L’orgueil est un puissant moteur. Un V6 biturbo de 630 ch dans le cas présent. Révolutionnaire selon Maserati pour qui le “fait maison” revêt désormais plus d’importance dans son usine historique que dans la cuisine d’une Trattoria de Modène. Emmenée depuis 2019 par Davide Grasso, ex-P.-D.G. de Converse, c’est une équipe bien dans ses baskets qui clame haut et fort son indépendance, tout en y mettant les formes. Celles d’une GT à moteur central : basse, large, sensuelle, racée et subtilement agressive, baptisée MC20 pour “Maserati Corse 2020”. Voilà qui nous renvoie l’image merveilleuse de la MC12 de 2004 (12 pour le nombre de cylindres) d’autant que les deux autos affichent un poids similaire et exactement la même puissance. Sauf qu’aussi flatteuse que soit cette référence à l’iconique hypercar conçue pour la course sur base de Ferrari Enzo, celle-ci incarne une époque où le destin de la marque était intimement lié à celui de sa voisine de Maranello. Et ce rapprochement, Maserati n’en veut plus, au point d’avoir fièrement rompu le contrat avec le cheval cabré pour la fourniture de ses moteurs à compter de 2021.
Pari osé
Un pari respectable mais osé lorsque l’on sait l’expertise et les coûts de développement que réclame la conception d’un bloc maison… et du reste. Les ingénieurs du Maserati Innovation Lab, créé en 2015 après l’annonce du plan ambitieux de Sergio Marchionne (ancien patron du groupe FCA décédé en 2018), sont partis d’une feuille blanche. Il est vain de chercher une quelconque proximité avec la F8 Tributo. La conception de la première Maserati de “grande série” à moteur central depuis la Bora (1971) se rapproche d’ailleurs bien davantage de celle d’une McLaren. Le châssis s’articule autour d’une large baignoire en carbone pesant 108 kg (82 kg pour la coque McLaren) conçue avec le soutien de la noble maison Dallara et fabriquée à la main chez Tecno Tessile Adler, près de Naples, comme le furent la coque de l’Alfa 4C et celle de LaFerrari.
Deux faux châssis en aluminium de part et d’autre de la cellule centrale complètent une structure conçue pour s’adapter facilement aux versions Cielo (lancée l’an dernier) et 100 % électrique (annoncée pour cette année). Seuls quelques points d’ancrage ainsi que l’orientation des fibres de carbone changeront pour optimiser la rigidité de chaque modèle. L’ouverture en élytre de la porte en carbone dévoile la coque et la roue avant. Comme chez McLaren, l’apport en termes d’exclusivité fait mouche. On croit plonger tête baissée dans le monde fabuleux des supercars même si la MC20 se veut en réalité plus proche, nous allons le voir, de celui du Grand Tourisme.
On s’imagine parti pour un corps à corps endiablé. On découvre une partenaire douce et bien élevée, presque distante au premier abord
Malgré un toit plus bas de 8 cm que celui d’une 911, l’accès au cockpit est particulièrement aisé. Un baquet conçu par Sabelt vous y accueille confortablement. La position de conduite est remarquable et l’espace offert aux deux seuls occupants plutôt généreux. Dans l’air du temps, le design du mobilier drapé de cuir et d’Alcantara est épuré, de bonne facture mais sans grande originalité. Passons rapidement sur la tablette centrale accrochée au tableau de bord ou encore l’instrumentation virtuelle comme on en voit partout ailleurs, et concentrons-nous sur la petite molette qui tombe naturellement sous la main droite. Celle-ci permet de choisir entre quatre modes de conduite, de déconnecter l’ESP (en cinq secondes) et de dissocier la raideur d’amortissement des autres paramètres grâce au bouton central. C’est simple, clair et efficace comme dans peu de voitures de sport modernes. La rétrovision serait quasi nulle si le rétroviseur central n’était pas équipé d’un écran relié à une caméra filmant vers l’arrière. Bluffant.
