L’histoire de cette Ferrari Testarossa unique est dominée par la figure légendaire pour laquelle elle a été assemblée à l’origine : le patron de Fiat, Gianni Agnelli. Mais elle peut également être appréciée pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une superbe auto. Même s’il a existé une poignée d’autres Testarossa Spider, celle-ci est à part car elle est le seul exemplaire à avoir été produit par l’usine et par Pininfarina. Elle fourmille également de détails démontrant la réflexion, les efforts et les coûts engagés pour créer un objet digne d’un homme considéré comme « le roi sans couronne d’Italie ».
La Testarossa
Lancée en 1984, la Testarossa est restée, aux yeux du grand public, l’une des Ferrari de route les plus reconnaissables. Conçue comme un modèle capable de couvrir de longues distances à grande vitesse et dans un relatif confort, c’était une voiture plus raffinée que les Berlinetta Boxer qui la précédaient. En témoignent ses radiateurs, placés des deux côtés du moteur plutôt qu’à l’avant de la voiture, un positionnement qui permettait de réduire la température dans l’habitacle et d’augmenter le volume du coffre avant.
Quand la 365 GT4 BB a été lancée en 1973, l’architecture de son moteur 12 cylindres à plat était partagée avec les Formule 1 Ferrari et la sport-prototype 312 PB. Lorsque la Testarossa est apparue, plus d’une décennie plus tard, le 12 à plat n’était plus une référence en compétition mais il était devenu un moteur incroyablement doux et puissant. Avec l’ajout de culasses à 4 soupapes par cylindre et d’une injection améliorée, il développait 390 ch et recevait les louanges des essayeurs de l’époque.
L’auto de Gianni Agnelli
En 1986, Ferrari commença à transformer le châssis 62897 en un Spider pour Gianni Agnelli. C’était le genre de personnage que seule l’Italie pouvait produire : aussi bien homme d’affaires et d’état que playboy, il avait acquis une immense fortune, ainsi qu’un pouvoir et une influence tout aussi considérables. D’un côté, c’était une icône de la mode, l’ami de Henry Kissinger et du Prince Rainier, de l’autre un homme à femmes charismatique lié aux actrices et aux mondaines de l’époque.
Né à Turin en 1921, il était le petit-fils de Giovanni Agnelli, le fondateur de Fiat, et Gianni et sa famille finiront par être impliqués dans des entreprises qui ont représenté un tiers du marché boursier italien. Quand Giovanni est décédé en 1945, Vittorio Valletta est devenu le Président de Fiat, avec Gianni comme second, qui le remplaça à la retraite de ce dernier, en 1966. Trois ans plus tard, l’entreprise prenait une part majoritaire de Ferrari.
Agnelli était un client de longue date d’Enzo Ferrari, depuis l’achat en 1950 d’une 166 MM Touring Barchetta à la peinture bi-ton. Il a également possédé une 400 Superamerica Coupé Speciale unique, à carrosserie Pininfarina, qui avait été peinte en argenté avec une bande bleu pâle sur les côtés. C’est une livrée qui sera reprise sur sa Testarossa, dont la construction a débuté le 27 février 1986. La voiture fut livrée à peine quatre mois plus tard, le 16 juin, et le fait qu’il soit techniquement impossible d’obtenir une immatriculation personnalisée en Italie semble avoir été oublié ici : elle portait la plaque turinoise TO 00000G.
Des détails uniques
En tournant autour de la Spider, on découvre toutes sortes de détails fascinants sous sa livrée Argento et Blu. Prenons par exemple les rétroviseurs, qui ne sont pas les modèles habituels doppio specchio. Au lieu de cela, il s’agit de deux rétroviseurs de mono specchio, plus gros et plus anciens, avec des bases réalisées sur-mesure. Montées juste derrière, les custodes ornées de logos Pininfarina n’ont été vues sur aucune autre Testarossa.
La hauteur de l’encadrement de pare-brise a été réduite de 40 mm, ce qui signifie que celui-ci est également plus petit, et on trouve au-dessus du vitrage un délicat aileron amovible qui sert à la fois de saute-vent et de cache pour les points de fixation de la capote. Celle-ci est supportée par un arceau noir qui peut être déployé via un interrupteur placé sur la console centrale.
