S’il y a bien une Ferrari mal nommée, c’est la 250 GT Lusso. Luxe ? Oui, d’accord. Mais est-ce bien l’essentiel ? N’aurait-il pas mieux valu l’appeler Bella ? Bellissima, même ? Car les lignes de ce modèle éphémère, dont la carrière n’a duré que deux ans (1963-1964) avant qu’il ne cède la place à la 275 GTB, sont à couper le souffle. Je ne suis pas le seul à le penser puisque, entre autres célébrités, Steve McQueen en posséda une.
Il est donc particulièrement surprenant qu’un riche amateur, en 1963, porte son choix sur le nouveau modèle et décide immédiatement d’y faire apporter des modifications esthétiques.
C’est pourtant ce qui est arrivé à cet exemplaire, qui est proposé à la vente par le spécialiste britannique GTO Engineering. Le châssis 4383 GT est la 16e Lusso à être sortie d’usine, et son premier acquéreur n’était pas des moindres dans le monde de l’automobile sportive de l’époque : il s’agissait en effet de Luciano Pederzani, qui avait fondé avec son frère Gianfranco la marque Tecno, qui fabriquait des pompes hydrauliques (qui assuraient leur fortune), mais aussi, par passion, des kartings puis des voitures de course, qui faisaient figure d’épouvantail dans les courses de F3 et de F2. Dix ans plus tard, Tecno allait même se lancer en F1, avec un châssis et un moteur maison, mais avec des résultats désastreux.
Après deux ans d’utilisation, Lucian Pederzani se lasse-t-il des lignes de sa Lusso ? Toujours est-il qu’un jour de 1965, il la confie à Fantuzzi, un carrossier de Modène qui avait déjà réalisé plusieurs Ferrari et Maserati de course, et qui produisait les carrosseries des Tecno. Fantuzzi modifie l’auto, mais en restant dans l’orthodoxie Ferrari : il remplace la face avant plutôt droite de la Lusso par un avant plongeant à phares carénés sous plexi, et perce des ouïes d’aération façon GTO dans les ailes avant. Le résultat ne manque pas d’allure, en particulier dans la livrée d’origine de l’auto, gris métallisé avec un intérieur en cuir noir.
Malgré ce changement radical, Luciano Pederzani ne conserve pas longtemps 4383 GT, qu’il revend en 1966. En 1968, on la retrouve, comme bien des Ferrari, aux Etats-Unis. Elle y connaît trois propriétaires en peu de temps : Richard Trask, Avi Brand, et, en 1977, Tom Meade. Ce dernier n’est pas n’importe qui dans l’univers Ferrari, puisqu’il est le créateur des Thomassima dont nous reparlerons un jour.
4383GT mérite-t-elle de conserver les modifications qui la rendent unique ?
Designer lui-même, Meade modifie à nouveau la voiture, en ajoutant à l’avant des écopes, de refroidissement du même type que celles des 250 GTO, ainsi que des évents dans les ailes arrière. Il fait aussi repeindre l’auto en rouge, qui n’est pas forcément la couleur qui sied le mieux à ses lignes, avant de la revendre à son tour.
La valse des propriétaires reprend, et l’auto se dégrade petit à petit. En 1980, elle disparaît de la circulation, stockée dans un hangar, avant d’être rachetée 25 ans plus tard par un autre Américain, Mark Robinson. La mécanique est entièrement restaurée en Grande-Bretagne par DK engineering, avant que l’auto ne soit confiée à GTO Engineering, qui rénove totalement la carrosserie ainsi que l’intérieur, qui est désormais beige. Aujourd’hui, cette Lusso singulière est à vendre, mais le prix est « sur demande », ce qui veut dire plusieurs millions d’euros probablement ! Les vaut-elle ? Pourquoi pas. Avec son histoire singulière, 4383GT mérite en tout cas de conserver les modifications qui la rendent unique, même si elles déséquilibrent un peu la ligne d’origine, car elle reste indiscutablement une Ferrari, sur laquelle sont intervenus des artisans qui connaissaient et respectaient la marque. Caprice personnel, je lui rendrais volontiers ses teintes intérieure et extérieure d’origine. Mais je ne pense pas qu’on me donne un jour la possibilité d’assouvir cette envie…