Changement de ton
La clé dans la poche, on procède à la mise à feu en pressant le bouton Start placé sur le volant à jante épaisse. C’est à ce moment précis que ceux qui possèdent ou ont possédé une Maserati juste pour sa musique auront les yeux mouillés… Le V8 atmosphérique enchanteur des GranSport et autres GranTurismo a pour descendance un V6 biturbo de seulement 3 litres de cylindrée dont le timbre ne rend pas justice à son rendement surnaturel. Celui-ci culmine à 210 ch/litre, à comparer aux 174 du flat-6 de la 911 Turbo S ou aux 189 du V8 de la F8 Tributo ! Point de turbos géants (au contraire) pour atteindre une telle valeur, mais une botte secrète utilisée sur les V6 suralimentés des F1 contemporaines. Une préchambre de combustion dont Maserati est le premier constructeur à proposer une application sur un moteur à essence de série, et cela sans l’aide, nous dit-on, d’un équipementier.
Baptisé MTC (Maserati Twin Combustion), le principe repose sur l’intégration d’une préchambre de combustion surplombée par une première bougie. Il s’agit d’une pièce métallique allongée d’une poignée de centimètres, couleur cuivre, dont le volume est cinquante fois plus petit que celui de la chambre principale. Une infime partie du mélange air/essence comprimé par le piston s’y engouffre via des petits trous puis explose en formant autant de torches venant enflammer la chambre principale et provoquer un feu d’artifice assurant une combustion plus rapide, plus complète et même moins chaude. Le dispositif est complété par une deuxième bougie greffée latéralement au cylindre, celle-ci pouvant prendre le relais à faible charge, lorsque la préchambre n’est pas nécessaire. Cette technologie permet l’adoption d’un taux de compression exceptionnellement élevé pour un moteur suralimenté (11,0:1).
V6 Nettuno
Retenez que ce concept révolutionnaire permet à lui seul le gain d’environ 120 ch et une baisse de la consommation de 3 %. Cela valait bien une petite rallonge de 150 euros par moteur pour l’ajout de six bougies et autant de préchambres. Doté en prime d’une double injection (directe à 350 bars et indirecte), d’une distribution variable dernier cri et d’un carter sec, ce bloc ultra-compact baptisé Nettuno (rapport à Neptune et son fameux Trident) développe 630 ch. Une puissance dans la bonne moyenne du segment tandis que le poids de la MC20 se situe, lui, dans la très bonne moyenne. 1 475 kg dans la configuration la plus légère, c’est 165 de moins qu’une 911 Turbo S, 55 de moins que la McLaren GT mais 40 de plus que la F8 Tributo pourtant dépourvue de coque carbone. Comme quoi…
En douceur
Au volant de cette créature aux caractéristiques balistiques, on s’imagine parti pour un corps à corps endiablé dans les collines d’Emilie Romagne. On découvre une partenaire douce et bien élevée, presque distante au premier abord. La direction à assistance électrique est directe et précise, mais très légère, non sans rappeler celle d’une Ferrari. Ceux qui misent sur le volant pour sentir le grain de la route et la moindre variation de grip préféreront le feeling proposé par Porsche ou encore mieux, McLaren. D’une coque carbone, on attend la beauté, la légèreté, la sécurité mais aussi l’impression d’être connecté au châssis, de sentir chaque pulsation de la mécanique. C’est le cas, là encore, chez McLaren mais pas ou disons trop peu à bord de la MC20. Du point de vue d’un ingénieur, filtrer aussi efficacement les vibrations mérite une médaille. De celui d’un épicurien en quête d’émotions, ce sont des frissons sacrifiés sur l’autel d’un niveau de confort que l’on ne cherche pas forcément au volant d’une berlinette italienne à moteur central.
