Histoire
Commençons par le commencement et par le nom de la voiture qui a remplacé la 365 GTB/4 « Daytona » en 1973, la Berlinetta Boxer, car il a marqué un changement de direction significatif à Maranello. Après un quart de siècle à assembler des voitures de route avec un moteur en V, Ferrari est passé aux cylindres opposés horizontalement pour sa nouvelle supersportive.
Les ingénieurs diront que très peu de moteurs à plat sont de véritables « boxers » et que le 12 cylindres à plat des BB est plus précisément un V12 avec un angle d’ouverture de 180°. Mais ça n’a pas vraiment d’importance : « boxer » évoquait l’image de pistons opposés qui se frappent l’un contre l’autre et puis « Berlinetta Boxer », ça sonnait bien… Avoir un 12 cylindres à plat permettait également de faire écho aux F1 de la Scuderia qui utilisaient cette architecture depuis 1970, même si ces moteurs de route et de course n’avaient rien à voir. L’autre changement significatif apporté par la BB était la position dudit moteur. Enzo Ferrari a toujours pensé qu’il fallait que les chevaux tirent la charrette, du moins en ce qui concernait ses berlinetta V12. Mais la Lamborghini Miura à moteur central avait démodé la Daytona, et sa remplaçante, la Countach, était encore plus avant-gardiste. La nouvelle supercar de Ferrari se devait d’avoir un moteur placé derrière son conducteur.
Le 12 cylindres à plat faisait écho aux moteurs des F1 de la Scuderia
Le passage au 12 cylindres à plat était partiellement dicté par des considérations d’architecture. L’un des aspects les plus frappants de la Miura, outre ses lignes fabuleuses, est le fait que son moteur soit monté transversalement, le bloc et le carter de boîte ne formant qu’une pièce et partageant la même huile. C’était une merveille d’architecture, même si l’habitacle était plus étriqué que celui de la Daytona. Conscient qu’un moteur longitudinal avec une boîte placée dans l’axe ajouterait quelques centimètres d’empattement et / ou réduirait l’espace habitable, Ferrari a décidé de placer la boîte sous le moteur. Cela permettait un empattement plus court et un habitacle plus grand, et cela imposait aussi un moteur à plat pour conserver un centre de gravité raisonnablement bas, même si cela plaçait une masse substantielle à une hauteur non optimale en ce qui concernait la tenue de route.
Délicate ?
Lorsque la nouvelle voiture fut présentée en 1973 sous la dénomination 365 GT4/BB, cela n’a pas trop causé de remous. La presse a adoré les lignes Pininfarina épurées, ainsi que ses performances. Road & Track l’a chronométrée à 280 km/h et Motor a enregistré un temps de 6”5 au 0 à 100 km/h et aucun de ces deux magazines ne lui a trouvé de défaut dynamique, R&T concluant que son comportement était un délice. Avec le temps, les BB ont néanmoins gagné la réputation d’être délicates à la limite. En clair, si vous lâchez soudainement les gaz en courbes, le poids du moteur aura envie de suivre sa propre voie, faisant décrocher l’arrière et envoyant la voiture en tête-à-queue.
Cela doit-il vous empêcher d’en acheter une aujourd’hui ? Pas vraiment. Tant que vous gardez les lois de la physique en tête et conduisez de façon réfléchie, cela ne devrait pas être un problème. Et pour être honnête, peu de voitures anciennes sont aujourd’hui conduites de la façon dont les essayeurs les malmènent quand elles sont neuves. Comme nous l’avons découvert dans notre essai de notre n° 4, une BB réagit comme on s’y attend d’une voiture à moteur central de l’époque, et même si on la déséquilibre en lâchant le pied dans une courbe passée à fond, elle retrouve son équilibre dès qu’on réapplique la puissance aux roues arrière. En résumé, si on ne prend pas trop de liberté avec, il y a beaucoup de plaisir à tirer de cette voiture.
Quelle version choisir ?

Alors, quelle version de la Boxer choisir ? La 365 originelle (du nom de sa cylindrée unitaire, partageant les mêmes valeurs d’alésage et de course que la Daytona qu’elle remplace) est clairement la plus pure et, d’après certains, celle qui préfère les montées en régime. C’est aussi la plus rare, avec seulement 387 exemplaires produits. Son 12 cylindres 4 390 cm3 à trois carburateurs double-corps Weber 40 IF3 développait 352 ch et 432 Nm, et elle se distinguait de l’arrière par ses trois feux (et sa triple sortie d’échappement) de chaque côté.
La 512 de plus grande cylindrée qui la remplaçait en 1976 suivait un autre système de dénomination (cette fois pour 5 litres et 12 cylindres, la cylindrée étant de 4 942 cm3) et elle développait une puissance et surtout un couple accrus, à 360 ch et 452 Nm. Le 0 à 100 km/h était désormais parcouru en moins de 6”0 et la vitesse de pointe de plus de 280 km/h. Parmi les BB à carburateurs, la 512 est la plus courante, avec 929 exemplaires, et elle disposait de quelques raffinements supplémentaires (dont la climatisation), ainsi que de roues arrière plus larges qui demandaient une carrosserie légèrement élargie. La différence la plus visible était les quatre feux arrière au lieu de six.