Le capot arrière est particulièrement bien dessiné. La trappe à essence a migré sur l’aile gauche et s’ouvre en actionnant une commande électrique placée près du frein à main, à côté duquel se trouve un troisième levier chromé pour opérer le couvercle sous lequel se range la capote. Les deux autres leviers sont standards (l’un pour le coffre avant, l’autre pour le capot moteur). Ce dernier est clairement une pièce sur-mesure et est suffisamment lourd pour devoir être maintenu ouvert par une tige rigide en lieu et place des vérins à gaz des Testarossa de série.
Les bas de caisse sont plus larges que d’origine, permettant d’améliorer la rigidité en l’absence de toit, et d’autres subtiles différences se retrouvent à l’intérieur. Les commandes des antibrouillards avant et arrière ont été replacées de la platine située au plafond à la console centrale, celle-ci ayant été rallongée de 55 mm. Elle héberge également le joystick qui contrôle les rétroviseurs et un allume-cigare positionné à la place du témoin de frein à main.
L’après Agnelli
Agnelli a conservé la Testarossa jusqu’en 1991, la vendant ensuite à un ami proche, avec lequel il jouait au poker et qui était tombé amoureux de la voiture. Elle est restée dans la même famille jusqu’en février 2016, lorsque Artcurial la proposa lors de sa vente de Rétromobile. Elle passa alors aux mains d’un homme qui a une longue histoire avec Ferrari : Ronald Stern. En 1975, celui-ci s’est rendu à l’usine de Maranello au volant de sa Cobra, et cette visite allait cimenter son amour pour la marque italienne. Ce jour-là des mécaniciens ont sorti une voiture de Grand Prix et l’ont démarrée juste devant lui.
« J’ai une magnifique photo d’Ermanno Cuoghi en train de travailler sur la voiture, se souvient Stern. Derrière lui, quelqu’un se tenait avec les doigts dans les oreilles, tant le moteur était bruyant. C’était tout simplement hypnotisant. Il manquait à la monoplace sa partie supérieure, elle était donc à nu, sur le parvis de l’usine, au vu de tous. Les temps ont bien changé.
C’est alors qu’Enzo est apparu. Il a traversé la rue avec Clay Regazzoni pour déjeuner. Je me suis dit que j’allais les suivre et m’asseoir avec eux. Les jeunes et leurs rêves… Ils sont entrés dans une arrière-salle et j’ai donc mangé mes pâtes tout seul. Je me rappelle que c’était une journée très chaude, et avoir entendu plus tard, au loin, Regazzoni conduire la monoplace autour du circuit de Fiorano. C’était fabuleux. »
Stern était conquis et il a depuis compilé une collection de souvenirs et d’archives sans égale dédiée à Ferrari. « Un voisin avait décidé de partir s’installer en Thaïlande. Il avait une collection d’albums-souvenirs et quelques brochures. Il m’a demandé si je voulais la lui racheter et comme j’étais très intéressé par l’histoire de Ferrari, je l’ai fait. Puis j’ai rencontré Ben Horton de la librairie Hortons Books, ainsi que son père, Mike. Ils ont accepté de venir chez moi pour voir ma collection, et ils ont considéré certaines de mes pièces comme étant extrêmement intéressantes. Ben est alors passé en mode commerçant : il m’a vendu quelques pièces vraiment fabuleuses et m’a aidé à commencer à assembler mes archives. Il a tenu un rôle clé dans tout cela. »
Du casque d’Alberto Ascari à des documents personnels, tels que l’un des vieux passeports d’Enzo, sa collection est si vaste que Stern a du mal à choisir sa pièce préférée : « Je possède tant de choses magnifiques. Il s’agit de raconter l’histoire et de comprendre en profondeur ce qui s’est passé chez Ferrari. Enzo était tellement impliqué : c’était un génie absolu ».
Puis, il y a les voitures. À la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, Stern a non seulement acheté une 250 GTO (le châssis 3757GT, désormais propriété de Nick Mason), mais également la 250 GT SWB ex-Stirling Moss ayant remporté le Tourist Trophy.