L’ambitieuse Maserati a le trident qui raye le parquet mais ne dynamite pas la catégorie. Elle y entre avec une finesse qu’elle conserve en mode Sport ou même Corsa. Les débattements généreux de la suspension combinés au remarquable amortissement piloté magnéto rhéologique (comme chez Ferrari) effacent les défauts de la chaussée et participent activement à une docilité épatante. Sur des routes pas beaucoup plus larges qu’elle, la MC20 se faufile tel un félin, souple, agile et très, très rapide. On aurait presque tendance à l’oublier tant il reste discret et linéaire, mais le V6 pousse monstrueusement fort à tous les régimes. “Supercarré” (alésage supérieur à la course) et doté de petits turbos soufflant à 2 bars, le moteur made in Modène répond sans préavis et adore prendre des tours. On guette une note ensorcelante à l’approche des 8 000 tr/mn et les crépitements d’un 14 Juillet à la descente des rapports, mais on ne trouve rien de mieux à se mettre sous le tympan qu’un feulement lointain. Ces satanés filtres à particules ne sont pas innocents. On en a vu couper les cordes vocales de la F8 Tributo et de tant d’autres sportives.
Faute de chanter, la Maserati enchante par ses performances, sa force tranquille et la confiance qu’elle inspire. Avec 59 % du poids sur l’arrière, des voies extra-larges et des baskets sur mesure signées Bridgestone, la motricité n’est mise en défaut que si on le désire puissamment. Même chose en matière d’équilibre. Combinée au plus grand empattement de la catégorie (2,70 m), la très élaborée suspension à triangles superposés (dite semi-virtuelle) assure une stabilité remarquable même lorsqu’on rentre (trop) fort dans un virage qui se referme. Ni réaction parasite ni piège, la berlinette sous-vire d’abord gentiment pour calmer le jeu avant d’enrouler sans faire de zèle.
L’ambitieuse Maserati a le trident qui raye le parquet mais ne dynamite pas la catégorie
Un peu de zèle ne fait pourtant pas de mal, surtout quand c’est bien fait. Je pense à la magie que dégagent ces Ferrari modernes aussi sauvages que simples à apprivoiser. La MC20 ne dispose pas encore d’une telle maîtrise de l’électronique au service des acrobates du dimanche mais elle a le mérite de rester prévenante, précise et équilibrée à des limites que nous avons pu tutoyer sur l’Autodomo di Modena. Quatre tours de ce tracé sinueux confirment la tendance sous-vireuse entraperçue sur la route. Rien de bien méchant. Il suffit de garder tard les freins et prendre l’accélérateur tôt pour rendre la poupe active et lâcher la grosse cavalerie. Au tour du différentiel piloté (2 400 €) de gérer la montagne de couple disponible dès 3 000 tr/mn.
Sacrée catapulte
La boîte double embrayage à huit rapports se montre rapide et efficace, mais pas au niveau de ce que l’on trouve chez Porsche, Ferrari ou McLaren. Fait amusant, cette transmission fournie par Tremec équipe également la Corvette C8. Même si le mode launch control assure un décollage éclair, les performances stratosphériques annoncées semblent difficiles à réaliser… 2”88 de 0 à 100 km/h, c’est deux centièmes de mieux qu’une F8 Tributo de 720 ch ! Qu’elle soit ou non capable d’un tel exploit, la MC20 reste une sacrée catapulte puissamment stoppée par des freins carbone céramique (option à 12 000 €) dans lesquels il ne faut pas hésiter à taper fort.
Un circuit de plus grande envergure serait nécessaire pour apprécier le fruit des 2 000 heures passées dans la soufflerie de Dallara. Afin de préserver la pureté de la ligne et le coefficient de pénétration dans l’air, Maserati a tout misé sur le dessin du fond plat, du diffuseur et des bas de caisse pour créer de l’appui. Et ça marche, avec 100 kg générés à 200 km/h. C’est autant qu’une McLaren 600 LT à 250 km/h et plus que la précédente 911 GT3.
Pour quel résultat chrono en main ? C’est ce qu’il nous tarde de voir sur nos bases de mesures. Avec un prix de base de 220 000 € à sa sortie en 2021 (et plus de 321 000 € pour notre modèle d’essai !!!), la MC20 n’a pas vraiment le droit à l’erreur. Rien qu’en cochant l’option freins carbone-céramique, en série chez les concurrentes, elle dépasse le prix d’une 911 Turbo S, d’une Huracán EVO RWD, d’une McLaren GT et atteint celui d’une Ferrari F8 Tributo.