Nous sommes fin 2020, Kotario Ishi est l’assistant du président de Honda France, mais il a aussi travaillé au centre de développement au Japon. À l’heure d’aborder l’objectif de la Civic Type R Limited Edition, le message est clair : « Devenir la traction la plus rapide du marché ». Les amateurs connaissent la chanson. Dans l’éternelle partie de poker menteur que se livrent Honda et Renault Sport sur fond de chronos au Nürburgring depuis plus de cinq ans, le dernier à surenchérir l’emporte. Depuis le 5 avril 2019, le record tant convoité est revenu en France. L’équipe des Ulis est allée jusqu’à monter des jantes carbone et des freins céramique sur la Mégane Trophy-R. Au point de faire grimper l’addition à plus de 80 000 € pour gagner trois secondes et sept dixièmes sur les 20,6 km de l’enfer vert.
En retour, Honda dégaine une Limited Edition plus affûtée, allégée de 47 kg et chaussée de Michelin Pilot Sport Cup 2. Avec un tel apanage, l’incontournable question du record revient sur la table. « Nous y pensons, mais on ne peut pas faire grand-chose cette année en cette période de Covid-19. » L’argument est louable, mais d’autres concurrents ne se sont pas gênés pour y retourner. Une autre explication est plus plausible. Lors du record en 2017, la Type R s’est allégée pour compenser la mise en place d’un arceau, tout en chaussant des semi-slicks Michelin. De-là à penser que le constructeur a lancé cette Limited Edition avec trois ans d’avance… Dans ce jeu de dupes où chacun avance masqué, seul Honda connaît la réponse et sa capacité à reprendre la main sur le Ring. Vu la fiscalité assassine annoncée, le sort de ces tractions survitaminées semble scellé.
Allègement partiel
Rageant, la fermeture de nos outils de travail nivernais empêche de savoir si elle reprend la main sur la Trophy-R. La seule fois où les deux voitures ont été confrontées sur une même piste (à des jours différents), c’est la Nippone qui l’a emporté de pratiquement 1’’5 sur ses terres à Suzuka. Annoncée à 1 358 kg, la Limited Edition ne mincit que de 47 kg dans l’histoire quand la Française perd jusqu’à 130 kg. En gardant ses aspects pratiques et ses places arrière, la Nippone se veut moins radicale. Sauf qu’elle se passe de climatisation (-10,4 kg), de l’interface audio (-5,4 kg), d’une bonne dose d’insonorisants comme la moquette de coffre (-14,3 kg) et de certains équipements de confort (-6,9 kg) comme la plage arrière. L’ambiance promet d’être surchauffée, surtout enpériode estivale ! Les dix derniers kilos gagnés s’obtiennent grâce aux jantes BBS forgées et chaussées de gommes magiques.
La Limited Edition se distingue par un badge en chrome noir, une livrée spécifique jaune Sunlight et des touches noires: toit, rétroviseurs et prise d’air. Si vous croisez un frelon asiatique, faites un vœu car il se fait rare. Sur les 1000 exemplaires fabriqués pour le monde entier, 600 sont réservés aux États-Unis, 200 au Japon, 100 au Canada et 100 à l’Europe, dont trois seulement à la France. Les heureux concessionnaires sélectionnés n’auront aucun mal à écouler ce collector facturé 50 920 €. Une somme conséquente et supérieure de 6 000 € à la version GT, mais bien inférieure à celle de la Trophy-R. La Limited Edition profite naturellement de la remise à niveau technique du cru 2020. La calandre et la prise d’air inférieure centrale majorent la surface frontale de 13 % et les ouvertures latérales sont subtile- ment revues. Le but ? Accroître le refroidissement moteur en corrélation avec un radiateur aux alvéoles rapprochées (2,5 mm). De quoi abaisser la température du liquide de 10 °C, et améliorer la performance sur piste. Si cela permet de tourner plus longtemps, pourquoi pas! Les ingénieurs sont parvenus à compenser la perte d’appui à l’avant générée par ces aérations en rigidifiant la lèvre inférieure en plastique, nichée sous le bouclier et qui risque de frotter régulièrement. Comme sur les Mégane R.S. Trophy, les disques de freins sont en deux parties pour gagner 2,5 kg, afin de mieux dissiper la chaleur et conserver une attaque constante avec les nouvelles plaquettes.
