COMMENT BATTRE LA NOUVELLE PORSCHE 911 GT3 ? Alors que je dirige le museau saillant d’une McLaren 600LT plein nord sur une route défoncée par les rudes hivers de cette région entre l’Écosse et l’Angleterre, j’ai le sentiment que cette question ne va pas seulement m’obséder durant les deux prochains jours mais qu’elle occupe aussi le cerveau des ingénieurs et des pilotes essayeurs de toute la planète depuis plusieurs années.
Alors que je file dans la svelte McLaren, John Barker hausse le rythme dans la Nissan GT-R Nismo pour rejoindre notre point de rendez-vous. Le coupé japonais aux lignes anguleuses semble énorme à côté de la LT minimaliste, mais sa principale préoccupation est comme pour beaucoup d’aller chercher des noises aux Porsche GT3 de toutes générations. On ne sait pas encore si elle y parvient avec la dernière mouture mais il est d’emblée évident que l’équipe derrière sa conception était obsédée par une chose : extraire la moindre once de performance possible de ce package. Bref, je suis assis derrière un pare-brise plus fin de 0,5 mm que celui de la 570S et roule sur des jantes forgées ultra-légères économisant 17 kg, fixées par des écrous en titane qui font gagner… 420 g. La vision vers l’extérieur, typique des McLaren, est toujours aussi extraordinaire mais les montants de pare-brise m’empêchent de voir les ouvertures découpées sur les ailes avant. Celles-ci réduisent les perturbations aérodynamiques autour des roues, permettent d’extraire l’air chaud et font gagner 1,2 kg. On trouve d’autres modifications mais ces dernières suffisent à montrer l’implication requise pour espérer exister sur un segment largement dominé par les 911 GT3.
La Nismo est également entièrement vouée à la performance et ce depuis de longues années durant lesquelles elle n’a cessé d’être améliorée par petites touches. Ses jantes forgées sont 25 g plus légères que les précédentes, les sièges sont 20 % plus rigides et 1,4 kg plus légers même si, comparés aux baquets à coque carbone de la 600LT repris de la Senna, ils ressemblent à des fauteuils de salon. Mais malgré ça, la Nismo a tout bon. Toit en carbone, aéro optimisée, nouveaux turbos améliorant le temps de réaction, une rainure de moins sur les Dunlop pour augmenter de 11 % le contact au sol et, grâce à l’allègement offert par l’adoption des freins carbone-céramique, la suspension réglable signée Bilstein gagne 5 % en détente et 20 % en compression. Malgré cela, je pense que l’autoroute en mauvais état doit secouer John alors que nos chemins se préparent à converger.
Sans rivale
La 992 GT3 nous attend. Elle va manquer de munitions mais c’est délibéré. En vérité, nous savons tous que dans sa gamme de prix (173 562 euros), aucune rivale ne fait le poids. Nous avons donc convoqué deux voitures très différentes mais elles aussi entièrement dédiées au circuit pour mettre en lumière les éventuelles faiblesses de comportement ou un quelconque manque de caractère de la GT3. Voilà pourquoi nous lui opposons la GT-R Nismo affichée à 223 000 euros et la 600LT qui n’est certes plus en production mais que l’on trouve encore en quasi neuf à partir de 250 000 euros. Notre version est un Spider parce qu’aucun coupé n’était disponible mais objectivement, les quelques dizaines de kilos qu’ajoute le mécanisme du toit ne changent en rien le comportement de l’auto. Toutes deux produisent 600 ch et plus de 600 Nm de couple contre seulement 510 ch et 470 Nm à la nouvelle GT3.
Difficile d’expliquer à quel point la connexion avec la GT3 est instantanée
Bref, le combat s’annonce rude pour la Porsche qui, malgré ses deux turbos et près de 100 ch de moins que ses rivales, paraît toutefois totalement concentrée sur son objectif premier et sacrément assurée lorsqu’elle gronde sur le parking dans sa teinte blanche très typée course, posée sur des pneus à peine striés scotchant le moindre gravier dans leur gomme tendre avant de le projeter dans le passage de roue. La rumeur dit que l’objectif de la nouvelle GT3 était d’être au niveau de la GT3 RS précédente. Là maintenant tout de suite, je suis tenté d’y croire. Mais Jordan qui l’a convoyée jusqu’ici en sort frais et en pleine forme alors qu’il vient de rouler plus de 6 heures pour nous rejoindre. « Je ne la trouve pas très cassante. Elle est fantastique pour les longs voyages. » Oh bon sang. Le seul défaut que j’imaginais après avoir lu les premiers essais de l’auto vient de s’évaporer en un instant. OK, c’est bon, la GT3 a gagné, on peut plier bagage et rentrer à la maison.
