À Motorsport, on aime, on adore, on chérit les petites radicales authentiques pour masochistes, mais que diable Alfa Romeo vient-il faire dans la catégorie ? C’est le genre de question que l’on se pose après deux heures à 130, les tympans à vif et les deux mains cramponnées au volant de la 4C. N’y voyez pas un soupçon de critique, juste une marque d’étonnement. Pas d’assistance de freins ni de direction, un confort précaire et un aspect pratique dérisoire : comment, de nos jours, un tel projet a-t-il pu obtenir l’aval des têtes pensantes d’une marque généraliste de cette envergure ? L’Italie, ses mystères, son romantisme…
Radicale
Pas sûr que Renault et Caterham fassent aussi radical avec la future Alpine. L’iPhone enregistre 90dB à la vitesse légale. Ça pique. Le moteur se trouve alors dans une plage de régime transitoire, là où le turbo ne demande qu’à souffler, ce qui génère des à-coups fatigants à la longue. La solution ? Rouler à 110 ou 150, selon son humeur et sa réserve de points. La 4C fait au moins autant haïr l’autoroute que l’Elise. Une vingtaine de kilomètres après Clermont-Ferrand en direction du sud, nous quittons l’A75 un peu avant Issoire, direction le Mont-Dore par Saint-Nectaire et Murol.
L’arrivée en terres auvergnates est une bouffée d’air frais. Les atouts de la 4C émergent, ses défauts s’estompent. La petite Alfa a beau faire l’éloge de la simplicité, elle est complexe, difficile à cerner. La veille, sur le circuit, elle a fait le job avec brio sans nous émouvoir outre mesure. Au coeur des volcans, elle commence sévèrement à chatouiller les sens. Le col de la Croix Morand est le premier d’une longue série. La relative souplesse de l’auto, ses prises de roulis perturbantes sur la piste prennent ici tout leur sens. Les actuelles Lotus Exige et Elise font le même effet.
Le confort est préservé, les débattements de suspension appréciables. Le châssis est aiguisé mais prévenant, tout du moins jusqu’à des limites que nous explorerons un peu plus tard. Pour l’heure, la pause s’impose à 1 400 m d’altitude, face au Puy de Sancy tout de blanc vêtu. Le soleil brille, un peu de neige tient bon sur le bas-côté. La 4C prend la pose, racée, sensuelle, italienne quoi.
Son dessin n’est pas d’une élégance folle mais ses proportions ramassées en font un magnifique jouet pour adultes. Entre une postière bien énervée qui transforme sa tournée en course de côte du Mont-Dore et d’heureux camping-caristes retraités prenant le temps de vivre, une voiture s’arrête devant nous. En sort un type d’une quarantaine d’années. Un Afliste, un vrai, biberonné à la Montreal V8 de papa et propriétaire d’un GTV 2.5. Il ne cache pas sa joie de voir la marque si chère à son coeur retrouver ses couleurs d’antan, ne tarit pas d’éloges sur les galbes de la belle, s’extasie en montant à bord et grimace en tournant la clé. Le quatre cylindres turbo n’a pas, loin s’en faut, les cordes vocales de ses ancêtres, à six ou quatre pattes. Alfa y va par étapes, soyons patients. Pas de quoi entamer l’enthousiasme du fan, ni le nôtre.
Le plein de sensations
Nous reprenons la route qui plonge sur le Mont- Dore, célèbre station thermale nichée au pied du Grand Sancy, avant d’aller chercher la neige ou plutôt ce qu’il en reste à Super Besse. Il y a encore foule. On ne se ferait pas mater davantage en 458 Speciale. Le parallèle avec Ferrari est inévitable, bien que la 4C soit assemblée chez Maserati. Des amateurs de sensations fortes déboulent au-dessus de nos têtes à 120 km/h sur la tyrolienne géante (1 600 m) qui survole la station. Nous, c’est à bord du coupé italien que nous reprenons un petit shoot d’adrénaline. Cap au sud. Le paysage est à couper le souffle. Au loin, les Monts du Cantal, le Puy de Peyre culminant à 1 806 m. Le caractère du 1,7 turbo collé derrière notre dos n’est pas très volcanique, mais on apprécie au fil des kilomètres sa faculté à catapulter sans temps mort une auto restée sous la tonne.
La 4C est donnée pour 895 kg à sec, soit environ 925 en ordre de marche, précisément le poids d’une Elise S. La Lotus repose sur un châssis en alu extrudé collé, tandis qu’Alfa a opté pour une vraie coque carbone bien visible, c’est peu dire, dans le cockpit. Une façon de rappeler au client où sont passés leurs 51 900 euros, prix de base auquel il convient d’ajouter les 2 200 euros de malus mais surtout le pack Racing à 3 600 euros qui comprend une suspension plus ferme et une barre antiroulis à l’arrière. Facturé 2550 euros, l’habillage en carbone des optiques boutonneuses au look douteux ne sera bientôt plus indispensable. Le coupé va en effet reprendre en série les feux conventionnels du Spider présenté à Genève, dont la commercialisation en 2015 a été confirmée. On espère également retrouver la ligne d’échappement Akrapovic, sans doute plus chantante, et sa double sortie centrale. Au milieu de nulle part, nous tombons sur une portion de route au revêtement aussi beau que le relief qui la surplombe. Impossible, vous en conviendrez, de ne pas faire honneur au travail de la DDE. On retarde les freinages, bouscule un peu l’auto qui réagit avec panache. La direction un peu floue en ligne droite au point milieu devient tranchante, le train avant fait mine de renifler l’extérieur du virage mais plonge rapidement à la corde tandis que la poupe reste figée. Ce n’est pas encore la grande rigolade, mais les sensations fortes sont là.
