Reportage

Reportage : 50 ans avec une Ferrari 250 Lusso

Bill Collins a acheté sa 250 Lusso il y a cinq décennies et l’a chérie depuis : voici à quoi ressemble une vie avec une Ferrari iconique.

« Maintenant, écoutez-moi, Collins, un petit conseil. Si vous pouvez résister à l’envie de faire tourner ce moteur V12 à plus de six mille, il durera pour toujours » : tels ont été les mots du vendeur de voitures. Ce vendeur se trouvait être le pilote du Mans et de voitures de sport Mike Salmon, qui travaillait chez Maranello Concessionnaires, l’importateur britannique, voilà environ 50 ans. Bill Collins, alors promoteur immobilier de 25 ans, se trouvait dans le salon d’exposition de Maranello Concessionnaires à Egham, dans l’ouest de Londres, pour acheter sa deuxième Ferrari.
ferrari 250 gt lusso 7 « En grandissant, j’ai toujours été fou de Ferrari et lorsque j’ai eu 18 ans, mon oncle, qui était, comment dire, un peu excentrique, a acheté une Ferrari 330GT 2+2, raconte Collins. C’était ostensiblement sa voiture de fonction et, comme je travaillais avec lui dans l’immobilier, nous l’avons conduite dans tout le pays à des vitesses considérables. Elle était totalement fiable et ne tombait jamais en panne. Je me souviens d’une fois où il l’a fait monter à 7 000 tr/min en surmultipliée, ce qui devait représenter près de 260 km/h.
Mon oncle a finalement vendu la 330 et je me suis retrouvé chez Maranello à la recherche d’une autre Ferrari en 1971. Il y avait une magnifique 250 SWB dans l’atelier mais elle était trop chère. J’ai donc fait une offre sur cette 250 GT Lusso de 1964, numéro de châssis 5467GT, l’un des 23 exemplaires avec conduite à droite jamais fabriqués. À l’état neuf, la Lusso était la Ferrari V12 la moins chère que l’on pouvait acheter, avec un prix catalogue de 5 900 livres sterling. Je n’ai pas payé ce prix parce qu’elle était d’occasion. Elle n’avait eu qu’un seul propriétaire. Il s’appelait Rory McEwen, un chanteur de folk écossais vivant à Londres. La voiture a été livrée en argent, mais il l’avait commandée dans cette teinte Aston Martin « Roman Purple », alors Maranello l’a envoyée à Harold Radford pour la faire repeindre. J’ai des images sur DVD des Ford GT40 en cours de développement chez Radford, avec ma Lusso en arrière-plan », raconte Bill.
ferrari 250 gt lusso 12 Et c’est ainsi qu’a commencé une histoire de 50 ans. « J’ai fait exactement ce que Mike Salmon m’avait conseillé, enfin, la plupart du temps. Et j’ai utilisé la voiture au quotidien pendant plusieurs années. Elle était fiable et facile. Docile, même, dans le trafic, si ce n’est un peu bruyante sur un long trajet, mais quel bruit ! À Londres et dans les environs, elle souffrait de bougies encrassées, mais l’arrivée des bougies NGK, avec une plage de température plus large, a permis de résoudre le problème. À un moment donné, j’ai monté des « snaps » de course à l’arrière des échappements et des cornets sur les carburateurs Weber, mais tout a été remis en état d’origine depuis.
Bien sûr, j’avais d’autres voitures à l’époque, dont un certain nombre de Mini-Cooper. Elles étaient très amusantes à Londres et la 1 071 cm3 qui montait haut dans les tours était ma préférée. J’en avais une blanche avec des vitres noires et, en tant que DJ, je la conduisais tard dans la nuit, ce qui m’a valu d’être arrêté assez régulièrement. La police était simplement intéressée et, comme je n’ai jamais bu d’alcool, tout allait bien.
Après quelques années d’utilisation, la Lusso a développé un problème de boîte de vitesses et ne voulait pas passer en marche arrière, ce qui n’est pas très bon à Londres. J’ai contacté David Clarke, qui dirigeait à l’époque une petite entreprise. Il a ensuite fondé Graypaul, le célèbre spécialiste des Ferrari. David employait un certain Bob Houghton [un autre nom très réputé dans le milieu Ferrari] et celui-ci a reconstruit la boîte de vitesses à merveille. Un peu plus tard, il s’est occupé des joints de culasse.
Comme j’utilisais régulièrement la Ferrari, j’ai décidé d’en nettoyer les soubassements. Avec l’aide de Fairfax Dunn, le mécanicien de David Piper, nous les avons décapés et j’ai fait nettoyer et plaquer de cadmium tous les éléments de la suspension, puis tout a été peint et traité contre la rouille. Mais la Ferrari n’était pas tout à fait parfaite une fois que nous avons tout remis en place, alors je l’ai emmenée chez Ivan Dutton pour une révision. Il s’est immédiatement aperçu que le bras de renvoi côté droit était monté dans le mauvais sens, il l’a donc retourné et la voiture est redevenue normale. »