« Stirling est venu déjeuner à la maison et m’a ensuite envoyé une magnifique carte, que je chérirai toujours. Il est venu voir mes archives et sa carte représentait une photo de la SWB 1960, avec écrit par-dessus : « À Ronald : vous ne faites pas les choses à moitié ». Je trouvais ça si bien formulé. C’est un bien précieux. »
Une simple conversation permet de réaliser à quel point la passion pour Ferrari et le savoir de Stern sont immenses, et il n’y a pas gardien plus approprié pour la Testarossa d’Agnelli. Considérez le fait que cet achat était plus une affaire de cœur que d’argent…
« Je connaissais son histoire, explique Stern. Nathan Beehl, qui était curateur de mes archives, a écrit beaucoup de livres sur Ferrari. Il est fantastiquement bien informé. Nous sommes allés à Rétromobile et j’ai vu la voiture dans le catalogue, mais je n’avais pas vraiment l’intention de l’acheter. Quand je me suis retrouvé face à elle, je me suis dit que c’était une grande icône des années 80 et que ce serait chouette de l’avoir, en particulier avec l’histoire qui est la sienne. Elle est très peu kilométrée et est désormais dans un excellent état. »
J’ai rencontré Leonardo Fioravanti, le designer de la voiture. Il était le directeur du design de Pininfarina et très proche de Ferrari. Il m’a expliqué que, alors qu’il dessinait la voiture, Agnelli est passé chez Pininfarina et Fioravanti lui a dit : « Regardez : je vais installer une paire de carénages derrière les sièges, pour pouvoir héberger le mécanisme de la capote. » Agnelli s’est tourné vers lui et a répliqué : « Non, non, non, je veux que le capot soit complètement plat ». Et que se passera-t-il s’il pleut ? « Eh bien nous prendrons un parapluie. »
Une autre touche personnelle de la voiture est son système d’embrayage Valeo. S’il fut adopté plus tard sur la Mondial T, il aurait été utilisé pour la première fois sur la Testarossa Spider. En pressant un bouton sur la console centrale, la pédale d’embrayage se rétracte, son rôle étant repris par un bouton sur le volant. Pour changer de rapport, il suffit de presser celui-ci et d’utiliser le levier de boîte, comme d’habitude. Ainsi, plus besoin d’utiliser le pied gauche. Le système a été employé sur cette voiture en raison des sévères blessures dont a souffert Agnelli lors d’un accident de voiture dans les années 50.
« Il s’est fait très mal à la jambe, explique Stern, et a ensuite marché en boitant. Il rencontrait de vrais problèmes avec les embrayages. Cette voiture a été assemblée avec une boîte de vitesses Valeo, et plus tard il demandera une F40 avec cette même boîte. Je pense qu’à l’exception de cet équipement, sa F40 était standard, alors que la Testarossa est une voiture entièrement spéciale. Elle dispose de tant d’équipements différents, et tout a soigneusement été pensé pour être équilibré. C’est la seule Ferrari de l’histoire à avoir été assemblée comme une voiture unique destinée au propriétaire de la marque. »
À conduire, elle offre clairement l’impression d’être une voiture de production plutôt qu’un modèle unique. Le confort est agréable, elle paraît solide et elle est d’une facilité surprenante. La Testarossa était plus longue que la BB et il faut garder cela en tête en ville, mais c’est le moteur qui offre l’impression la plus durable. Tout au long de sa plage d’exploitation, son impressionnante puissance est délivrée en douceur et s’accompagne d’un silence surprenant aux échappements.
C’est une voiture mature, pas un bolide maniaque et intimidant
L’expérience globale est raffinée et cultivée : c’est une voiture mature, pas un bolide maniaque et intimidant. Mais suggérez à Stern qu’Agnelli, jadis un fringant séducteur, était devenu un placide dirigeant, et il se met à rigoler : « Playboy un jour, playboy toujours… ».
Il s’interrompt un instant lorsqu’on lui demande quelle place la voiture a prise dans son cœur, considérant la liste des incroyables Ferrari qu’il a possédées dans le passé. « Je les aime toutes. Elles y ont toutes une place spéciale. La GTO était très excitante à conduire sur de longues distances. La SWB ex-Moss de 1960 était fabuleuse (sans le moindre doute une meilleure voiture de route que la GTO). Et j’ai adoré la 290 MM, parce que sa transmission n’était pas synchronisée, et avec les hurlements de la boîte transaxle, elle faisait le bruit d’un B-52 ! J’ai eu la chance de posséder quelques voitures exceptionnelles et celle-ci est simplement la cerise sur le gâteau. »
Ce sujet est paru dans le Hors Série Ferrari Testarossa (cliquez ici) d’Enzo, numéro que vous pouvez vous procurer en papier et en numérique sur notre boutique NG Presse.