Se souvenir de l’ère Bahar chez Lotus, c’est aussi se remémorer les détails d’un rêve fiévreux absolument délirant. Il y avait les magazines lifestyle imprimés sur du papier si brillant que les lire vous collait les paupières comme du lait concentré vos doigts. Il y avait la boutique vendant des produits de luxe excessivement chers alors que la gamme routière ne comprenait que des modèles basés sur la déjà vieille et spartiate Elise. Il y eut aussi les journées presse du Mondial de Paris 2010 où un parterre de célébrités incluant Naomi Campbell et Brian May dévoilait cinq nouveaux modèles pendant que Sir Stirling Moss apparaissait pour proclamer que s’il avait 50 ans de moins dans une de ces voitures : « Eh bien, il emballerait toutes les filles, non ? ».
Non mais sérieusement, quelqu’un a pris la température des gars ?
Les esprits chez Lotus avaient eux aussi la fièvre, surtout lorsqu’ils affirmaient en toute franchise qu’ils allaient mettre cinq modèles entièrement nouveaux sur le marché lors des six années suivantes (plus une petite citadine hybride en collaboration avec le propriétaire Proton). C’était un projet d’une telle ambition que même un patron de grand groupe automobile mondial tel que Toyota ou Volkswagen y réfléchirait à deux fois avant de donner son feu vert. Sans parler du fait d’exposer ensemble tous les concept cars annonciateurs des futurs modèles, des autos imaginées et construites à partir d’une feuille blanche en seulement dix mois. Tout cela ressemblait à une belle opération de com’ sans fondements concrets mais sachant que dans le Norfolk, des prototypes de la future Esprit étaient en cours de production, l’espoir était de mise. Cela semblait très prometteur mais cela devint bien plus hasardeux lorsque Dany Bahar, probablement “boosté” par sa soirée parisienne avec Brian May, décida de mettre à la poubelle le V8 Lexus prévu et ordonna aux ingénieurs Lotus de concevoir à la place un moteur en interne.
En fait, notre histoire tourne autour de ce V8. Habituellement, nous ne parlons dans cette rubrique que de voitures qui ont approché de très près la mise en production mais ce ne fut jamais le cas de l’Esprit. Certes, beaucoup de travail de conception par ordinateur avait déjà été effectué et les designers s’étaient basés sur ces données pour façonner un show car réaliste, mais nous étions encore très loin d’une auto de production. La voiture présentée à Paris n’était rien de plus qu’une étude de style en fibres de verre mue (à basse vitesse) sur les estrades des salons par de petits moteurs électriques.
Dany Bahar a remplacé le V8 Lexus prévu par un inédit moteur fait maison
Malgré tout, le bloc avait déjà atteint un stade avancé de développement et un prototype fonctionnel tournait au banc. Selon Dany Bahar, ce V8 sortait près de 580 ch associé à un KERS optionnel et pesait 80 kg de moins que celui de Lexus tout en étant 40 % plus petit. Après son passage au banc, ce moteur tout nouveau fut installé dans une Ferrari 458 modifiée pour des essais routiers juste avant que le ciel ne tombe sur la maison Bahar.
L’audacieux bonhomme fut “démissionné” en 2012, le porte-monnaie magique dans lequel il puisait les ressources s’est subitement refermé et le seul mulet existant fut détruit dans un accident et jamais remplacé. Après le départ du boss, les autres concepts présentés à Paris furent déclarés morts mais le projet de nouvelle Esprit s’est malgré tout poursuivi jusqu’en 2014, date à laquelle le nouveau patron Jean-Marc Gales y mit un terme définitif. L’inédit V8 hybride si prometteur est venu grossir la liste des projets techniques automobiles avortés.
Une indiscrétion qui a filtré jusqu’à nous indique que l’Esprit révélée au Mondial de Paris 2010 n’a pas été détruite et qu’elle vit toujours dans les locaux de Hethel, où elle sert de rappel à ceux qui ont œuvré sur la nouvelle hypercar Evija afin « qu’ils ne reproduisent pas les mêmes erreurs et qu’ils fassent les choses correctement cette fois-ci ».