Une fraction de seconde plus tard, John sort de la GT-R avec un air ravi. Peut-être que nous devrions rester en fait… Nous avons roulé sous la pluie durant une bonne partie du trajet et comme nous avons droit maintenant à du soleil et de la chaleur, cela doit influer sur son état d’esprit mais je subodore qu’il s’agit d’autre chose. « Quel engin fabuleux. Et j’ai découvert cela par accident. J’avais sélectionné le mode Confort pour la suspension mais je le trouvais trop souple, avec beaucoup de mouvements verticaux. Ce n’était jamais cohérent. Et c’est un peu par désespoir que j’ai essayé le mode R. Et soudain, tout s’est mis en place. Plus de contrôle, un amortissement fin qui absorbe la route, beaucoup de grip et de performance. C’est formidable ! » La chose la plus intrigante pour moi fut de voir combien John était surpris par la GT-R, une auto que nous connaissons depuis si longtemps. « Celle-ci est différente, il m’a fallu un peu de temps pour m’en apercevoir. »
Je suis également un peu surpris de mon côté. La McLaren est un engin réellement fabuleux à conduire, même lors de longs trajets sur autoroute et dans ces superbes baquets empruntés à la Senna qui étaient pourtant assez pénibles dans mon souvenir. Mais il s’agissait de modèles destinés aux USA et donc de versions XXL de ces sièges dans lesquels on nageait littéralement. Après une session un peu rythmée, on sortait de là avec des douleurs partout mais ce n’est pas le cas de ceux-ci, bien plus étroits et destinés à l’Europe. Beaucoup plus étroits même, notamment à certains endroits précieux (pas aux épaules, plus bas). Mais cela n’empêche pas la LT d’être fantastique, fluide et aérienne à conduire. La visibilité, la direction au ressenti splendide, la suspension, tout vous connecte à la route de façon presque hypnotisante. Même si elle ne faisait que 450 ch, elle créerait des souvenirs inoubliables à son pilote. Mais elle fait beaucoup plus. Lorsque les turbos s’activent et que vous avez la place suffisante pour les laisser s’exprimer, son comportement dynamique devient une vraie drogue, un pur shoot d’adrénaline. Quel engin ! Mon seul souci est que McLaren a choisi d’équiper ce modèle-ci de pneus très “sages”. La 600LT peut être équipée de Trofeo R dans le meilleur des cas mais l’auto que j’ai dans les mains évolue sur des gommes, non pas d’un mais de deux steps inférieurs. En effet, elle ne chausse même pas de P Zero Corsa mais des P Zero “tout court”. Et si cela doit lui donner une mobilité sympathique, je m’inquiète un peu de la perte en termes de précision et surtout de leur tenue face à l’opposition du jour. Lorsque tournent autour de vous une Nissan GT-R Nismo et une Porsche 911 GT3, ce n’est pas forcément la monte pneumatique idéale.
Au volant de la 911 GT3
Mais il est temps, notre GT3 attend. Vous la connaissez déjà : flat-6 4,0 litres atmo qui grimpe à 9 000 tr/mn pour donner 510 ch, boîte PDK 7 rapports, pack Clubsport sur ce modèle qui comprend un demi-arceau pour le look, du carbone pour le capot et l’aileron arrière, des vitres minces, tout cela pour un poids de 1 435 kg (1 418 kg pour la boîte manuelle), appui aérodynamique augmenté de 50 % par rapport au précédent modèle et même de 150 % si vous adoptez les réglages maxi réservés à la piste du splitter avant et de l’aileron arrière réglables, Michelin Pilot Sport Cup 2 en 255/35 ZR 20 à l’avant et 315/30 ZR 21 à l’arrière et liaisons rigides pour la suspension qui adopte une double triangulation à l’avant comme sur la RSR de course. Aucun élément de suspension de la GT3 n’est commun avec les 911 Carrera ou Carrera S. Pas un. On se laisse tomber au fond du baquet et tout semble au bon endroit. Les sièges à coque carbone optionnels (5 400 euros) vous vont comme un gant, le volant est aux bonnes dimensions en diamètre comme en épaisseur, et même si l’écran central peut sembler incongru dans une telle auto, la simplicité et l’élégance qui émanent de cette GT3 la distinguent de la Nissan un peu datée et de la LT plus voyante. Le sélecteur de boîte façon “rasoir électrique” de la génération 992 a disparu au profit d’un levier nettement plus satisfaisant que l’on peut utiliser en mode Manuel. Tout respire la qualité et la discrétion, bien plus que dans n’importe quelle autre 992, comme si tous les équipements futiles ou de luxe (pléonasme ?) étaient partis en fumée après que la 992 soit passée dans l’antre brûlant de passion du département GT de Porsche. Il va falloir démarrer le moteur maintenant.
