Quand on lui demande en quoi il roule, Edouard Schumacher esquive avec un sourire espiègle : « Moi je n’ai pas des voitures. Je joue avec des garages. Le plus gros des kiffs ! Et en plus j’ai des potes qui viennent jouer avec moi à l’intérieur. Mon bonheur, il est là ! ».
S’il joue, ce grand enfant n’est en revanche pas là pour amuser la galerie. L’ascension de son groupe dans le secteur est fulgurante : Maserati, Lamborghini, Alpine, McLaren, Bugatti, Porsche et maintenant Dallara. « On m’a dit que la marque cherchait un représentant à Paris. Je connaissais bien sûr les châssis. Quand je suis arrivé dans la manufacture, j’ai compris que c’était le poumon de la compétition dans le monde. J’ai trouvé çà incroyable. Comme dans un team sportif ! » raconte avec enthousiasme le jeune (41 ans) patron cool et looké.
PDG à 26 ans
Edouard a repris les rênes de l’entreprise familiale à 26 ans, suite au décès de son père. Il n’est pas préparé à prendre de telles responsabilités d’autant qu’à l’époque, les comptes sont dans le rouge. 15 ans plus tard, le groupe Schumacher devenu LS Group en 2019 est un poids lourd de la distribution automobile en pleine croissance qui dépasse le milliard d’euros de chiffre d’affaires.
Les fondations du groupe et l’essentiel de l’activité reposent toujours sur des marques populaires, notamment Renault.
La branche prestige remonte à 2015 seulement et n’est pas le fruit du hasard. « On a toujours l’envie d’écrire sa propre histoire ou en tout cas d’écrire son chapitre dans le livre. J’espère que ce n’est pas de l’arrogance mais c’est l’envie de dire : ok, j’ai mis mon empreinte, j’ai réalisé quelque chose, je laisse une trace. Renault est une marque populaire d’ingénieur et sur le plan sportif, elle a toujours été au top de la compétition. Quand je l’ai connu, c’était à travers la F1 et j’admire le fait qu’un généraliste soit capable d’être motoriste en F1. Et puis il y a aussi évidemment des marques qui m’ont d’abord parlé avant même la technicité. Ca a commencé par Maserati, qui a inventé le grand tourisme » confie-t-il, fier de raconter comment il a réalisé sa première prise dans le monde l’automobile sportive.

Maserati, Lamborghini, McLaren, Bugatti…
« Je voulais absolument intégrer le réseau Maserati. Je me rappelle du pitch, j’avais 33 ans, des Italiens en face de moi qui avaient un autre plan de développement et je suis arrivé par-dessus avec mon franglais et quelques mots d’italien. Je leur ai vendu le projet. On n’avait même pas encore le lieu et ils m’ont choisi sans doute parce que j’allais chercher une part de ce rêve qui m’animait depuis très longtemps. On s’est beaucoup investi dans la marque et puis un jour, j’ai reçu un appel d’un numéro italien. J’écoute le message “Monsieur Schumacher, on recherche un distributeur pour Paris et on aimerait savoir si vous seriez candidat”. J’aurai dû le garder parce qu’il m’a sidéré. Je me dis mais je rentre dans quel monde ? On parle de Lambo ! Nous étions les Petits Poucet mais là encore, la force de notre conviction a décidé Lamborghini à nous choisir contre toute attente. Après Lamborghini, McLaren par le cercle de recommandation s’est dit et bien, il y a Schumacher… ».
J’avais 33 ans, des Italiens en face de moi qui avaient un autre plan de développement et je suis arrivé par-dessus avec mon franglais et quelques mots d’italien
Quand on demande à l’ambitieux PDG comment il arrive à faire cohabiter toutes ces marques de prestige sans diluer l’image de chacune, on comprend l’importance du sujet dans sa stratégie : « Le vrai risque en effet c’est de dire : je mets les marques les unes à côté des autres et puis j’oublie quels sont les ADN respectifs. Là tu perds toute valeur ajoutée et les clients ne s’y trompent pas. Chacun chez soi ! Chaque marque a son univers c’est-à-dire son lieu, son équipe dédiée et en termes de communication on ne fait surtout pas d’amalgames ! De temps en temps on peut faire des événements où on va faire cohabiter nos marques mais juste pour se donner plus de moyens. On ne peut pas parler de McLaren comme on va parler de Lamborghini, Bugatti ou Alpine. Chacune a sa propre mélodie et si on arrive à la préserver, on peut créer quelque chose de puissant ».

