L’automobile change et ce n’est pas sale. Car elle participe activement au sauvetage de la planète. Des fois, cela me fait doucement rigoler. D’autres, je déprime. En vérité, cela me dépasse quelque peu. Je me sens terriblement incompétent en matière de voiture électrique. Et l’agitation politico-financière grandissante que génère cette dernière ne fait qu’accroître mon trouble. Cette semaine, j’ai revu à la télé un documentaire sur l’origine sulfureuse de la fortune des Quandt, actuels propriétaires de BMW. Pour la faire courte, Günther Quandt s’est enrichi sous le troisième Reich en produisant, entre autres, des batteries. Et cette spécialité hautement stratégique pourrait expliquer en partie une certaine bienveillance des alliés à son égard après la Libération. L’argent amassé par Günther Quandt a servi à bâtir BMW telle qu’on la connaît. Aujourd’hui encore, les batteries sont au coeur des enjeux industriels, comme celui de la voiture électrique. Reste que l’ancienne entreprise des Quandt, rebaptisée Varta après la guerre, a fini par quitter le giron familial. Alors que les Japonais sont bien placés en matière de recherche sur les batteries, que les Chinois sont sur le coup, une start-up américaine sème la zizanie dans l’univers automobile en commercialisant une voiture de sport électrique qui revendique des performances étonnantes, tant au niveau des chronos que de l’autonomie. Et ce grâce à un ingénieux bloc d’accumulateurs, efficace et relativement moins cher. Je veux bien sûr parler de Tesla.
Fondée en 2003, la marque a englouti pas mal de capitaux, connu quelques révolutions de palais et essuyé quelques revers techniques, tout en soignant beaucoup sa communication. Et puis, en février 2008, elle a commencé à livrer les premiers exemplaires de son roadster. Le cap des 1 500 unités est à présent atteint, et un second modèle, une berline, sera mis sur le marché au second semestre 2012. Dans ce contexte, voilà bientôt un an, Motorsport a fait son coming out. Tels des défenseurs du terroir et de la tradition gustative cédant à l’appel de la cuisine moléculaire, nous avons demandé à Tesla de nous confier une auto pour un Supertest, c’est-à-dire un essai sur route et sur piste, avec séances chrono. Comme nous le faisons avec n’importe quelle sportive “normale”, c’est-à-dire à moteur thermique. Cap’ ou pas cap’ ? On ne nous a pas claqué la porte au nez, mais nous avons tout de suite compris que ce n’était pas gagné. Et puis, juste avant Noël, Simon Rochefort, Sales & Marketing Director West Europe, nous a annoncé qu’il pouvait mettre à notre disposition une auto durant 48 heures et qu’il nous la livrerait à Magny-Cours. Alors là… Le jour dit, j’ai dérogé à la coutume en rejoignant le circuit nivernais au volant d’une autre auto. En l’occurrence une Honda CR-Z qui m’a permis de rester dans une tonalité écolo, de par sa tendance “mild hybrid”. Quand je suis arrivé, il faisait nuit en pleine journée et il pleuvait des cordes. La Tesla attendait dans le box, branchée sur une prise 32 ampères.
Cousine d’Elise
En attendant que ça sèche, j’ai eu tout le temps de la détailler et de comprendre que le modèle S 2.5, évolution la plus récente et la plus typée du Roadster Tesla, n’était pas une vulgaire Lotus Elise électrifiée. De cette dernière, elle reprend le pare-brise, la conception des trains roulants et la technique de fabrication du châssis en alu. L’empattement est plus long, le seuil des portes plus bas. La carrosserie est entièrement carbone, remarquablement finie, surtout lorsqu’elle a les options peinture de luxe et surfaces carbone poli verni. L’articulation des capots, retenus par des vérins hydrauliques, dégage largement la tripaille. C’est ce que l’on aurait aimé avoir sur l’Elise et l’Exige. Le museau dernièrement retouché, façon Ferrari Scuderia, a gagné en agressivité. Tesla a maintenant un vrai département design, dirigé par Franz von Holzhausen. On retrouve dans l’habitacle la même recherche de qualité, le même souci de démarcation par rapport à l’Elise. La Tesla est assemblée sur les chaînes de Lotus à partir d’un châssis produit en Norvège et d’une carrosserie moulée en France par Sotira, avant de recevoir ses composants électriques dans une autre unité, proche d’Ethel. Son hard-top, ultraléger et maintenu par quatre vis, est facilement démontable. Quand on a la prise ad hoc ou, mieux, une installation de charge rapide, le mode d’emploi est assez facile à retenir. Côté voiture, le point de branchement remplace le goulot du réservoir et s’illumine. En bleu, en jaune… c’est joli. Alors qu’elle reprend des forces, la Tesla respire, plus ou moins bruyamment. Elle ventile, comme un toutou, régule la température de son système cardiaque via un radiateur et une paire de ventilateurs de bonne taille, placés à l’avant. Derrière ce mode expressif se cache une recherche approfondie qui a débouché sur la mise au point d’un système de chauffage/refroidissement liquide du bloc batteries, de l’électronique et du moteur, en fonction de l’utilisation et de la température ambiante. La maîtrise de la gestion thermique et l’ingéniosité du bloc batteries, formé de la réunion de 6 831 accus lithium ion, format ordinateur portable, font partie des trucs qui ont attiré l’attention de Mercedes et Toyota, ou encore de Panasonic avec qui Tesla va améliorer son concept.
