En 1988, Lamborghini mettait un terme à la production de son entrée de gamme, la Jalpa à moteur V8 née Urraco dix-huit ans plus tôt. Dans l’ombre de leurs grandes sœurs à moteur V12, ces autos n’ont jamais vraiment été populaires même si Lamborghini n’a jamais abandonné l’idée d’ajouter un modèle d’entrée de gamme à son catalogue. C’est pour cela qu’un an avant le retrait de la Jalpa, le constructeur a commencé à travailler sur un nouveau projet répondant au nom de code P140 et qui avait pour mission d’aller ennuyer les 308/328 d’en face. Et pour frapper fort, elle devait marquer sa différence en adoptant ce que ni une Jalpa ni aucune Ferrari n’avait encore proposé : un V10.
Pour habiller ce nouveau moteur réalisé en interne et ce châssis inédit, Lamborghini fit appel à son designer favori, Marcello Gandini. Il proposa un engin acéré et trapu flanqué de montants en verre de chaque côté de la lunette arrière et de passages de roues à la découpe caractéristique du styliste italien. Le résultat n’était pas à proprement parler une belle auto mais cela n’était pas le plus gros souci. Non, le principal problème était l’argent. Ou pour être plus précis, le manque d’argent.
À cette époque, Lamborghini n’avait rien d’une grande firme et ne vendait que très peu de voitures. Et le propriétaire Chrysler n’avait aucune intention de leur envoyer de Détroit un chèque en blanc. Tout cela pour dire qu’il n’y avait pas dans les caisses de quoi développer un modèle entièrement nouveau. De plus, le petit département d’ingénierie ne manquait pas de travail puisqu’il s’activait déjà sur un autre projet, codé P132, qui allait devenir la Diablo. Étant donné qu’il s’agissait du modèle phare de la marque qui devait remplacer l’immense Countach, il avait évidemment la priorité. Ce n’est qu’après son lancement en 1990 que la petite équipe put se concentrer sur sa petite sœur, même si le développement des diverses variantes très lucratives de Diablo occupera une grande partie de son temps. Le projet P140 tourna donc au ralenti jusqu’à ce que la planète économique entre en récession au début des années 90. Il fut alors mis sur pause après que trois prototypes (dont celui en photo) furent construits.
Valentino Balboni s’amusait à mettre délibérément le prototype en tête-à-queue
Mais P140 n’était pas mort pour autant car en 1994, Chrysler revendit Lamborghini à l’Indonésien Megatech qui relança le projet. Mais tout le monde n’était pas forcément fan. C’était notamment le cas du chef essayeur Valentino Balboni qui avait pris pour habitude de placer le prototype délibérément en tête-à-queue sur les routes autour de l’usine pour mettre en lumière ses faiblesses fondamentales en termes de comportement dynamique. Ces problèmes provenaient essentiellement de la position du V10 au-dessus de la boîte, une disposition techniquement discutable justifiée par la décision de définir l’empattement de l’auto en divisant celui de la Diablo par 12 puis en le multipliant par 10.
La hauteur de ce groupe motopropulseur pourrait expliquer pourquoi la proposition de Giugiaro pour le projet P140 parut si disgracieuse et mal proportionnée lorsqu’elle fut dévoilée en tant que concept sous le nom ItalDesign Calà en 1995.
La même année, réalisant qu’il leur serait financièrement impossible de développer ce modèle équipé d’un V10 maison, Lamborghini va changer ses plans et réfléchir à une “Baby Diablo” utilisant un moteur acheté à l’extérieur. Lamborghini approcha alors Audi pour négocier l’achat de leur V8 4,2 litres ainsi que leur transmission intégrale mais si ce nouveau projet n’entra jamais en production, il permit toutefois d’établir un contact qui amena finalement Audi à acquérir Lamborghini en 1998.
Résultat, les fonds et les ressources techniques mis à disposition permirent aux Italiens de ressortir des oubliettes l’idée d’un V10 maison et de relancer le projet P140 qui arriva enfin en production sous les traits d’une auto que nous connaissons tous : la Gallardo. Cela a demandé 15 ans mais en 2003, Lamborghini a enfin eu sa “Baby” à moteur V10.