Les forces en présence
Je ne suis pas certain qu’un duo plus improbable ait un jour foulé le bitume du circuit de Bedford. Un peu comme les jouets mutants de Toy Story, l’Ariel Nomad et la Morgan CX-T posées dans la pit-lane du circuit offrent un tableau assez curieux avec leur suspension à long débattement, leurs pneus inappropriés, leurs rampes de phares additionnels et leurs tubes de métal protecteurs.
On ne pourra pas accuser ces engins de ne pas être à l’aise car ils sont ici à des années-lumière de leur zone de confort. L’asphalte doux et lisse d’un circuit automobile est un territoire étranger, le domaine de ces autos est la boue, la terre, le poussiéreux et l’humide. Mais je me dis qu’il va être amusant de voir comment elles s’adaptent à cet endroit hostile.
Totalement en décalage avec l’environnement du jour, ces deux autos sont aussi très différentes l’une de l’autre, à l’exception de leurs pneus tout-terrain et de leurs arceaux enveloppants. La Nomad reste un dérivé de l’Ariel Atom dont on ne sait pas vraiment à quoi il peut bien servir tout en étant étrangement et irrésistiblement attirant. Je ne sais pas trop ce que j’en ferais, ni où je roulerais avec mais depuis qu’il est sorti, je ressens le désir profond d’en ajouter un dans mon garage.
Lui aussi est né dans l’ouest de l’Angleterre mais un peu plus au Nord à Malvern Link. La CX-T est un nouvel exemple de l’inventivité de Morgan qui cherche à se réinventer en dévoilant des concepts audacieux produits en série limitée capitalisant sur la singularité historique de la marque. Que ce soit avec ses trois roues ou ses engins off-road, les propositions ludiques et excentriques de Morgan sont tout simplement génératrices de sourires et d’une bonne humeur très contagieuse.
Dès qu’il s’élance, le Nomad se montre vivant et disposé à vous faire passer un bon moment
La question est de savoir si ces autos ne se comportent bien que sur route ou si une session sur circuit va nous révéler qu’elles sont aussi gratifiantes dans d’autres environnements a priori moins amicaux ? Il n’y a qu’une seule façon de le savoir…
Au volant du Nomad
Je prends les devants à bord de la Nomad. La dernière fois que j’en ai conduit une, c’était la Nomad R à compresseur de 360 ch en pneus semi-slicks sur le circuit d’Anglesey sous la pluie. Elle hurlait comme une tronçonneuse hors de contrôle, sa boîte séquentielle était brutale et demandait un peu de temps pour qu’on s’y habitue, mais elle était terriblement rapide sur cette piste glissante parsemée de flaques profondes. Les rapports étaient extrêmement courts, l’accélération complètement dingue et j’ai eu besoin d’un petit moment de calme à l’arrière du garage pour me remettre de cette session. Je me suis alors demandé à quoi bon redévelopper un Nomad pour le circuit alors que ce dernier était à la base une Atom conçue pour faire de la piste et modifiée pour s’exprimer en off-road ? J’étais heureux d’en avoir essayé une mais je n’aurais pas cherché à renouveler l’expérience, c’était assez étrange comme ça.
Mais ce Nomad-là est différent. C’est le Nomad créé comme l’entendaient ses créateurs avec un 4 cylindres atmosphérique, de longs débattements de suspension et des pneus tout-terrain (Yokohama Geolandar). Le moteur est un Honda VTEC classique qui, avec 2,4 litres de cylindrée offre plus de couple à mi-régime que l’équivalent 2,0 litres. Cela reste relatif bien sûr. Avec 238 ch pour seulement 670 kg, cela ne manquera toutefois pas de performances en ligne droite, comme en atteste le 0 à 100 km/h abattu en 3’’5.
Une fois démarré, le ralenti sonne comme on l’attend d’un 4 cylindres préparé et monté dans un châssis tubulaire. L’épaisseur des tubes rassure même si passer à travers pour s’installer dans le siège n’est pas aisé, ni même gracieux. Idem pour sortir car vous devez tordre chacun de vos membres dans le bon ordre si vous voulez éviter de vivre un moment embarrassant en vous coinçant dans l’opération. Une fois à bord, difficile de ne pas se sentir exposé, comme lorsque vous êtes assis dans un Grand 8 en attendant le départ tout en sachant que le manège se termine par un passage à travers un gué plein d’eau. En dépit du pare-brise, le conducteur du Nomad sait qu’il va devoir composer avec les éléments.