L’évolution suivante est arrivée en 1981 avec la 512i à injection, une nécessité pour passer les normes d’émission américaines. Ainsi équipé, le moteur était à la fois plus propre et plus efficient et, correctement réglée, elle offre généralement une conduite plus douce et des démarrages à froid plus faciles, ainsi qu’une consommation moindre. Si le pic de puissance était marginalement plus bas à 340 ch, et le couple inchangé à 451 Nm, la courbe du couple était beaucoup plus plate, donnant une sensation plus musclée. La 512i, qui a perdu la peinture bi-ton, est restée en production 3 ans, avec 1 007 exemplaires produits, avant d’être remplacée par la Testarossa en 1984.

Laquelle choisir ? On a tendance à dire qu’il faut simplement aller vers la meilleure voiture que vous pouvez vous offrir, quel qu’en soit le type. De l’autre côté, les voitures à injection et à carburateurs ont chacune leurs partisans. Si des manières plus modernes et une consommation moins ruineuse vous attirent, l’injection est probablement à considérer. Mais si vous préférez le caractère et la bande-son d’un moteur à carburateurs, les premières BB sont probablement pour vous. Comme le dit Russell Smith, responsable de l’entretien chez Bob Houghton Ltd : « Une voiture à carburateurs peut être parfois plus difficile à démarrer, mais si vous voulez une voiture ancienne, vous aurez probablement envie qu’elle offre les sensations et la sonorité d’une ancienne. »
Que faut-il vérifier avant l’achat ?

Un historique complet chez des agents officiels Ferrari et des spécialistes reconnus est clairement la première case à cocher. Ne vous inquiétez pas si la voiture a connu de nombreux propriétaires : c’est souvent le cas avec les Ferrari. L’historique d’entretien est la clé. Si la voiture a eu un récent changement de courroie, c’est encore mieux (il faut sortir le moteur pour cela).
Les spécialistes recommandent de vidanger l’huile et le liquide de freins lors de la révision annuelle, de vidanger la boîte tous les deux ou trois ans, et de remplacer les courroies tous les trois ans. « C’est un moteur solide, indique Russell. S’il a été entretenu correctement, il ne devrait pas causer de problèmes, même si nous recommandons toujours de vérifier les compressions.
Les pistons étant couchés, il y a de l’usure sur le côté inférieur des cylindres. Gardez aussi en tête que lorsque vous coupez le moteur, l’huile descend au fond des cylindres, ce qui provoque toujours une épaisse fumée au démarrage, alors que toute cette huile est évacuée. Ne vous inquiétez donc pas de fumées durant les 30 premières secondes du démarrage : c’est totalement normal. Par contre, si elle fume toujours à chaud, alors il y a un problème. Lors d’un essai, elle doit clairement tourner sur 12 cylindres, sans trous dans les performances. »
Vérifiez que tout ce qui est électrique fonctionne : les fusibles ont tendance à surchauffer
L’injection Bosch K-Jetronic de la BBi ne doit pas vous inquiéter particulièrement : les pièces reconditionnées sont largement disponibles et l’entretien demande moins de temps que la maintenance et le réglage d’un jeu de carburateurs. Parfois, principalement par manque de roulage, les têtes d’injection peuvent s’encrasser. « Si le moteur a des ratés ou s’il démarre mal à chaud, c’est souvent le problème », indique Russell. Comme toujours, les voitures qui roulent souvent tendent à avoir moins de soucis…
« Le principal problème avec les Boxer est le différentiel. Au fil des ans, des modifications ont été faites pour le solidifier, alors c’est pire sur les 365, mais c’est probablement le plus gros point faible de la BB. La dernière que nous avons vue avait une dent cassée sur la couronne-pignon, puis celle-ci s’est coincée et a fendu le carter. Et le vrai problème est la disponibilité des pièces. Alors faites un test complet de la voiture, en montant et descendant tous les rapports et en écoutant le moindre bruit suspect des trains roulants. » Mais ne soyez pas surpris si l’embrayage est lourd et le levier de boîte rétif à froid, surtout en seconde : il ne faut s’inquiéter de la boîte que si elle est récalcitrante à chaud.

