Quand le développement de la Countach a commencé, je ne travaillais chez Lamborghini que depuis deux ans. J’y étais entré comme mécanicien, mais Bob Wallace avait accepté de me prendre comme apprenti essayeur. Un apprenti, c’est fait pour apprendre : j’ai donc très souvent été le passager de Bob à bord du premier prototype de la Countach. À cette époque, en 1970-1971, la Miura se vendait très bien, et n’était pas démodée, au contraire. La SV qui venait de sortir était vraiment l’aboutissement du modèle, mais Ferruccio Lamborghini n’était pas du genre à s’endormir sur ses lauriers. Il pensait qu’après avoir fait la révolution, il fallait en faire une deuxième, et il était évidemment encouragé par Nuccio Bertone et Marcello Gandini ! Leur proposition de design pour la Countach correspondait totalement à ce que souhaitait Ferruccio.
Encore fallait-il mettre au point la voiture ! Pour être franc, il a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour y parvenir. Le châssis tubulaire était nouveau et manquait de rigidité à l’arrière. Ce défaut, associé au poids du moteur et à son centre de gravité un peu trop haut, rendait la voiture très survireuse. Ce problème de comportement était encore accentué par le fait que Pirelli n’avait pas encore réussi à mettre au point les pneus à taille ultra-basse que souhaitait l’ingénieur Stanzani. Quand nous avons enfin pu disposer des P7 et que la suspension arrière a été revue, la Countach a radicalement changé : elle est devenue facile à conduire, alors que les premières LP400 étaient beaucoup plus délicates et fatigantes que la Miura SV. La boîte était très dure, la direction aussi, l’embrayage lourd… Mais dès que l’on sortait sur la route avec, c’était l’émeute : on aurait dit qu’une soucoupe volante venait de se poser !
Ce caractère révolutionnaire est sans doute une des raisons pour lesquelles le modèle, à travers ses différentes versions, a eu une carrière si longue. Lamborghini n’a jamais cessé de faire évoluer la Countach. Une fois que nous avons eu les P7, de gros freins, et une bonne suspension arrière, nous avons pu commencer à augmenter la puissance, avec les 400S, les LP5000S et les 5000 QV : 80 ch de plus en 16 ans ! C’est aussi la Countach qui a sauvé Lamborghini, car elle se vendait beaucoup mieux que l’Urraco ou que la Silhouette. Mais à quel prix ! Pendant les années noires, les fournisseurs ne nous livraient plus, et je suis souvent allé moi-même les voir, avec de l’argent liquide, pour acheter par exemple six ressorts, ou un jeu d’amortisseurs. En fait, chaque voiture vendue servait à payer les pièces de la suivante, et ainsi de suite… J’ai eu la chance de conduire chaque exemplaire de Countach de série, ou presque. Une 5000 QV est une très bonne auto, facile à conduire, qui donne confiance. Mais la LP400 d’origine, avec tous ses défauts, est extraordinairement attachante. On ne peut pas ne pas en tomber amoureux ! C’est d’ailleurs vrai de toutes les Lamborghini. La Miura restera toujours mon premier amour, mais la Countach a une place à part, parce qu’après elle, les voitures de sport n’ont plus jamais été les mêmes. De ce point de vue, on peut comprendre que la marque ait voulu lui rendre hommage avec la LP800-4. Même si, évidemment, on ne peut jamais réécrire l’histoire…

Sujet paru dans Hors Série Octane « 50 ans de Lamborghini Countach ».