Essai

UN ESSAI SIGNÉ OCTANE

Lamborghini Countach 5000 QV vs Ferrari GTO : Duel à l’aube

Evan Klein
le
Lamborghini et Ferrari sont d’éternels rivaux, mais la Countach QV venait titiller la 288 GTO d’une manière inédite. Place au duel.
SOMMAIRE

Si les duels à l’aube ont incontestablement quelque chose de désuet, ils n’en demeurent pas moins ­plébiscités par certains gentlemen lorsqu’ils ne parviennent pas à trouver un meilleur moyen de ­résoudre le différend qui les ­oppose. Il suffit alors de convenir d’un lieu et d’une heure, et de prévoir les mousquets… ou dans le cas présent, les autos.

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La rivalité avec Ferrari fait partie de l’essence même de la marque de Sant’Agata, et ce combat ne cesse d’occuper ses plus ardents supporters. D’aucuns iront jusqu’à avancer que la raison d’être de Lamborghini n’est autre que de surclasser Ferrari sur la route. Les anecdotes de duels improvisés entre pilotes ­essayeurs sur les routes autour de Modène ne manquent pas, le plus souvent avec Dario Beluzzi au volant de la Ferrari, et Valentino Balboni derrière celui de la Lamborghini.

Une Countach unique et une Ferrari culte

Dans le cas présent, le énième round de cette confrontation se tient en Californie, à Newport Beach, dans l’heure qui précède le lever du jour. Les protagonistes ne sont autres qu’une Lamborghini Countach unique en son genre et une Ferrari 288 GTO (qui à défaut d’être unique, n’en est pas moins remarquable). Cette Countach 5000 QV, équipée d’un 5,2 litres à 48 soupapes, est l’évolution d’un dessin qui avait déjà 14 ans au moment des faits. Si Patrick Mimran n’avait pas volé à la rescousse de la marque, au bord du dépôt de bilan en 1980, cette voiture n’aurait probablement jamais vu le jour. Il est à noter que cet exemplaire n’est autre que le véhicule personnel de Mimran, peint en Bordeaux Speciale, et équipé d’un moteur aux tolérances optimisées développant environ 475 ch. Il a fait l’objet d’une restauration complète en Californie par son propriétaire actuel.

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Deux supercars réunies pour régler leurs comptes : d’un côté la Lamborghini et son V12 à six carburateurs, de l’autre la Ferrari et son V8 gréé de deux turbos.

La « 288 » GTO, quant à elle, a été adoubée par Enzo Ferrari en vue d’un engagement en Groupe B. Si le patriarche n’avait pas accepté que l’on ressuscite ces trois lettres emblématiques et autorisé ses ingénieurs à travailler sur un modèle d’homologation, il n’y aurait pas eu de GTO, et sans doute pas de F40 non plus.

Évidemment, la GTO a été homologuée par la FIA dès lors qu’on eut fini de modifier les 200 exemplaires de 308 GTB en les équipant notamment d’un V8 biturbo dérivé de la F1. Si l’arrêt du Groupe B mit un terme prématuré au programme de développement de la GTO Evoluzione, cet aléa eut également pour effet de rendre le modèle instantanément culte.

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Leonardo Fioravanti a tracé les courbes provocantes de la 288 GTO.

L’histoire de l’homologation de la Countach par la FIA est plus méconnue. Une fois que 200 exemplaires de la 5000 QV furent produits, tous équipés du Motore Tipo L 507 V4 quattrovalvole et de ses six carburateurs à double corps Weber 44 DCNF, cette ­variante fut homologuée. L’idée était alors de produire une version allégée de la Countach Evolution destinée à des courses de GT, qui ne verront finalement pas le jour. Le marché américain est aujourd’hui particulièrement friand de cette version à carburateurs aspirés positionnés au-dessus du bloc (surnommée Downdraft outre-Atlantique), lui qui n’en a connu qu’une version à injection sensiblement moins puissante.

Les raisons d’aimer la QV sont nombreuses, mais le fait qu’elle signe le retour de la disposition voulue par l’Ingegnere Giulio Alfieri sur la Miura (carbus au-dessus, donc) tout en faisant un joli pied de nez aux normes antipollution, n’est pas la moindre. Il s’agit également, sans conteste, de la Countach de série la plus puissante, ce qui suffit à parfaire sa réputation.