Monde nouveau de sensations
De par son accès plus facile et sa finition moins spartiate, le Roadster Tesla peut évoquer la Lotus Europa dernière du nom. Même avec un mal de dos, on arrive à se glisser derrière le petit volant non réglable. Avec sa jauge de batteries, le combiné instrumental fait penser à un jouet. Le compte-tours est remplacé par un compteur de kilowatts. Les rétroviseurs extérieurs sont rudimentaires, mais le grand écran du navigateur est branché sur une caméra de recul. Juste en dessous, un petit écran s’anime quand on met le contact, avec un petit jingle style ordinateur ou smartphone. C’est l’ordinateur de bord qui informe et permet de choisir le mode de conduite, Normal, Eco ou Sport. Il s’agit de gérer au mieux l’autonomie, qui peut dépasser largement les 300 km ou ne pas atteindre les 200 km. A chacun d’adapter sa conduite et d’assimiler des petits trucs comme la procédure de “défragmentation” des accumulateurs qui permet de rajouter la charge manquante à certains éléments, façon dernière goutte à la pompe. Dans un local clos, la Tesla ne fait entendre que sa ventilation, par moments. Un piéton qui lui tourne le dos peut ne pas la sentir arriver. A son bord s’ajoutent divers sifflements, générateur électrique, transmission. Cela tient du camion poubelle, du chariot élévateur, du métro automatique, du bruitage de film de science-fiction. Cette auto est une fausse silencieuse. A défaut de ravir les oreilles du mélomane traditionnel, elle doit pouvoir satisfaire l’angoissé chronique habitué à traquer le bruit anormal. Et, telle le TGV, quand elle passe devant vous à 160, elle déplace de l’air et impressionne par son bruit de roulement. Cette auto ne peut en aucun cas passer inaperçue, et elle offre un monde nouveau de sensations au premier tour de clé. Moteur/boîte
Moteur
Totalement encapsulé, le moteur, comme le bloc batteries, est invisible. Ce dernier, qui pèse 450 kg, a une capacité de 56 kWh et peut délivrer jusqu’à 215 kW, soit 292 ch. Le moteur électrique lui-même n’est pas plus gros qu’une pastèque et reprend le principe du courant alternatif triphasé, selon le brevet déposé par Nikola Tesla en 1888. C’est une petite turbine, qui a l’avantage de produire beaucoup de couple, quelque chose comme 41 mkg à moins de 200 tours, jusqu’à 6 000 tr/mn. En revanche, cette valeur s’écroule progressivement de 6 000 à plus de 13 000 tr/mn, où elle n’est plus que de 10 mkg. A la conduite, cela se ressent pleinement : l’arrivée de la patate, quasi instantanée, favorise un démarrage canon mais on a la sensation par la suite d’un essoufflement. C’est d’autant plus perceptible que la transmission est réduite à sa plus simple expression. Cette Borg Warner ne possède qu’un rapport. Du coup, on a tendance à rechercher la plage de couple, et l’on comprend pourquoi des gens comme Hexagon en viennent à l’idée d’une vraie boîte de vitesses. Néanmoins, le côté On/Off, un peu primaire, simplifie la vie et reste amusant. Il suffit d’accélérer et de freiner, comme avec un kart. Il y a un tout petit temps de réponse, et puis tout déboule si l’on a ouvert en grand, tandis que l’amateur de douceur peut facilement doser son action et, par la même occasion, réduire sa note d’électricité. A ce propos, le coût d’un plein est inférieur à 10 euros, égal à zéro si l’on se branche à l’hôtel. Et, en étant radin, on peut parcourir 390 km. Le problème, c’est le temps de charge, minimum trois heures et demie.
Il convient également d’évoquer à ce chapitre l’importance de la partie électronique, très développée, qui gère aussi bien la charge que le contrôle de motricité, les interférences, et tout un tas de sécurités. La Tesla est bourrée de puces.
