youtubeurs/journalistes de ceux qui sont rémunérés par le constructeur pour effectuer l’essai.
Mais tu râles ou je rêve ?
Non, pas du tout (enfin, un peu quand même). Le but de cette chronique est de dire qu’en tant que lecteur amateur de sportives, lorsque les premiers essais sortent après un lancement presse, il est impératif de ne pas se contenter d’un seul point de vue. D’une part, il est évident que chaque essayeur n’a pas la même sensibilité mais pour se faire un avis objectif, vous avez compris que le temps de roulage étant de plus en plus réduit sur ces lancements et que les conditions n’étant pas équivalentes pour tous, les conclusions peuvent différer. Dans le cas précis de l’essai de l’Alpine A110 R, vous pouvez donc découvrir plusieurs essais qui décrivent une auto très différente ! Sans que personne ne mente.
Bref, la conclusion de tout ça est que les récits d’essais de lancement reste la plupart du temps des premières prises en main très parcellaires et incomplètes. D’autant plus si une vidéo doit être réalisée dans le même temps. Il faut donc ne pas se contenter d’un seul média mais aussi privilégier les essais et les comparatifs, forcément plus complets, réalisés après ces lancements presse. C’est essentiel. Bref, ne soyez pas trop exclusifs dans vos lectures, ni trop pressés dans votre envie de savoir, connaître véritablement une auto demande un peu de temps, et c’est bien ce dont nous manquons dramatiquement sur les premiers essais.