Une GT-R Nismo moins éloignée qu’il n’y parait
En fait, ce n’est pas le cas, la 600LT tout comme la Nismo ne se contentent pas de s’accrocher à son aileron en col-de-cygne, elles sont épinglées à son arrière-train, dans sa zone de DRS en langage Formule Un. Remarquable. « La Nismo semble conçue pour ces routes et cette météo », déclare John. « Oui, le poids est perceptible mais il ne semble pas limiter la performance et l’équilibre extraordinaires de l’auto. On peut reprendre les gaz tôt à la fin d’une longue courbe, son train arrière dérive à peine et ne bataille pas plus que ça pour contenir toute la puissance. Et c’est génial ! » C’est amusant de voir John Barker aussi enthousiaste. Des jours comme celui-ci sont assez rares, même dans notre métier. « Le V6 ne pousse pas aussi haut que le V8 de la McLaren mais j’adore son explosivité à mi-régime puis sa rage jusqu’au limiteur. Il est extraordinairement punchy quand vous écrasez l’accélérateur mais cela ne semble jamais vouloir déborder la transmission ni le châssis. J’adore cette voiture. » Malgré des moteurs, des architectures et des philosophies très différentes, GT-R et GT3 se ressemblent beaucoup. Elles donnent toutes deux la priorité à l’immédiateté de la réponse, au grip et au contrôle. Elles sont aussi prévisibles à la limite l’une que l’autre même si leurs frontières sont précisément définies. Les angles de dérive autorisés sont assez limités, il faut corriger avec minutie et un contre-braquage exagéré entraînera une réaction aussi vive dans le sens inverse. Les deux réclament de la douceur au volant, au moins sur la route. En vérité, vous ne manquez jamais d’adhérence (ou à peine) aux allures possibles sur le réseau routier, ces deux autos sont capables de vitesses de passage en courbe totalement ahurissantes. Et ce qui est encore plus remarquable, c’est qu’en dépit de cette absence d’engagement requise du pilote, elles ne sont jamais ennuyeuses. Il faut remercier pour cela leur précision et les tonnes de ressenti qu’elles génèrent, mais aussi leur entêtement à ne jamais sous-virer, comme si l’auto pivotait à l’accélérateur autant qu’avec le volant.
Une 600 LT un brin différente
La McLaren est différente. Pour commencer, elle se montre si puissante qu’il faut gérer la motricité, ce qui n’est pas le cas avec les deux autres. Et on sent aussi une légère latence qu’il faut savoir domestiquer. Le train avant, même dans son mode Track le plus ferme, n’a pas le tranchant de celui de la Porsche et de la Nissan. Et si le V8 biturbo est un monstre éruptif à hauts régimes, il faut composer avec un temps de réponse que la Nismo a quant à elle quasi totalement éradiqué. C’est étrange de dire cela à propos d’une supercar récente opposée à une Nissan vieille de 13 ans que l’on pouvait légitimement penser en retrait sur ce plan. La performance ne manque pas mais il faut parfois compter jusqu’à un ou deux avant qu’elle ne débarque. Il est donc un peu plus long d’entrer en osmose avec la McLaren. Mais la patience est récompensée car même si la 600LT n’a pas le grip féroce et la réactivité des GT-R et GT3, elle va vous scotcher d’une autre façon. D’un, elle vous paraît toujours légère et virevoltante, mais aussi phénoménalement sécurisante dans les virages rapides où ses 4 roues travaillent de concert pour chercher le grip. Et ce malgré le fait que ce soit une propulsion. On a l’impression d’être au volant d’une voiture de course historique glissant des 4 roues, à la différence près que vous roulez beaucoup, mais alors beaucoup plus vite. L’auto semble évoluer en permanence à la limite du grip, tout en contrôle, sans donner la sensation qu’on peut la perdre. Puis, il y a ce riche ressenti de direction et le challenge de maintenir l’avantage acquis en ligne droite. Sentir le moteur déborder des pneus arrière sur les bosses les moins marquées ou maintenir une légère dérive en sortie de courbe et parfumer l’air ambiant d’une fine odeur de gomme brûlée est terriblement excitant. John est sur la même ligne et s’amourache de la LT au fil des kilomètres. « C’est l’Alpine A110 de ce groupe, non ? Son nez n’est pas aussi vissé que les autres mais on perçoit une réelle légèreté qui permet de tenir un rythme fluide et efficace. Ce qu’elle perd en entrée, elle le reprend en sortie de courbe ». La comparaison avec l’A110 fait sens tant la McLaren affiche une fabuleuse délicatesse de comportement qui donne envie d’aller chercher tout ce qu’elle a à offrir. « On fait ce qu’on veut avec mais pour vraiment en tirer le maximum, c’est sur le train avant qu’il faut se concentrer. Plus encore que sur l’arrière. »