Performances
“Maître étalon” du tour chronométré et des mesures, notre Nicolas à nous, roi du court-circuit, a eu de quoi se mettre sous la dent. Il n’a pas dit que c’était énorme, mais c’est tout comme. J’ai recueilli ses impressions à chaud : « Ses concepteurs sont formels : la Tesla enrhume tout ce qui roule ou presque au feu rouge. Les piquouzés à l’essence ont du mal à y croire. Laissons plutôt la parole à notre impartiale Performance Box. Le pied gauche lâche les freins, le droit rejoint le plancher. Le décollage est instantané, la motricité totale. Le silence au départ est inversement proportionnel à la poussée ressentie. On cherche ses repères. Les sens sont largués. Les 100 km/h arrivent en 4”4 (Tesla annonce 3”7 de 0 à 96 km/h, l’écart est honnête). A titre d’exemple, une 911 Turbo réclame 4”2 et une Nissan GT-R 4”3. Le roadster survolté joue donc bien dans la cour des meilleures GT sur un départ arrêté, le tout avec une facilité déconcertante. Toutefois, la poussée décroît nettement vers 120 km/h. De 0 à 140, la Tesla redescend dans la catégorie de l’Audi TTRS (340 ch), et de 0 à 180, elle baisse les bras face à une “vulgaire” Mégane R.S. (250 ch). Ce manque de brio à haute vitesse n’est pas dû à une aérodynamique défaillante. Le phénomène s’explique tout simplement par la chute de couple vers 6 000 tr/mn. Le temps réalisé au mille mètres départ arrêté n’est donc pas très révélateur, même si la première sportive électrique de série se permet de mettre une petite claque à une Porsche Cayman ». J’ajouterais que ce coup de barre n’est pas totalement étranger à la vitesse de pointe que l’on peut qualifier de modeste.
Sur la route
Quoique récemment redessinés, les sièges de la variante sport dont nous avons disposé sont peu rembourrés. La suspension plus ferme fait appel à des amortisseurs réglables sur dix positions et à des barres antiroulis ajustables, avant et arrière, ainsi qu’à des pneumatiques Yokohama montés sur des 17 pouces. Cela va de pair avec un moteur rebobiné qui développe 3 mkg de plus à un régime un poil plus bas. Autant dire une préparation qui ne nuit pas à l’agrément en conduite sage. La première chose qui surprend, avec cette auto, est la direction non assistée, qui se durcit en butée. C’est acceptable sur une Exige, pas sur un engin aussi pacifique et facile à aborder. La direction de l’Evora serait un délice sur la Tesla, qui par ailleurs se montre confortable sur les petites routes bosselées de la campagne française. A la conduite, le souvenir de l’Elise revient à la surface, mais cela tient plus des repères visuels que des sensations. La faute à un poids de 1 235 kg, qui plus est axé sur l’arrière. Le toucher de route n’est pas non plus celui, divin, d’une Evora. Bref, on a affaire à un compromis fort honorable, bien pensé en fonction de l’usage de la voiture, plus fun que véritablement sport. Au lieu de croiser à 130 sur autoroute, il est plus agréable d’évoluer à allure variée sur le réseau secondaire, sachant qu’il sera davantage question de Paris- Deauville que de Lille-Marseille, autonomie oblige. Paradoxalement, c’est lorsque le toit est démonté que l’on a une sensation de silence, le bruit du vent couvrant le reste, ces sifflements et “sirènements” qui augmentent avec la vitesse. Malgré un habitacle de sportive et une position de conduite au ras du sol, la petite Américaine est agréable dans les trajets urbains. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour passer en marche avant ou en marche arrière, et l’on n’est pas obligé de bien garder le pied sur le frein ou d’appuyer sur la position point mort à chaque feu rouge.
Sur la piste
On est loin de la catastrophe annoncée, la bouteille est plus qu’à moitié pleine. C’est-à-dire que l’on peut enchaîner quelques tours rapides avant de se retrouver en mode dégradé, ralenti, le temps que la “mécanique” refroidisse. La courbe de couple très spéciale permet de bien se relancer en début de ligne droite. Toutefois, la baisse de tonus passé les 120 km/h peut mettre fin à l’échappée avant le freinage suivant. Au passage, on remarquera que les freins sont mis à l’épreuve par le poids, alors qu’ils sont suffisants sur route ouverte. Encore une fois, une vraie boîte permettrait de mieux exploiter la plage d’utilisation idéale du moteur. Le comportement de l’auto est facile à cerner, et il peut devenir caricatural sur le mouillé. C’est le train avant qui décroche en premier. Assez facilement. En se crachant dans les mains et avec plus de facilité sur le mouillé, on peut mettre le Roadster en dérive après avoir fait décrocher le train arrière. La souplesse de la suspension et de l’antiroulis va plus dans le sens de la facilité que de l’efficacité. L’absence d’autobloquant est compensée par la générosité du couple qui peut faciliter l’exercice, alors que le dosage du contrôle de motricité est extraordinaire. Dans une réunion club, la Tesla ne serait pas ridicule et ses accélérations en surprendraient plus d’un. Lorsque nous avons gentiment été accueillis à Lurcy-Lévis pour nos mesures, nous avons fait la connaissance d’un passionné en 911 Turbo qui a très spontanément eu envie de faire quelques runs avec nous sur la ligne droite. Il en est resté baba (vidéo) !