Dès qu’il s’élance, le Nomad se montre très vivant et disposé à vous faire vivre un bon moment. Le levier de vitesse vole aisément à travers la grille, très vite vous prenez conscience que de petits mouvements de votre part engendrent de larges effets sur la voiture. Le 2,4 litres ne s’envole pas dans les tours comme les VTEC Honda classique, mais c’est largement suffisant pour lui donner de quoi signer d’excellents chronos sur un tour. Et puis, quelle joie de profiter d’un moteur atmosphérique de nos jours.
Léger, le Nomad ne dispose d’aucune assistance et, bien qu’il soit réactif, il faut vraiment être très concentré et lui indiquer précisément ce que vous souhaitez faire. Une approche un peu timide donne de mauvais résultats. Lorsqu’il se met à glisser, il ne revient pas naturellement en ligne, c’est à vous de l’accompagner.
Une fois admis cela, le Nomad est encore plus amusant sur circuit. Les limites sont évidemment plus basses que celles d’une Atom mais grâce à ça il est aussi plus facile à piloter, au point de me mettre en tête au bout de quelques tours de le faire glisser dans chaque virage. La répartition du poids privilégiant l’arrière, le Nomad se met très vite en travers et il faut être rapide au volant pour le récupérer. Mais ensuite, la merveilleuse réponse moteur vous permet de maintenir la dérive à l’aide de petits coups d’accélérateur. Il est un peu difficile de trouver l’axe de dérive au début mais une fois calé, il peut glisser sans effort très longtemps.
Du bord de piste, le Nomad ressemble à une vieille Indycar avec ses roues inclinées dans le même sens. C’est cartoonesque. Au volant, le roulis et le tangage vous procurent par moments la sensation d’être sur un rodéo, notamment lors des changements de direction répétitifs. Mais c’est tout de même génial et pour être franc, je serais capable d’aligner les tours jusqu’à vider le réservoir s’il n’y avait une autre auto qui m’attendait dans les stands. Découvrir tout ce dont est capable le Nomad sur circuit et se dire qu’il peut en faire autant sur les chemins de terre rend cette Ariel encore plus irrésistible.
Au volant de la Morgan
La CX-T patiente à l’autre bout de la pit-lane et franchement, je ne m’attends à rien de formidable. Je n’aurais déjà pas choisi une Morgan Plus Four standard pour faire du circuit puisque nous en avions une lors de la Sportive de l’année 2020 (avec le Nomad R mentionné plus haut) et que si j’avais très envie d’aimer ce roadster, la réalité fut tout autre.
Morgan a produit de gros efforts pour moderniser ses autos ces dernières années sans dénaturer leur charme vintage mais j’avais trouvé qu’il restait beaucoup de l’ancien monde dans le comportement dynamique de la Plus Four. C’était une des autos les plus compliquées à piloter à la limite avec une direction étrange, un grip limité et une tenue de route pointue qui la rendait assez peu amicale et encore moins gratifiante à conduire vite. Et son 4 cylindres BMW B48 coupleux, bourru et sans humour s’exprimait assez mal dans une auto de ce poids.
Mais attention, pour se balader tranquillement sur des petites routes, la Plus Four reste très convaincante, il est juste dommage qu’elle n’offre pas plus de rigueur lorsqu’on la pousse dans ses retranchements, surtout après avoir été autant modernisée. Bref, une version conçue pour le désert n’offre guère de bons présages à mes yeux.
La CX-T est née dans le studio de design de la marque. Lorsque les responsables ont découvert les dessins du concept, ils se sont dit qu’il fallait la produire en toute petite série, huit exemplaires en l’occurrence. Fabriquée en collaboration avec Rally Raid, un spécialiste du Dakar, c’est en gros une Plus Four mâtinée de steam punk et modifiée pour s’ébattre joyeusement hors des sentiers battus plus que pour participer sérieusement à une course off-road. C’est plus un engin lifestyle qu’une auto de compétition, une sorte de voiture Instagram… à plus de 240 000 euros !
La Morgan est terriblement amusante, alors qu’elle n’a strictement rien à faire ici
L’auto est bourrée de merveilleux détails, que ce soit son robuste filtre à air caché dans une sorte de sacoche de selle fixée sur le capot ou son échappement à sortie latérale, ce qui doit l’empêcher de se boucher si vous reculez dans une profonde flaque. De plus, les immenses débattements de suspension et les grosses protections du soubassement devraient la protéger efficacement des ralentisseurs illégaux. D’un bref coup d’œil, on a l’impression que la CX-T est armée pour supporter la fin du monde mais son exosquelette est surtout là pour le look et pour offrir quelques points d’attache aux éléments du kit de survie que la CX-T embarque. Le véritable arceau-cage est en fait caché sous le hard-top.