La Boxer, comme toute Ferrari de l’époque, est construite autour d’un solide châssis-cadre en tubes en acier à section carrée ou rectangulaire, pas tous visibles sans démonter les soubassements. Leurs bords doivent être nets et droits. « Au niveau des points d’attaches des suspensions, il y a des cales pour obtenir les réglages corrects, explique Russell. S’il y a 3 cm de cales d’un côté et rien de l’autre, il est probable que le châssis soit tordu quelque part. Il en va de même si elle ne freine pas en ligne. »
Le nez suspendu et la section de queue sont en aluminium, tout comme les portières, alors que la partie inférieure du nez et de la queue est en fibre et le reste en acier. « Elle n’est pas particulièrement propice à la rouille, mais c’est une italienne… »

Toutes les Boxer semblent un peu haut perchées, avec des passages de roues trop dégagés au-dessus des roues. C’est comme ça qu’elles sont réglées, même si l’effet peut être exagéré si des pneus modernes à taille basse sont installés (les Michelin TRX d’origine peuvent être assez difficiles à trouver aujourd’hui et certaines voitures ont des répliques des jantes d’origine en pouces pour avoir plus de choix de pneumatiques).
« À l’intérieur, vérifiez que tout ce qui est électrique fonctionne (les fusibles ont tendance à surchauffer). Et vérifiez le cuir sur le dessus de la planche de bord, qui peut peler sous l’effet du soleil. C’est beaucoup de travail de le refaire ». En général, les pièces sont faciles à trouver, même les immenses glaces des clignotants avant.
Prix
Si vous voulez une Boxer, au moment d’écrire ces lignes (2021), les 512 commencent à environ 225 000 euros et montent jusqu’à 350 000 euros pour les meilleurs exemplaires peu kilométrés. Ajoutez environ 50 000 euros pour les 365, plus rares. C’est beaucoup, mais si l’on considère que le Boxer est une supercar Ferrari classique véritablement exotique, mais qui reste éminemment utilisable, ce prix ne semble, après tout, pas si élevé.
Fiche technique
512BB
MOTEUR 12 cylindres à plat, 4 942 cm3, 4 carburateurs Weber double-corps
PUISSANCE 360 ch à 6 200 tr/min
COUPLE 447 Nm à 4 600 tr/min
TRANSMISSION Manuelle à 5 rapports, propulsion
SUSPENSION Av et AR : triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre antiroulis
DIRECTION Crémaillère non assistée
FREINS Disques ventilés, Av : 288 mm, Ar : 297 mm
JANTES Alliage 7×15”
PNEUS 215/70 VR15
POIDS 1 515 kg
RAPPORT POIDS/PUISSANCE 4,20 kg/ch 0 A 100 km/h env. 5”9
VITESSE MAXI > 290 km/h (annoncée)
PRIX NEUF 230 000 FF (133 000 euros actuels)
COTE ACTUELLE 250 000 – 350 000 euros
Ce que la presse en disait à l’époque
« Ce que les chiffres ne révèlent pas, c’est la sensation de puissance de la BB, dès le départ et se poursuivant sans la moindre hésitation. Il y a remarquablement peu de drame dans tout cela, juste un petit bourdonnement initial causé par la richesse, le moteur raclant ses nombreuses gorges, puis vous passez les vitesses et regardez le compteur grimper progressivement. Le grognement caractéristique des Ferrari, un peu plus grave que celui des V12, mais avec la douceur habituelle des multicylindres, constitue la musique de fond idéale.
Une telle puissance ne signifierait rien sans une suspension adéquate et, une fois de plus, la BB ne déçoit pas. Elle est bien équilibrée, ne se soucie pas d’être ballottée, mais se conduit en douceur. Sur notre slalom, elle s’enroule autour des pylônes avec précision et était prête à décrocher sur demande. Sur la route, tout cela signifie une voiture avec un certain sous-virage initial, qui peut être amenée à une attitude neutre et, au-delà, au survirage, au besoin du conducteur. Mais c’est aussi une voiture qui peut se retourner rapidement contre le novice qui pourrait se laisser déborder dans un virage serré et devoir s’en remettre à son instinct et aux freins. La BB n’a pas repris à la Countach la couronne de la « voiture la plus rapide que nous ayons testée », mais cela n’a pas d’importance. Dans l’ensemble, la Ferrari 512 Boxer remporte un prix plus important, celui de la meilleure voiture de sport et GT que nous ayons testée. La Countach a un design fascinant et est certainement aussi rapide que possible, mais le design oublie que le conducteur doit être capable de se sentir en contrôle de la bête. La Boxer a tout ce qu’il faut : la vitesse, la maniabilité, de belles formes, un cockpit bien conçu et, plus important encore, une réputation de fiabilité ».
Road & Track, mars 1978
Cet article est paru dans Enzo n°13, un magazine que vous pouvez vous procurer sur notre boutique NG Presse, en format numérique (cliquez ici).