Duel à l’aube

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Dans le calme du petit matin, j’entends arriver les voitures à des kilomètres, surtout la Countach. Après le son vient l’image, surréaliste, de ces deux icônes sportives surgissant tous feux allumés. De quoi mettre les sens en émoi.

Une fois les moteurs coupés, je découvre le toucher particulier des panneaux en composite de la GTO (grâce auxquels elle ne pèse que 1 270 kg). Sur la Countach, l’utilisation de telles matières se limite aux capots avant et arrière, l’essentiel de la carrosserie étant réalisé en aluminium formé à la main. Les deux voitures sont truffées de détails merveilleux : la Countach intimide par ses formes trapézoïdales et ses arêtes vives, tandis que la GTO marie à merveille l’agressivité et l’élégance.

Toutes les GTO sont sorties de Maranello peintes en Rosso Corsa, et celle-ci (le châssis n° 52743) n’échappe pas à la règle. Elle n’a pas changé depuis le jour où elle trônait sur le stand Ferrari du Salon de Turin 1984. La Countach (châssis n° GLA12997) ­arbore en revanche une teinte spécialement conçue par PPG pour Patrick Mimran, alors PDG de Lamborghini, et que vous ne verrez nulle part ailleurs.

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Le moteur de la GTO un chef-d’œuvre dérivé de la compétition.

On a beau dire qu’il est préférable de ne ­jamais rencontrer ses idoles, la journée se présente sous les meilleurs auspices. Au moment de se glisser dans l’habitacle, la GTO paraît finalement assez civilisée : les baquets en cuir noir matelassé sont confortables, et le trajet entre le volant est le pommeau est d’une distance idéale. D’abord tourner la clé, puis appuyer sur le bouton en caoutchouc, et voilà le V8 qui se met à battre la mesure. Que ce soit droit ­devant, ou dans les autres directions d’ailleurs, la visibilité est parfaite.

Sur la route en GTO

Quelques kilomètres suffisent à se rendre compte que le caractère du moteur biturbo ajouté à l’empattement court font de la GTO une auto qui demande à être traitée avec un certain respect, y compris en ligne droite. Certes, elle est moins puissante que la F40, mais avec son gabarit et ses pneus relativement étroits, elle ne saurait s’accommoder de plus, surtout lorsque les turbos se mettent à souffler.

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L’intérieur de la Ferrari est sans fioritures

Cette motorisation a quelque chose de très moderne, et il est intéressant de constater que de nombreuses supercars actuelles ont recours à une architecture similaire. Dans l’esprit, ce moteur évoque la période des turbos en Formule 1, avec une zone rouge ­située légèrement plus bas, certes. Sa sonorité ne dépareillerait pas dans une voiture de compétition en tout cas : rauque et mécanique, sans chercher outre mesure à être ­mélodieuse. Le sifflement émis par la soupape de décharge incite également à l’envoyer dans les tours. Rétrogradez en ­seconde, ouvrez en grand, et vous obtiendrez une poussée de nature à vous rendre accro.

La direction est très directe, sans aucun flou, et parfaitement communicative. Elle est même étonnamment vive pour une voiture de cette époque. Cela dit, elle est lourde à faible allure, ce qui heureusement ne dure pas. Le levier de vitesse tout comme la pédale d’embrayage requièrent en revanche force et doigté. C’est en cela qu’elle se distingue de ses homologues modernes, aux commandes bien plus faciles. La transmission n’aime pas être brusquée : mieux vaut mettre un coup de gaz avant de tenter d’enclencher la première sur cette boîte inversée.

Dans le calme du petit matin, j’entends arriver les voitures à des kilomètres

L’étagement est relativement resserré, ce qui vous oblige à maîtriser l’art de changer les rapports si vous voulez profiter pleinement de l’auto. Évidemment, ces interactions régulières procurent également un certain plaisir tactile et s’avèrent particulièrement gratifiantes.