Mais que va donner la CX-T chaussée en Dunlop Maxis tout-terrain sur circuit ? Bien qu’elle n’ait pas l’enchevêtrement de tubes de la Nomad, l’accès à bord est tout de même difficile et il faut se faufiler à travers un étroit tunnel entre le seuil et le toit pour prendre place à bord. Une fois assis, si vous faites plus de 1,80 m, vous allez vous sentir à l’étroit avec le volant sur les genoux tandis que le petit pare-brise vous obligera à vous pencher légèrement pour voir correctement. Le 4 cylindres 2,0 litres turbo BMW démarre sans bruit tandis que la boîte paraît bien terne après celle du Nomad empruntée à Honda. Malgré les pneus différents et les onéreux amortisseurs Exe-TC, la sensation au volant ressemble fort à celle d’une Plus Four standard. Pas encourageant.
Premier virage : une épingle. Je braque et… whoua… la CX-T prend un roulis que je n’avais plus expérimenté depuis les petites GTI des années 90. J’ai eu peur de chavirer. Toutefois, je reprends très vite l’accélérateur pour la sortie et le différentiel électronique dans son réglage verrouillé permet à l’auto de s’extraire de façon prévisible. Je rigole déjà comme un idiot.
Bientôt mon rire va retentir sur tout le circuit car la CX-T est juste hilarante bien qu’elle se trouve très loin de l’environnement pour lequel elle a été conçue.
Elle s’accroche au bitume de manière ludique, avec des mouvements de caisse presque comiques mais sans s’évanouir dans un malheureux sous-virage comme on pouvait le craindre. Non, elle reste résolument accrochée à la trajectoire dans un hurlement pneumatique de protestation et consent parfois à s’abandonner dans un survirage lorsque vous la provoquez vraiment. C’est un labrador à côté du berger écossais qu’est la Nomad. Je suis tout aussi impressionné de ne pas la voir tomber en pièces. Le bloc BMW manque de caractère mais il compense avec une large plage de couple qui propulse la CX-T hors des virages serrés avec un bel enthousiasme.
Elles nous rappellent que le plaisir derrière le volant n’est pas lié au chrono
La tentation de couper largement sur les vibreurs, voire au-delà, vous vient tout de suite à l’esprit pour dessiner de nouvelles trajectoires et signer le meilleur temps du circuit. Certes, ce serait de la triche mais la sensation que tout est possible derrière le volant est vraiment stupéfiante. Pour résumer, on parle ici d’un sentiment rare en voiture : le plaisir. Nous n’avons pas souvent essayé deux autos qui semblaient aussi inutiles et qui, au final, se révèlent si amusantes. Il est difficile d’expliquer l’intérêt de ce genre d’autos à quelqu’un qui “ne sait pas” ou qui ne veut pas comprendre. C’est en tout cas un sentiment qui ne s’embarrasse pas du tarif. Quelqu’un qui a assouvi tous ses désirs automobiles ne pourra que difficilement résister à ces engins un peu fous. Savoir qu’on peut le faire et que ça vous colle la banane est suffisant pour franchir le pas.
En conclusion
Passer du temps à leur volant a agi sur moi comme un rappel. Prendre du plaisir au volant n’est pas une question de chrono, d’appui aéro ou d’accélération de 0 à 100 km/h. Le seul vrai critère, le seul curseur réellement valable, c’est le bonheur qu’elles procurent. Et, il faut l’admettre, bien que ces deux autos le fassent de façon différente, elles parviennent toutes deux à vous greffer un immense sourire sur le visage. L’objectif est donc atteint, et bien atteint.
Fiches techniques
Morgan Plus Four CX-T
Moteur 4 cyl., 1 998 cm3, turbo
Puissance 258 ch à 5 500 tr/mn
Couple 350 Nm de 1 000 à 5 000 tr/mn
Poids à sec 1 213 kg (4,70 kg/ch)
0-100 km/h env. 6’’ (est.)
V-Max env. 225 km/h (est.)
Prix de base £ 204 000 soit env. 245 000 euros
Ariel Nomad
Moteur 4 cyl., 2 354 cm3
Puissance 238 ch à 7 200 tr/mn
Couple 300 Nm à 4 300 tr/mn
Poids à sec 670 kg (2,82 kg/ch)
0-100 km/h 3’’5
V-Max > 200 km/h
Prix de base £ 33 000 soit env. 40 000 euros (non homologuée en France)
Article paru dans EVO 158. Vous pouvez le commander sur le site de NG Presse en cliquant ici.