Vous arrive-t-il d’avoir ces moments où vous vous dites qu’il faut tenter le diable ? J’en souffre régulièrement, ce qui peut expliquer mes nombreux achats calamiteux de voitures. Une Lotus Esprit S3 au prix suspect, vendue par un gars au look douteux… Qu’est-ce qui pouvait mal tourner ? Tout, comme vous l’aurez sans doute déjà deviné.
Amour de jeunesse
Mais c’était il y a longtemps. Bien plus récemment, alors que j’aurais dû être bien plus avisé, j’ai failli me mettre dans une situation si délicate que l’Esprit m’aurait semblé être une bagatelle en comparaison. Il s’agissait d’une 308 GT4 qui était en vente pour… 5 000 euros. Et dans les années 1990, même un journaliste automobile pouvait se permettre ce genre de dépense.
Elle était noire, immobilisée et, de mémoire, annoncée comme pouvant « bénéficier d’une légère remise en service avant de retourner sur la route ». Remercions le ciel pour nos moitiés, et surtout la mienne qui me connaît bien mieux que moi-même. « Si tu vas la voir, tu vas l’acheter, m’a-t-elle dit. Tu pourras peut-être te la payer, mais tu ne pourras pas la faire rouler, et encore moins la restaurer. Tu te souviens de cette satanée Lotus ? » Ou quelque chose de ce genre.
Je suis donc resté à l’écart de ce qui était certainement une épave rouillée qui m’aurait envoyé directement en prison pour dettes. Mais j’en voulais toujours une et surtout, j’étais toujours fasciné par la seule Ferrari de série dessinée par Bertone et, ne l’oublions pas, la première Ferrari de route équipée d’un moteur V8.
J’étais fasciné par la seule Ferrari de série dessinée par Bertone et la première Ferrari de route équipée d’un V8
J’en avais l’image d’une voiture pas très bonne. Certains articles de presse d’époque étaient favorables, d’autres non. Lorsque le très sérieux Motor en a testé une en janvier 1975, il a conclu : « Dans l’absolu, la 308 est à bien des égards une très bonne voiture. Mais si vous avez eu la chance d’essayer celle qui la précède, vous pourriez être légèrement déçu. Nous l’avons été. » Aïe. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles, au moment où j’ai été en mesure d’en acheter une, elles étaient peu aimées. Au point de s’afficher à 5 000 €…
L’histoire
Mais avant d’aller faire un tour, revenons 48 ans en arrière, au moment du lancement du modèle, en octobre 1973. Le premier point de confusion est que, bien que dans la chronologie elle arrive à la suite de la Dino 246 GT et qu’elle portait encore les badges Dino (jusqu’en 1976), la véritable remplaçante de cette dernière était la Ferrari 308 GTB de 1975. La Dino n’a donc pas été remplacée par la Dino, mais par la Ferrari.
La deuxième idée fausse est que Bertone ait obtenu le contrat de son dessin sur un coup de tête. Ce n’est pas le cas : rappelez-vous qu’au début des années 1970, Ferrari faisait déjà partie du groupe Fiat et avait travaillé avec Bertone sur la Fiat Dino, qui avait été dessinée par Pininfarina sous sa forme Spider, mais par Bertone sous sa forme Coupé. Tout le monde s’accorde à dire que la Fiat Dino Coupé est une très belle 2+2 à moteur Ferrari, alors, lorsqu’Enzo a eu besoin d’une 2+2 pour sa propre marque, il ne faut peut-être pas être surpris qu’il se soit tourné vers Bertone.
En fait, il y a plusieurs raisons distinctes à l’existence de ce modèle. La première et la plus évidente était la Porsche 911. Bien que Ferrari ne l’aurait jamais admis, la 246 GT a toujours eu du mal à rivaliser avec la 911S, bien moins chère. De plus, la Porsche avait quelque chose que la Dino n’avait pas : des sièges arrière. Au cours de la décennie précédente, la 911 a prouvé ce que peu de gens auraient pu soupçonner : des sièges arrière, si petits qu’ils ont bien du mal à accueillir des êtres humains, forment néanmoins un argument de vente exceptionnel.
Un V8 plutôt que le V6 et du traditionnel pour le reste
Mais Ferrari ne pouvait pas se contenter d’assembler une 2+2 avec la puissance de la 246 : il en fallait plus, et le moteur V6 en était capable, mais seulement en le préparant davantage, ce qui allait le rendre plus nerveux et lui ferait perdre du couple à mi-régime.
Tout cela, Ferrari aurait pu l’accepter s’il n’y avait pas eu un autre facteur à prendre en compte : l’importance toujours croissante du marché américain. Au moment où l’on envisageait de construire la 308, les jours de gloire des muscle cars américaines étaient de l’histoire ancienne. Il aurait fallu réduire le taux de compression du moteur 246 pour qu’il puisse fonctionner avec de l’essence sans plomb de qualité inférieure, et ajouter une foule d’équipements antipollution obligatoires, au point que cette voiture n’aurait non seulement pas les performances d’une vraie Ferrari, mais pas même celle d’une Dino. Sans compter que le moteur de cette dernière, dont la conception remontait aux années 50, commençait à accuser son âge.