Aujourd’hui, les dessous de la Lusso sont totalement immaculés. En fait, ils sont comme neuf, sans aucun signe de corrosion ou d’éraflure de la route.
« Ivan s’occupe de la Ferrari depuis des années, dit Bill. Il m’a fait découvrir l’excitation des circuits en 1984, lorsque nous avons inscrit la voiture au Pomeroy Trophy, à Silverstone. Comme il s’agissait d’une série d’essais avec handicap et d’une course, le Pom a attiré toutes sortes de voitures. Je n’arrivais pas à croire à quelle vitesse nous pouvions aller et à quel point le circuit était large. Et c’est génial que personne ne vienne dans l’autre sens. Les tours de circuit rapides ont provoqué une surchauffe de la Ferrari. J’ai donc remplacé le radiateur d’origine par un radiateur plus grand, qui a parfaitement fonctionné depuis. »
La peinture violette profonde met en valeur la Ferrari et lui donne un aspect élégant et propre. Il y a quelques traces de décoloration sur le capot et à l’arrière, ce qui n’est pas surprenant car cette peinture a 58 ans. « J’ai fait effectuer quelques travaux sur les côtés, mais je n’ai pas l’intention de la repeindre entièrement », déclare Bill. Et pourquoi le ferait-il ? Il ne s’agit pas d’un vieux tacot usagé et usé jusqu’à la corde. Il s’agit d’une Ferrari originale et bien entretenue qui n’a parcouru que 87 912 km entre les mains d’un passionné qui aime la voiture et qui en a pris grand soin.
« Il y a deux ans, j’ai remarqué que le moteur commençait à se dérégler. J’ai donc emmené la voiture chez Foskers, près de Brands Hatch, où Alastair Gill a constaté que le moteur perdait de la compression. Il l’a reconstruit avec des pistons, des segments, des coussinets et des joints neufs, des carburateurs reconditionnés, etc. Tout est conforme aux normes d’origine et on maintenant l’impression que tous les chevaux sont de retour. »
ferrari 250 gt lusso 10 Ouvrez la porte conducteur et vous serez enveloppé par la bonne odeur du cuir Connolly « Luxan » d’origine. Une fois que vous vous êtes glissé dans le siège baquet à dossier fixe, vous remarquez que l’habitacle est léger et aéré, avec des montants minces et une bonne visibilité dans toutes les directions. La disposition des instruments, longtemps considérée comme étrange, est aujourd’hui tout à fait originale et pas inintéressante. Le compteur de vitesse et le compte-tours Veglia sont situés au centre du tableau de bord, orientés vers le conducteur, tandis que les autres indicateurs sont placés droit devant. Le grand levier de vitesse est un peu moins macho qu’à l’accoutumée, avec une jolie indentation pour deux doigts sur le bord d’attaque, et il se passe de la grille exposée. Le grand volant garni de bois est agréable et élégant.
L’intérieur de 5467GT présente quelques touches inhabituelles, notamment une boîte à gants et un appuie-tête passager non standard, qui ont peut-être été installés par Radford. Bill a fait installer une radio Becker Mexico haut de gamme en 1971 et la Ferrari est équipée de ceintures de sécurité Irvin de type aviation. L’étiquette de contrôle du Pomeroy Trophy pend encore fièrement à la poignée du passager.
La Lusso a été dessinée par Pininfarina mais construite par la Carrozzeria Scaglietti. Et elle est très stylisée, avec son pare-chocs avant en trois parties (une section centrale principale et deux butoirs d’angle incurvés sous les feux latéraux). Certains aficionados considèrent que la Lusso est un peu clinquante et il est certain qu’elle possède un peu plus de chromes et de fioritures que les voitures de route dépouillées, mais elle reste une GT élégante et la forme générale est magnifiquement proportionnée et gracieuse, du nez aquilin bas à la queue de Kamm relevée à dessein.
Le moteur est le V12 à 60º à course courte classique conçu par Colombo, avec un seul arbre à cames en tête pour chaque banc de cylindres. La cylindrée est de trois litres, donc chaque cylindre a une capacité de 250 cm3 (d’où la nomenclature Ferrari « 250 »). La puissance est estimée à 240 ch à un régime élevé de 7 000 tr/min, avec un couple maximal de 260 Nm atteint à un régime de 6 000 tr/min. Et ce moteur est de toute beauté. Placé bas dans le châssis, il affiche toutes les meilleures signatures Ferrari : 12 cylindres surmontés de couvre-culasses noirs vermiculés, une série de carburateurs Weber au centre, et deux filtres à huile au garde-à-vous à l’avant. Naturellement, il y a deux distributeurs, deux bobines et un klaxon Fiamm pour ouvrir la voie. Le compartiment moteur est propre, bien ordonné et adapté à l’usage, mais en aucun cas nettoyé pour la frime. Tout comme cette Lusso dans son ensemble : c’est une voiture qui roule.