Le sens du détail
L’habitacle n’évolue guère. Le volant se garnit d’Alcantara et le petit pommeau en goutte d’eau est lesté de 90 grammes pour améliorer sa préhension. Deux détails qui prouvent le souci perpétuel de Honda de mettre le conducteur au centre des attentions. Les baquets Recaro rouges procurent cette délicieuse impression de se sentir chez soi. Face aux noyaux de pêche concurrents, l’assise paraît moelleuse et le maintien excellent. La position de conduite est parfaite. Le premier ressenti apparaît plus feutré qu’à bord d’une Trophy-R. Sauf que le tintement des gravillons dans les passages de roues et le niveau sonore relevé rappellent sa vocation première.
La suspension pilotée désormais plus réactive semble un tantinet raidie, surtout en Confort. Mais elle continue d’encaisser les pires traitements sans broncher. Selon Kotari Ishi, elle est subtilement revue sur la Limited Edition pour augmenter l’efficacité sur circuit. De quelle manière? Silence radio. Toujours est-il que le millésime 2020 bénéficie d’inédits silentblocs, rigidifiés de 8 % sur les bras inférieurs arrière, et de rotules à faibles frictions sur le train avant afin d’améliorer la précision. Il en ressort un feeling de direction bien plus limpide que précédemment, même si le mérite en incombe aussi aux gommes Michelin. Sans être aussi transparente qu’à bord de la Trophy-R, la direction surclasse celle des autres rivales.
Tournicoti, tournicoton
Le premier enchaînement abordé vivement apporte son lot de surprises. L’arrière pivote bien plus qu’à l’accoutumée au placement, puis l’avant joue les têtes chercheuses à la remise des gaz. Les coupables, ce sont les pneus froids qui doivent monter en température. Une fois à point, l’adhérence est si élevée qu’il devient difficile d’entrevoir les limites sur route ouverte. Si les classiques Continental Sport Contact sont adaptés aux températures basses, les fameux Cup 2 transforment la Nippone en teigne. Elle mord les cordes goulûment et motrice parfaitement. Sur le bosselé, elle réclame tout de même un minimum de poigne au volant, comme toute bonne traction surpuissante.
Le moteur, lui, reste inchangé et c’est tant mieux. Son punch disponible dès 2 000 tr/mn le rend très efficace. Sa faculté à grimper à la coupure d’injection fixée à 7 000 tr/mn étonne toujours autant de la part d’un bloc suralimenté. Le gain d’un petit dixième sur le 0 à 100 km/h grâce aux 47 kg économisés ne se ressent pas. Quant à la commande de boîte, elle est toujours aussi géniale et incite à abuser d’elle. Le coup de gaz automatique n’empêche pas de réaliser soi-même le talon-pointe, mais il n’est pas déconnectable. L’absence de système multimédia prive du nouveau son moteur amplifié par les haut-parleurs. Pas de quoi verser une larme…
Notre ami Laurent, heureux propriétaire d’une NSX de 1994, nous attend à l’entrée des circuits du Val de Loire, qui nous ouvrent gentiment leurs portes en cette période compliquée. Une (longue et belle) piste de kart, ce n’est peut-être pas l’idéal pour mettre en avant les capacités de la Civic à dévorer les gros appuis. Mais c’est déjà suffisant pour exploiter le potentiel des Cup 2 et tricoter des avant-bras ! La poupe, très sage sur les versions classiques, gagne en mobilité. Sans être aussi volage que celle d’une Mégane Trophy équipée de roues arrière directrices, elle se place volontiers sur les freins. De quoi corriger le seul défaut des Type R standard, un brin sérieuses et paresseuses dans les parties lentes. Plus enjouée et amusante, la Limited Edition distille un plaisir XXL. La déconnexion totale de l’ESP n’est toujours disponible qu’en optant pour le mode R, qui offre un amortissement parfait sur le billard. Le grip délivré par les Cup 2 est incroyable, alors qu’il est fortement sollicité sur un tel tracé. Le frelon asiatique profite de son différentiel autobloquant pour resserrer la trajectoire à l’accélérateur, et d’un freinage aussi mordant qu’efficace. Le mini-circuit prend des allures de manège addictif qui vide les 46 l du mini-réservoir bien trop vite !