Il fallait donc un nouveau moteur, et le choix s’est porté sur un V8 en aluminium de 3 litres, à 4 arbres à cames en tête et seulement 2 soupapes par cylindre. En fait, le moteur affiche une cylindrée de 2 926 cm3 et si vous vous demandez pourquoi Enzo n’a pas utilisé la totalité des 3 litres, vu qu’il partait d’une feuille blanche, je vous invite à considérer ce qui suit. Le moteur de la 308 a un alésage de 81 mm et une course de 71 mm, des dimensions internes identiques à celles des autres moteurs Ferrari de l’époque, les 4,4 litres utilisés par les 365 GTB/4 « Daytona » et 365 GT4 « Boxer », également à 4 arbres et 2 soupapes par cylindre. Nouveau moteur ? Peut-être pas totalement.
Naturellement, ce moteur employait un vilebrequin plat afin qu’il tourne et sonne comme une voiture de course européenne et absolument pas comme un V8 américain. L’alimentation était confiée à quatre Weber double-corps inversés de 40 mm, avec un corps pour chaque cylindre, comme sur toutes les Ferrari (et Dino) depuis la 275 GTB/4.
Pour le reste, la voiture était assez conventionnelle. La puissance était transmise aux roues arrière par une boîte de vitesses à cinq rapports, avec la première décalée, via un différentiel à glissement limité. La suspension était à triangles superposés de longueur inégale aux quatre roues, avec quatre disques ventilés et des pneus Michelin XWX de 14 pouces en 205/70, qui étaient vraiment les meilleurs de l’époque. Le châssis lui-même n’avait rien d’innovant : c’était un châssis-cadre utilisant la même technique d’assemblage de tubes de section carrée et ovale que sur la 246. Mais il est évident qu’il s’agissait d’une voiture considérablement plus grande que la Dino précédente, notamment au niveau de l’empattement, qui a dû être allongé de plus de 20 cm, non seulement pour accueillir un moteur plus gros, mais aussi, bien sûr, les sièges arrière.
Le tour du propriétaire
J’ai toujours aimé l’allure de ces voitures, et c’est toujours le cas, même si j’ai remarqué qu’elles sont bien plus belles en chair et en os, et en mouvement, qu’elles ne le seront jamais statiques et en photo. Et si les sièges arrière sont, comme on pouvait s’y attendre, minuscules, ils ont le mérite d’exister, et je pense que le travail de Bertone pour les intégrer avec le moteur dans l’empattement est presque miraculeux.
La porte s’ouvre à l’aide d’une poignée que les propriétaires de Fiat X1/9 reconnaîtront. On se laisse tomber dans le cockpit et on voit tout de suite ce que Ferrari a essayé de réaliser ici : un nouveau niveau de convivialité. Tous les habituels compteurs Veglia sont présents (il y en a sept au total) et ils créent l’une des instrumentations les plus attrayantes montées sur une Ferrari.
On trouve ensuite un ensemble de leviers de ventilation à gauche et un ensemble de commutateurs secondaires à droite. C’est simple et vraiment très clair, et la visibilité panoramique est également exceptionnelle. Dommage que Ferrari n’ait pas profité de l’occasion pour améliorer un peu la position de conduite. Si je m’assois de sorte que le volant soit là où je le souhaite, mes genoux sont écartés. Si j’utilise tout l’espace disponible pour les jambes, je dois conduire avec les bras tendus, à la manière de Stirling Moss. J’ai également connu des sièges plus confortables…
Sur la route
Mais toutes ces pensées disparaissent lorsque les Weber injectent un peu de carburant et que le moteur se met à vrombir. Sa sonorité est moins mécanique que celle d’une 246 et ce n’est pas une coïncidence, la distribution se faisant pour la toute première fois sur une Ferrari par des courroies dentées faciles à entretenir, plutôt que par des chaînes. Mais le son reste prometteur. Quand on observe toute cette iconographie Ferrari (le volant Momo à branches en alu, la grille de boîte exposée, la petite boule noire au sommet du levier), on n’a qu’une idée en tête : s’élancer.
La sonorité du V8 est délicieuse : pas musicale, mais vive et tranchante
Alors on se met en route, doucement d’abord. Et tout de suite, je suis époustouflé par le niveau de confort. Sérieusement, j’ai connu des limousines qui ne gèrent pas aussi bien les bosses que cette Ferrari : cette machine glisse véritablement sur la route. Comme toujours, j’oublie le temps que mettent les moteurs Ferrari à chauffer leur huile. Avec cette boîte, le second rapport est inutilisable tant que l’aiguille n’a pas bougé de son point d’arrêt et, par cette journée froide, cela prend environ 30 km. Pourtant, le moteur est si doux et les carburateurs si bien réglés qu’il suffit de glisser la troisième à 25 km/h pour s’élancer sans broncher.