Bill m’a simplement tendu les clés et m’a dit : « Allez faire un tour ». Pas de consignes, pas d’instructions, pas d’histoires. Il suffit de prendre sa Ferrari, vieille de 50 ans, et de la promener dans Londres.
ferrari 250 gt lusso 5 J’insère donc la clé de contact et la pousse contre le ressort : ce vrombissement du démarreur, unique à Ferrari, se transforme en un grésillement lorsque le V12 s’enclenche. Les trois Weber 36DCS double-corps s’ébrouent et claquent tandis que le carburant remplit les cuves et que le moteur tourne en douceur. Oui, il émet ce miaulement spécial des V12 Ferrari que les adultes paient une fortune pour écouter et on sent à la complexité empressée de sa sonorité qu’il se passe beaucoup de choses sous le capot. Des ingénieurs talentueux ont travaillé dur pour s’assurer que la myriade de composants mécaniques s’engrènent et se coordonnent de manière syncopée et ils ont tenu à ce que cela s’entende.
La pédale d’accélérateur, le levier de vitesse et la pédale d’embrayage sont aussi mécaniques que l’on pourrait s’y attendre, mais la Ferrari se déplace avec facilité, ses commandes étant linéaires et permettant une progression en douceur. L’idée qu’il faille faire tourner ce moteur à fond pour obtenir une réponse est vite chassée, car le couple à bas régime est ample et la voiture se conduit avec une douce fluidité. La puissance se manifeste par une houle régulière à mesure que le régime augmente et la Lusso se montre une compagne coopérative. La position de conduite est bonne pour un conducteur de taille moyenne, mais ceux qui ont de longues jambes peuvent souffrir de la proximité des pédales.
Le volant est placé haut et, bien que le système de direction à vis et secteur à faible démultiplication ne soit pas aussi précis qu’une bonne crémaillère, il est parfaitement exact pour une utilisation rapide sur route. La suspension offre la configuration standard des Ferrari des années 1960 : à l’avant, on trouve les habituels doubles triangles à ressorts hélicoïdaux et à l’arrière, le sommaire pont rigide suspendu par des ressorts à lames assistés par de ressorts hélicoïdaux, et deux bras radiaux pour une précision supplémentaire. Le freinage est confié à des disques Girling, avec servo-assistance.
Certains puristes murmurent que la Lusso est trop lourde et que le moteur, placé très en avant dans le châssis, n’est pas aussi bien situé que dans la 250 SWB. C’est peut-être le cas, mais, conduite de la façon prévue, elle ne succombe pas au sous-virage et le moteur de 240 ch est bien capable de la tirer à toute allure. L’habitacle luxueusement garni ajoute sans doute un peu de poids, mais le capot, les portes et le couvercle de coffre sont tous en aluminium. Chaque élément de carrosserie est spécifiquement numéroté car ils sont tous montés à la main et aucun élément de cette voiture ne s’adaptera à une autre sans importantes retouches.
ferrari 250 gt lusso 6 Lorsque vous passez le rapport supérieur, votre cerveau vous dit d’aller chercher le cinquième pignon qui n’existe pas, car il s’agit de l’une des dernières Ferrari équipées d’une boîte à quatre vitesses. De nombreux propriétaires ont opté pour une boîte cinq, mais Bill a laissé sa voiture d’origine car elle est « assez rapide comme ça ». C’est bien vrai.
Dans les rues de Londres, la Lusso s’est parfaitement bien comportée, sans aucun signe d’encrassement des bougies, et sur une route rapide à deux voies en dehors de la ville, le V12 commence à chanter. Ce joli volant garni de bois transmet des informations précises, et les pneus Michelin XWX au dessin d’époque n’ont que 205 mm de large, bien qu’ils semblent plus gros sur les roues très décalées, et ils font ce qu’on attend d’eux. Leur adhérence n’est pas élevée mais le comportement de la Ferrari est bénin dans le monde réel. La voiture est douce et file comme une flèche, sans aucune nervosité. Sur un asphalte mal entretenu, la conduite souffre un peu, et les crêtes transversales peuvent provoquer des secousses, mais il s’agit d’une voiture des années 1960 et c’est à vous de la « piloter » et de la contrôler. Maintenant que Bill l’a équipé des échappements en acier inoxydable de série, la bande sonore du V12 est bravissimo sans être trop forte.