Tranches de vie
Les reflets bleus d’une moto apparaissent dans le rétro, des feux multicolores clignotent. Une Ritale dans le Cantal, ce n’est pas banal, mais y a pas de mal. N’est-ce pas Monsieur l’agent ? « Je voulais juste voir la belle Italienne d’un peu plus près », avoue le représentant des forces de l’ordre, avant de nous confier avec un accent chantant qu’il ne verbalise pas en dessous de 120, voire 140 à la fin de l’année, quand les quotas ont été atteints. Sympa. « Vous faites un beau métier », nous lance-t-il avant de partir. Je n’arrive pas à lui retourner le compliment. Allez comprendre… Des vaches à la robe rouge bordeaux et au faciès fort sympathique broutent dans de beaux pâturages qui s’étendent à perte de vue. En toile de fond, le Puy Mary dont le col est fermé. L’heure tourne, le faux-filet et sa truffade nous attendent, faut pas traîner.
Salers n’est pas loin à vol d’oiseau mais un gros détour s’impose. C’est là que nous découvrons le col de Pertus emprunté à plusieurs reprises par les coureurs du Tour de France. La 4C grimpe presque aussi vite qu’Armstrong sous vitamine C. Au sommet, la vue face au soleil couchant valait le détour. La civilisation paraît loin, très loin. J’ai une pensée pour ceux qui s’étouffent au même moment avec les particules fines.
L’endroit est hors du temps. Les sensations distillées par la 4C aussi
Nous traversons des petits hameaux sans âge. Pas âme qui vive. La montagne s’enflamme à la sortie d’un virage. C’est comme cela qu’ici on régénère les pâturages. L’endroit est hors du temps. Les sensations distillées par la 4C aussi. On perçoit le tintement de chaque gravillon qui cogne dans les passages de roues. La route n’en finit plus de swinguer. L’absence de direction assistée commence sérieusement à chauffer les épaules. C’est dans ces moments-là que les palettes pour paresseux derrière le volant sont appréciées à leur juste valeur. La présence d’une boîte à double embrayage peut surprendre dans une auto de puriste prônant la légèreté à tout prix. Elle serait évidemment plus à sa place dans la liste des options.
Pas une reine de la glisse
A la nuit tombée, la 4C se casse la voix dans le col du Bruel. A la lumière des phares sur une route escarpée aussi sinueuse, le pilotage au ras du sol de cette petite propulsion ne s’oubliera pas rapidement. Une Elise m’aurait offert la même tranche de vie, un Cayman S non. Une série d’épingles concluent notre spéciale d’anthologie. L’occasion de voir que la 4C, privée d’un véritable autobloquant et trop paresseuse du train arrière à basse vitesse, n’est pas une reine de la glisse. Elle autorise, au mieux, de belles virgules en sortie de virage à condition d’y croire. Salers (on ne prononce pas le “s”) sort enfin de la pénombre. C’est un des plus beaux villages de France, remontant au moyen âge. A l’Hôtel des remparts, une excellente adresse, le chef est encore aux fourneaux. On est sauvé. Deux menus du terroir !
Au petit matin, nous reprenons la même route dans le sens inverse. Le punch du petit quatre cylindres turbo finit de me réveiller. La 4C est de plus en plus attachante au fil des jours. Sa façon simple et vibrante de vous connecter à la route devient une petite drogue. Je la voudrais peut-être plus joueuse, espiègle, un peu plus précise aussi quand on sort la grosse attaque, mais elle donne le change comme peu de sportives sur le marché. Dans la vallée de la Jordanne, nous faisons une halte à la ferme de Laveissière. Gilles Manhès est l’un des 70 producteurs de Salers, seul fromage au lait cru 100 % fermier. Il nous parle avec passion de son métier, de ses bêtes, de l’herbe qui ne donne pas le même goût au produit final en fonction des versants. Sans le break d’assistance, nous aurions été frustrés. Le mini coffre de l’Alfa et l’absence d’espace derrière les sièges n’auraient pas permis de rentrer avec 4 kg de ce joyau du Cantal. Du terroir, on en voulait, on en a eu. Pas d’overdose, juste l’envie de repartir à la découverte d’autres bijoux de la France profonde en Alfa Romeo.