Je l’adore déjà, sans même avoir roulé vite. On s’y sent juste bien. Les commandes sont lourdes, mais magnifiquement adaptées, sans que je sache dire si c’est par chance ou à dessein. La sonorité du moteur est délicieuse (pas musicale comme celle d’une Ferrari à six ou à douze cylindres, mais vive et tranchante) et lorsqu’elle est accompagnée du claquement du levier de vitesse dans la grille ouverte, il y a peu d’endroits où je préférerais être.
Même lorsque tout est en place et que je peux monter plus haut dans les tours, je n’ai jamais l’impression de rouler très vite, parce que la voiture est assez lourde (pas loin de 1 300 kg). Elle n’offre pas la gratification instantanée des moteurs modernes débordant de couple et je soupçonne que la puissance de 255 ch annoncée à l’époque était peut-être un peu trop optimiste. Mais comme pour la 246, cela n’a guère d’importance : le moteur monte dans les tours de façon très libre et plus vous vous approchez de la zone rouge, à 7 800 tr/min, plus il se montre frénétique. Je suis monté à plusieurs reprises jusqu’à 7 000 tr/min et j’ai dû me retenir d’aller plus loin, avec l’impression que ce V8 pouvait en donner encore beaucoup plus.
Et, comme le veut la tradition Ferrari, plus vous allez vite, plus vous vous sentez bien. La direction semble un peu neutre à basse vitesse, mais mettez un peu de charge dans la suspension et elle s’anime rapidement. Vous pouvez la pousser dans les virages lents, mais ce qu’elle préfère, c’est d’être posée sur ses ressorts dans un virage rapide, pied au plancher, moteur hurlant, pour le plus grand plaisir de son conducteur.
Une auto sous-estimée…
Au fil d’une journée riche en moments de conduite de ce genre, je me suis retrouvé, de façon plutôt inattendue, de plus en plus attiré par cette voiture. Oubliez ceux qui disent que dans la famille des Ferrari, les modèles à quatre places sont les parents pauvres, et concentrez-vous plutôt sur ce qu’elle a à vous offrir. C’est une Ferrari qui ne ressemble à aucune autre, qui est agréable à conduire, qui l’est encore plus à écouter, et qui peut transporter d’énormes quantités de bagages dans son coffre étonnamment énorme, sans compter sur le surplus d’espace offert par les sièges arrière. Cette seule raison en fait une bien meilleure voiture que la BB contemporaine pour parcourir de grandes distances.
Quant aux comparaisons avec la 308 GTB, qui ont été presque universellement défavorables, permettez-moi de dire quelques mots pour la défense de la GT4. Non, elle n’a pas l’apparence sexy du modèle à deux places et elle est probablement un peu plus lente, parce qu’elle est un peu plus lourde, mais de nos jours, à moins que vous ne fassiez exploser le rupteur à chaque rapport, je doute fort que vous le remarquiez. Et la GT4 est évidemment beaucoup plus pratique.
Et il y a autre chose : elle est également plus maniable. J’ai fait de nombreux voyages à bord de 308 GTB et de leurs descendantes (du moins jusqu’à la 348), mais elles ont toujours été ce que j’appelle des voitures « à 80 % ». On les conduit à fond, mais au premier signe ou sentiment que l’on s’approche de la limite, on recule. Poussez plus fort et elle vous en demandera beaucoup, et pas nécessairement pour les bonnes raisons. Je n’ai jamais eu ce sentiment avec la GT4. Même en jouant avec l’accélérateur dans les virages rapides, on peut obtenir un resserrement utile de la trajectoire, mais guère plus.
Pourquoi ? Je soupçonne que le mérite en incombe en grande partie, sinon en totalité, à son empattement plus long, qui, rappelons-le, n’aurait pas été possible sans l’obligation de fournir ces minuscules sièges arrière.
… mais plus sous cotée
Le marché s’est réveillé pour ces voitures et elles ne sont plus les bonnes affaires qu’elles étaient autrefois (ou qu’elles semblaient être). Le propriétaire de notre voiture estime que la meilleure des meilleures (c’est-à-dire la sienne) vaut environ 85 000 euros, ce qui reste bien moins cher qu’une GTB équivalente, mais la marge se réduit. Après l’avoir conduite, je ne suis pas surpris. Si, comme moi, vous pensez que le plaisir que procure une voiture se calcule en multipliant son agrément de conduite par le nombre de fois où elle vous donne envie de la conduire, la 308 GT4 reste l’une des Ferrari les plus sous-estimées de toutes.
Fiche technique
MOTEUR V8 2 926 cm3
PUISSANCE 255 ch à 7 700 tr/min
COUPLE 282 Nm à 5 000 tr/min
TRANSMISSION Manuelle à 5 rapports, propulsion, différentiel à glissement limité
SUSPENSIONS Av et Ar : triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis
FREINS Disques ventilés, Av : 272 mm, Ar : 277 mm
JANTES Av et Ar : 7,5 x 14”
PNEUS Av et Ar : 205/70 VR14
POIDS 1 265 kg
RAPPORT POIDS/PUISSANCE 4,00 kg/ch
VITESSE MAXI 250 km/h
0 À 100 KM/H 7”0
PRIX NEUF 112 000 FF en 1976 (73 000 euros actuels)
COTE 2023 60 000 – 85 000 euros