Sur la route, la 911 GT3 et la GT-R Nismo ferraillent, la 600LT handicapée par ses pneus
Les routes abîmées par la rudesse de l’hiver et le passage des camions sont bien lissées par la suprême souplesse de la 600LT mais c’est encore plus le cas dans la GT3 et la Nismo. D’ailleurs, c’est si étonnant que je me surprends à conduire ces deux autos sur leur mode de suspension le plus radical et accepter d’être un peu plus bousculé afin de gagner en précision et en contrôle. La Porsche que l’on accusait d’être trop typée RS et guère adaptée à un usage quotidien se moque de tout cela en fait. Son châssis est vraiment fascinant. C’est évident qu’elle entre en courbe avec plus de précision qu’avant et qu’elle ne requiert pas d’amples mouvements, bien au contraire. La façon qu’a le moteur de monter dans les tours brutalement lorsqu’on passe sur les bosses montre qu’elle ne possède qu’assez peu de débattement. Mais chaque amortisseur travaille si efficacement, les mouvements de caisse sont si bien contrôlés, que la 911 ressemble à une WRC réglée pour une manche sur goudron. Elle survole le bitume et génère chez vous une confiance infinie. La GT3 semble imperturbable et inarrêtable.
Malgré des architectures et philosophies très différentes, la GT-R et la GT3 se ressemblent beaucoup
Pour le dernier shooting photos du jour je suis au volant de la GT-R et chasse John dans la GT3. Nous sommes dans un droite qui plonge brusquement à l’entrée et qui remonte tout de suite après. Je suis assis haut dans la Nissan, la suspension réglée sur R et l’ESP déconnecté, je peux ressentir le travail sans entrave du châssis. J’adore le son maléfique du V6 3,8 litres biturbo crachant dans son échappement titane mais aussi sa direction extrêmement légère et claire. La réponse à l’accélérateur a beaucoup progressé depuis les premières GT-R tandis que la boîte 6 semble plus rapide que jamais. On ne note aucune mollesse, nulle part. Elle mord aussi très fort et semble croquer un morceau de GT3 chaque fois qu’un bout de ligne droite se présente. Ce n’est pas une mince affaire car la Porsche ne lambine pas dans les courbes, elle se montre terriblement et étonnamment rapide avec sa boîte PDK parfaite qui lui permet d’être au bon régime et sur le bon rapport en permanence. Nous attaquons ce même virage plusieurs fois. La Porsche paraît merveilleusement équilibrée et change de direction sans roulis et avec vivacité. Je peux voir à quel point John se sent en confiance car il accélère de plus en plus tôt en sortie. Mais la GT-R imite la Porsche sur chaque mouvement. Quel feeling incroyable de garder l’énorme Nissan dans les échappements de la GT3. Alors que la vitesse augmente, la Porsche commence à laisser de belles traces noires sur l’intégralité du virage.
Pour une fois, la McLaren n’est pas la voiture la plus percutante d’un comparatif
Comment battre la 911 GT3 ? Pas avec la 600LT. C’est un engin fabuleux et lorsqu’elle se déplace en parfaite harmonie avec le revêtement et que l’on sent la furie de son moteur atteindre son pic de puissance, elle est juste incroyablement excitante. À son sommet, elle est au niveau de la Porsche. Cependant, sa réponse moteur plus soft à bas et moyens régimes ainsi que son manque de tranchant à l’inscription et de motricité en sortie rongent la confiance et rendent la LT un peu brouillonne à la limite. John résume bien le problème : « Pour une fois, la McLaren n’est pas le modèle le plus explosif d’un groupe test. » Mais c’est essentiellement parce qu’elle a chaussé des pneus pluie quand les autres ont parié sur le beau temps et opté pour des pneus slicks. Deux trains de Pirelli P Zero Corsa ou Trofeo R auraient mis un terme à la discussion et comblé l’écart mais, selon nous, cela n’aurait pas changé l’ordre final.