MOTEUR/BOÎTE
Alfa a fait le choix rationnel, techniquement mais surtout économiquement, d’installer le 1,7 litre turbo de la Giulietta dans la 4C. Ce quatre cylindres tout alu a toutefois fait l’objet de profondes retouches. Il a notamment perdu 22 kg. Ce bloc dispose de tous les raffinements modernes, de l’injection directe dernière génération au calage variable des arbres à cames d’admission et d’échappement. Le turbo qui souffle à 1,5 bar est parfaitement audible depuis le cockpit. Avec 240 ch pour 35,7 mkg de couple, le bouilleur italien surclasse nettement le 4 cylindres Toyota à compresseur de l’Elise S (220 ch et 25,5 mkg). Sa poussée est immédiate et constante jusqu’à 6 000 tours.
Côté efficacité, rien à dire. Côté agrément, le bilan est plus mitigé. Le 1,7 litre turbo manque de relief mais surtout de panache à haut régime, et sa sonorité quelconque sied mal à une auto misant autant sur les sensations. Même chose pour la boîte à double embrayage, objectivement agréable et rapide, mais qui colle assez mal à l’esprit pur et dur de la 4C. Qui plus est, elle manque de répondant, notamment au rétrogradage, en conduite très sportive.
PERFORMANCES
Le rapport poids/puissance de la 4C est plus proche de celui d’une 911 Carrera S que de celui d’un Cayman S. Ajoutez à cela une motricité impériale et un efficace launch control pour frimer au feu rouge, et vous obtenez l’une des meilleures sprinteuses de la catégorie. Le 0 à 100 km/h est expédié en 4”9 quand une Elise S réclame 5”6. Au mille mètres, la petite Alfa prend un petit dixième au Boxster S (le Cayman S n’a pas été mesuré par nos soins), soit 24”0. C’est le temps réclamé par une BMW M135i (320 ch) sur le même exercice. Les reprises sont tout aussi remarquables bien que la transmission souffre d’un étagement trop long sur les deux derniers rapports. Nous avons quasiment affaire à une boîte 5+1 puisque la vitesse maxi et presque atteinte en 5.
SUR LA ROUTE
On retrouve sur la 4C un typage de châssis proche, philosophiquement, de celui d’une Lotus Elise, en un peu plus musclé. La fermeté de la suspension est très acceptable et la tenue de caisse remarquable. Il est possible de rouler très fort sur route bosselée en toute sérénité. C’est une auto saine, facile, presque trop sérieuse pour un engin de cet acabit. Elle tire plus son agilité de sa légèreté et de son faible empattement que de la mobilité de sa poupe. La motricité des PZero en 235 de large est très difficile à prendre en défaut sur le sec.
On aimerait voir la 4C enrouler davantage, se déhancher, donner plus de fil à retordre à la limite. Elle se contente de passer vite partout en distillant la dose de sensations fortes suffisante pour en redemander, encore et encore. La direction purement mécanique manque de clarté en ligne droite mais offre un ressenti excellent en courbe et une lecture parfaite de la route. Les ingénieurs d’Alfa Romeo se plaisent à dire que 90 % des virages peuvent être négociés sans bouger les mains du volant. Ce n’est sans doute pas faux et cela donne son sens à la greffe des palettes derrière le volant plutôt que sur la colonne de direction. Le freinage, dépourvu d’assistance mais doté d’un ABS, est une pure merveille, tant au niveau de l’effort réclamé à la pédale que de l’efficacité et de l’endurance.
SUR LA PISTE
En théorie, la 4C a tout de la petite pistarde idéale. Dans la pratique, elle va vite mais laisse comme un goût de trop peu, le sentiment que le potentiel de l’auto n’est pas pleinement exploité. Cela tient essentiellement à un typage route qui se traduit par une prise de roulis excessive et des mouvements de caisse parasites. L’auto plonge, se cabre, se dandine dans des proportions étonnantes pour un engin au ras du sol. Figée à basse et moyenne vitesses, la poupe peut décrocher et raccrocher brutalement sur de gros appuis. Ces coups de raquette imposent de bons réflexes pour ne pas se retrouver en marche arrière. La Lotus Exige S V6 souffre d’origine du même problème.
Il faut aussi composer avec l’absence d’un vrai autobloquant qui permettrait de mieux contrôler l’auto à la limite. Une fois ces paramètres intégrés, j’arrive à rester propre et à signer un chrono remarquable sur notre piste de référence. L’Italienne fait jeu égal avec une M3 Pack Competition, prend deux dixièmes au Boxster S et plus d’une seconde à l’Elise S. On est très loin, en revanche, des bêtes de course que sont la KTM X-Bow ou la Caterham R300. Notez que la 4C est équipée d’un contrôle de trajectoire qui autorise de petites dérives en mode Sport et vous laisse la main en Race avant de vous la reprendre à l’extrême limite. Pas très pur et dur, ça ?
Le freinage, lui, est irréprochable, puissant et très facile à doser. Sans aucun doute l’un des atouts majeurs de la 4C sur circuit, avec ses voies extra-larges et son poids plume. La boîte à double embrayage, demeure très perfectible sur circuit, notamment au rétrogradage où elle manque cruellement de réactivité.