Cette voiture est unique et elle le fait sentir : le calme avec lequel elle avance sur la route est une révélation

Traverser une grande ville par un petit matin ensoleillé, avant que tout le monde ne soit réveillé, est toujours spécial. Mais le faire dans une Ferrari d’origine, d’un violet profond, qui a le même propriétaire depuis 50 ans, l’est encore plus. Ce moteur est magnifique. Il suffit d’une pression du pied pour passer du silence à l’opéra. C’est une question d’équilibre et, lorsque la route s’ouvre, la deuxième vitesse devient rapidement la troisième, puis le rapport supérieur et nous voilà partis.
Que dois-je donc retenir de cette expérience avec cette Ferrari Lusso ? Elle est belle à voir, en grande partie d’origine et si amoureusement entretenue par Bill Collins, sans qu’il n’ait jamais eu à la démonter pour la restaurer entièrement. Cette voiture est unique et elle le fait sentir : le calme avec lequel elle avance sur la route est une révélation. Je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’elle soit si ferme, raffinée et obéissante. C’est un cheval cabré, après tout, mais il ne se pavane pas. Il se contente d’aller de l’avant.
La Lusso est peut-être un peu éclipsée par sa sœur 250 SWB mais, en tant que Ferrari utilisée quotidiennement dans une grande ville, elle doit être le choix de la raison. Bill, qui a souvent transporté à son bord ses sœurs lorsqu’elles lui rendaient visite à Londres nous livre une dernière anecdote : « Ma sœur Jackie, malheureusement décédée et qui était romancière, appréciait la Lusso, mais elle était passionnée de voitures, ayant possédé une Ford Mustang 1966 pendant de nombreuses années, qu’elle faisait transporter entre Londres et Los Angeles. Mon autre sœur ne fait pas vraiment attention à la Lusso. Elle a une Rolls-Royce à Los Angeles avec un grand miroir de maquillage sur la banquette arrière, ce qui est important pour elle car elle est actrice. Elle s’appelle Joan. » Ça vous dit quelque chose ?

ferrari 250 gt lusso 2

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Paul Harmer

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 FICHE
TECHNIQUE
Moteur
V12
Cylindrée (cm3)
2953
Disposition
avant
Suralimentation
Sans (Atmosphérique)
CO2 (g/km)
Non communiqué
Puissance maxi (ch à tr/mn)
240 à 7500
Couple maxi (Nm à tr/mn)
278 à 5500
Type de transmission
Propulsion
0-100 km/h annoncé
8”0
Vitesse maximum
240 km/h
Poids
1100 kg
Prix
Non communiqué
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