Ne lui parlez pas de luxe
« On avait deux manières d’aborder les choses : la mauvaise pour moi c’était de dire finalement ce sont des marques de luxe. L’erreur à ne pas commettre parce que le luxe c’est quoi ? C’est de l’argent et ça ne veut rien dire, ça ne mène nulle part. Ces marques là c’est de l’expérience, de l’émotion, du lifestyle jusqu’à l’adrénaline de la compétition et c’est vraiment la voie que nous voulons prendre. C’est pour ça qu’on essaie de développer des moments un peu différents, qu’on croise les univers avec la musique, la sneakers, la street culture d’une part et d’autre part on s’engage avec des écuries durablement en compétition. On s’est associé avec Autosport GP, un team sportif avec qui on travaille depuis longtemps. LS Group a deux teams : l’une spécialisée Alpine, jeunes talents, GT4 (Autosport GP) et l’autre spécialisée GT3 et endurance (IMSA) ».
On avait deux manières d’aborder les choses : la mauvaise pour moi c’était de dire finalement ce sont des marques de luxe
N’est-ce pas compliqué, malgré tout, de composer avec l’hostilité dont la voiture, qui plus est la voiture de prestige, est la cible dans une ville comme Paris ?
« On est sorti du centre historique (Paris intra-muros) qui n’est clairement pas fait pour les voitures. J’habite le centre de Paris et je me déplace en métro, j’ai mon passe Navigo. Et puis nous n’entretenons pas une image prétentieuse, en tout cas on essaie. Je détesterais çà. On ne véhicule pas l’esprit de “moi j’ai de l’argent et je vous emmerde”, surtout pas, et des clients comme çà on n’en veut pas ! Je pense que c’est ce qui nous a préservé jusqu’à présent » confie Edouard avant d’ajouter « Je me souviens quand on a ouvert la concession Lambo à Puteaux. Il y a plein d’écoles autour et on voyait tous les jours les enfants passer devant la vitrine en se tenant par la main. Un après-midi on est allé les chercher. On avait acheté des croissants et des pains au chocolat et on leur a dit le gouter, c’est dans la concession ! En réalité ces marques reposent sur quelques clients et une grande masse de passionnés. Si Ferrari est la première marque au monde c’est parce qu’on rêve tous d’en avoir une. C’est pareil pour Lambo, Bugatti. C’est la communauté de fans qui nous porte. Il faut l’activer et ne pas l’oublier. Si tu t’adresses seulement à tes clients tu es mort. Dès qu’on fait un événement, il y a toujours une part réservée à nos clients et une part réservée à nos fans : les spotters, les gamins etc ».
On ne véhicule pas l’esprit de “moi j’ai de l’argent et je vous emmerde”, surtout pas, et des clients comme çà on n’en veut pas !
En sept ans à peine, Edouard a observé une évolution très nette du marché : « Nos clients sont plus jeunes, plus attachés aux capacités réelles de leurs voitures, beaucoup plus experts et surtout, ils veulent vivre des moments : rallye, trackday, devenir eux même pilote un jour. Dès 35 ans on voit des fans qui craquent, pas pour faire les cons dans la rue et poser la voiture devant un resto. Ce sont des gars qui veulent piloter leur voiture, qui veulent se faire leur kiff ».

En mode start-up
L’homme ouvre des concessions en rafale mais ne choisit pas toujours la facilité, à l’image de McLaren : « Tous les jours, tu reprends à zéro. Des marques comme Lamborghini sont inscrites dans trois, quatre, voire 5 générations dans l’imaginaire collectif. Hyper ancrées. McLaren existe dans la course auto depuis 60 ans mais dans la partie automotive c’est la moitié d’une génération. Donc ce n’est pas évident. T’es en mode start-up en permanence et tu as derrière toi un constructeur qui évolue comme un team sportif. Il faut avoir un sacré engagement. Ce ne sont pas des marques que tu représentes pour l’argent. Il y a des business qui sont beaucoup plus faciles ailleurs et s’il n’y avait pas la passion, on aurait jeté l’éponge depuis longtemps. Il y a des moments où çà m’étouffe mais la plupart du temps c’est ma bouffée d’oxygène ! ».
Il y a des business qui sont beaucoup plus faciles ailleurs et s’il n’y avait pas la passion, on aurait jeté l’éponge depuis longtemps
La transition écologique à marche forcée et son impact sur l’automobile sportive ne semble pas inquiéter outre mesure ce vendeur de rêve : « Ce n’est pas une hypercar qui fait entre 2000 et 6000 km/an qui va générer de la pollution. Il y a beaucoup de sujets dogmatiques. Passer à l’électricité ou l’hydrogène, pas de souci. Après la question c’est est-ce que ton énergie est verte, est-ce que tu produits localement, est-ce que finalement dans le schéma global tu es réellement vertueux ? Avec le reconditionnement, là on tient quelque chose, çà c’est intelligent ! Pourquoi on n’en parle pas plus ? ». Il ne manque plus à Edouard Schumacher beaucoup de marques de voiture de sport d’exception pour réussir le grand chelem. Impossible dès lors, de ne pas lui parler de Ferrari : « Il y a un distributeur aujourd’hui et je ne suis pas en contact avec la marque. Après s’il y a une place vacante ici ou ailleurs bien évidemment, comme n’importe qui, je vais regarder » analyse le pragmatique et ambitieux patron qui n’a pas fini de faire parler de lui dans le petit monde de l’automobile sportive.