La suspension est ferme (le contraire serait surprenant au regard des performances de l’engin) mais jamais inconfortable, et les pneus à taille haute contribuent à assurer une certaine souplesse. Le châssis est d’une rigidité digne d’une voiture moderne et traduit ainsi les ambitions du modèle en compétition. En revanche, il suffit d’observer la taille des jantes pour comprendre que les freins sont de dimensions modestes, mais ils ont une bonne attaque et inspirent plutôt confiance.

La 288 GTO semble en fait étonnamment ­moderne pour une voiture de trente ans d’âge. Elle s’avère d’ailleurs bien plus apte à un usage routier que la F40 qui lui a succédé. Sa garde au sol est meilleure, tout comme son confort, sans même parler de son allure plus discrète, tandis qu’elle n’a rien à lui envier en matière de sonorité ou de caractère. Envisager un long trajet se fait sans arrière-pensée. Personnellement, je me vois parfaitement la conduire toute la journée.

Au volant de la Countach

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C’est Patrick Mimran, le PDG de Lamborghini, qui a choisi cette couleur inhabituelle.

C’est à présent la Countach qui m’appelle. Par comparaison, elle paraît bien avant-­gardiste, surtout au moment d’ouvrir la portière en élytre et de s’installer à bord. Le siège est étonnamment confortable, à condition de ne pas être un trop grand ­gabarit. La position de conduite, quant à elle, est imposée et s’avère plutôt sportive : vous êtes allongé les bras tendus.

Au premier tour de clé, le légendaire V12 et ses six carburateurs se mettent à gronder de ­manière divine. Quelques kilomètres suffisent à effacer tous les a priori que je pouvais avoir sur la difficulté de conduire cette voiture. Elle est même étonnamment facile à mener. Bien entendu, notre exemplaire est en parfait état, ce qui est indispensable si l’on veut pleinement profiter d’une Countach. La 5000 QV est nettement plus puissante que les LP500 et LP400 qui l’ont précédée, au point que ces dernières paraissent anémiques en comparaison.

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Les six carburateurs sont installés au-dessus du V12.

Le moteur nous vient d’un temps où l’on ­parlait à peine de normes antipollution en ­Europe. Avec ses carburateurs Weber là où ailleurs l’injection gagnait du terrain, il symbolise parfaitement la fin d’une époque. Sa configuration est unique en son genre dans le monde automobile : 12 cylindres en V, 4 ­soupapes par cylindre et, bien sûr, les ­fameux carburateurs aspirés. Le bruit qu’il émet à pleine charge a de quoi vous hérisser le poil ! Comme si cela ne suffisait pas, notre exemplaire est en échappement libre, ce qui se traduit par des pétarades et parfois quelques flammes au levier de pied.

La direction partage les qualités de celle de la GTO, bien qu’il faille encore plus de poigne lors des manœuvres. La commande de boîte, bien qu’exagérément ferme, récompense le geste bien exécuté, et l’embrayage n’est pas plus lourd que celui de la Ferrari.

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Le cuir est neuf à l’intérieur de la Lamborghini

La suspension de cette Countach me donne l’impression d’être plus souple que celle des autres Countach que j’ai pu conduire. Les larges pneus taille basse s’avèrent d’une précision surprenante et ne pénalisent pas spécialement le confort. À chaque virage qui passe, le châssis et les suspensions me prouvent qu’ils sont dignes de confiance. Certes, il s’agit d’une voiture de route, mais il est clair qu’elle a été pensée pour la compétition. Les freins sont à la hauteur également, surtout pour l’époque. Ce n’est évidemment pas la voiture idéale pour une balade tranquille à la campagne, mais pour se faire une montée d’adrénaline sur les routes côtières de Californie, elle est sans égale.

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Ce qu’il y a de plus appréciable avec la GTO, c’est l’agilité que lui procurent son physique d’athlète et la poussée des turbos. Bien ­menée, elle est redoutable sur les petites routes. La Countach en revanche séduit par sa ­manière flamboyante d’adapter des technologies de compétition à un usage routier. À conduire, c’est un spectacle permanent qui n’a eu de cesse que de me faire sourire. Soyons honnêtes, l’objectif ici n’a de toute manière jamais été de vous proposer un comparatif strict : il y en a eu bien assez lorsque ces voitures étaient plus récentes et (beaucoup) plus abordables. Pourtant, bien qu’il s’agisse d’autos assez différentes, leurs performances les ont toujours rapprochées. Celles-ci ont d’ailleurs maintes fois fait l’objet de débats. Ainsi, les GTO fournies à la presse pour les essais se sont avérées, pour certaines, beaucoup plus puissantes que d’autres. C’est un fait que ­Nicola Materazzi, l’ingénieur en chef de la GTO, a d’ailleurs reconnu. En tout état de cause, il est communément admis qu’un bon exemplaire est capable de dépasser les 300 km/h. La question de l’homogénéité des performances est encore plus sensible s’agissant de la Lamborghini, sachant que l’usine proposait deux niveaux de préparation pour les QV. Ainsi, c’est avec un exemplaire doté de 460 ch que le magazine allemand Auto Motor und Sport a atteint 300 km/h en 1985, tandis que c’est un modèle « préparé » à 475 ch (avec des arbres à cames retravaillés) que le pilote de F1 Pierluigi Martini a mené jusqu’à 315 km/h en 1986. L’ingénieur en chef Luigi Marmiroli et le pilote essayeur Valentino ­Balboni ont tous les deux confirmé que la ­voiture de Patrick Mimran avait bénéficié de cette mise à niveau.

Conclusion

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L’une est une balle de fusil, l’autre un boulet de canon. À votre avis, laquelle est laquelle ?

Au-delà des chiffres, ce sont aujourd’hui d’autres raisons qui font l’attrait de ces voitures. Le fait que ce soient des icônes des ­années 80, des modèles d’homologation ou encore qu’elles incarnent le summum du ­savoir-faire de leur constructeur respectif au moment de leur sortie, laisse présager du meilleur pour leur avenir. La GTO a depuis longtemps conquis le cœur des collectionneurs tandis que la 5000 QV commence tout doucement à s’y faire une place.

Cette différence s’explique sans doute par la prise de conscience tardive du rôle que devait jouer ce modèle auprès de la FIA. Si je devais utiliser une métaphore pour décrire les deux bolides, je dirais que la GTO est une balle de revolver tandis que la Countach tient plus du boulet de canon. L’une est précise et efficace, l’autre démolit tout sur son passage, et tant pis pour la subtilité. Mais n’allez pas croire que cela suffirait à les départager : elles sont ­incomparables, chacune a son caractère et ses atouts. Le seul véritable gagnant de ce duel, c’est moi, puisque j’ai eu la chance de passer un moment en compagnie de ces deux ­légendes et que la réalité s’est avérée encore plus belle que mes rêves. 

Fiches techniques

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Lamborghini Countach 5000 QV 1986
(préparation usine)

Moteur V12, 5 167 cm3, 48 soupapes, 2×2 ACT, 6 carburateurs Weber 44 DCNF 
Puissance 476 ch à 7 000 tr/min 
Couple 500 Nm à 5 200 tr/min 
Transmission Mécanique à 5 rapports, propulsion
Direction Crémaillère 
Suspension : AV : triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis.
AR : triangles supérieurs, bras inférieurs parallèles, doubles combinés ressorts/amortisseurs, barre antiroulis 
Freins AV et AR : disques ventilés 
Poids 1 490 kg  Vitesse maxi 313 km/h  0 à 100 km/h 4’’6

Ferrari GTO 1984

Moteur V8, 2 855 cm3, 32 soupapes, 2×2 ACT, injection Marelli-Weber, 2 turbocompresseurs IHI, échangeur air-air Behr 
Puissance 400 ch à 7 000 tr/min 
Couple 496 Nm à 3 800 tr/min 
Transmission Mécanique à 5 rapports, propulsion 
Direction Crémaillère
Suspension AV et AR : triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis
Freins AV et AR : disques ventilés
Poids 1 270 kg
Vitesse maxi 305 km/h
0 à 100 km/h 4’’8

 

Cet essai est paru dans le Hors Série Octane ’50 ans de la Lamborghini Countach’ que vous pouvez vous procurer sur notre site NG Presse, en papier ou en numérique.

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