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UN ESSAI SIGNÉ ENZO

Rétro – Ferrari Daytona Gr.4 : Hot Rod

le
Du Cannonball Run aux 12 Heures de Sebring, la Ferrari Daytona Compétition 14065 respire l’Amérique et la puissance débridée. Portrait.
SOMMAIRE

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En ce jour gris de décembre, un froid humide enveloppe le circuit du Haut Rhin. ­Jeremy Mennechet, le PDG de Ferrari Grand Est, s’active à ouvrir les portes de son ­camion de course. Gautier Rossignol, Directeur du département automobiles de la maison de ventes Aguttes, n’en rate pas une miette. Car les portes vont libérer la Ferrari 365 GTB/4 Competizione n° 14065 que Gautier vient de vendre à un gentleman driver qui compte l’engager au Tour Auto. Et c’est ­Jeremy, proche de l’acheteur (à la fois client ­fidèle et ami) qui vient de réceptionner l’auto partie de chez DK Engineering, le préparateur et courtier anglais qui en était le précédent propriétaire. Gautier précise alors : « C’est la Daytona Compétition la plus performante, de par son moteur de 450 chevaux, sa préparation très poussée et son freinage exceptionnel, grâce aux freins à disques ventilés. »

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Jeremy Mennechet, de Ferrari Grand Est, libère le fauve : 450 chevaux, 4 échappements latéraux et un V12 au son démoniaque. Quelle auto !

Le calme est interrompu par les décibels venus des quatre sorties d’échappement latérales. Nous nous installons à bord, sans les casques Peltor car nous souhaitons profiter du cri ­rageur du V12 qui monte dans les aigus dès qu’une ligne droite se profile. Comme le disent Jeremy et Gautier : « C’est dingue, absolument démentiel, il y a du couple, une allonge incroyable, on a l’impression que la puissance ne s’arrête jamais ! ». Et d’ajouter : « Le freinage est vraiment incroyable alors que c’est normalement un des points faibles de cette auto ».

Le calme est interrompu par les décibels venus des quatre sorties d’échappement latérales

Ajoutons que le volant incliné complique tout contre-braquage et que les sièges très fins avec leur revêtement en éponge ne maintiennent pas du tout l’équipage. « Ce sera corrigé avec l’ajout de harnais pour le Tour Auto », nous précise Gautier. Quant au son, il est addictif. « Il vous prend aux tripes ! » Mais avouons-le, les casques Peltor s’imposent tant les hauts ­régimes vous déchirent les tympans. Sans nul doute, la Ferrari réveillera n’importe quel ­village endormi lors du prochain Tour Auto…

Les débuts de la 365 GTB/4 en compétition

13 daytona14065 00349 copyright mathieu bonnevie hd

Ce sera un juste retour aux sources tant les ­Ferrari 365 GTB/4 Compétition ont marqué l’histoire du Tour de France automobile, mais aussi celle du Mans et des grandes courses américaines. En réalité, cette GT de course est quasiment un accident de l’histoire, car quand Ferrari présente la 365 GTB/4 (dite Daytona) en 1968, il n’est pas question de la faire courir. Mais il faudra peu de temps pour que des teams privés cherchent à l’engager en course. C’est le cas de Luigi Chinetti et son équipe, le North American Racing Team (NART), qui veut l’engager au Mans, une épreuve qu’il a remportée en 1965 sur Ferrari 250LM.

C’est ainsi que Luigi Chinetti engage au Mans 1969 une Daytona quasi standard, à part sa carrosserie en aluminium, le châssis 12547 que ­Maranello tarde à livrer. Au point d’obliger Chinetti à sauter dans un avion afin de conduire personnellement l’auto à travers les Alpes et d’arriver juste à temps pour la deuxième séance d’essai. À part des roues et des pneus de compétition, les numéros peints à la va-vite sur les portes et quelques stickers, l’auto est standard. Las, elle connaîtra un accident pendant les essais et ne prendra pas le départ.

Cette voiture préparée aux États-Unis a un lien direct avec le Cannonball Run et a couru à Sebring

Chinetti, opiniâtre et fin analyste des règlements de course, décide en 1971 de modifier de façon assez basique une Daytona standard en acier déjà âgée, le châssis 12467, en vue de l’aligner au Mans. Là encore, 12467 sera préparée dans l’urgence. Elle sera pilotée par le fils de Chinetti, Luigi “Coco” Chinetti Jr. et son copilote, Bob Grossman. Coco, qui ­s’attendait à conduire une des Ferrari 512 S de 5 litres, est déçu de prendre le volant de celle qu’il appelle le taxi. Contre toute attente, 12467 termine à la 5e place au général avec 8 tours d’avance sur les autres GT. Non homologuée GT, car la réglementation exige que 500 autos aient été produites, cette victoire non officielle dans la catégorie est dans tous les ­esprits… Et notamment celui d’Enzo Ferrari.

Ferrari s’y met et sort les versions Competizione

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Ferrari se décide alors à construire trois séries de cinq exemplaires, une série par an, soit un total de quinze Ferrari Daytona Competizione “usine”. C’est un moment crucial car le changement de réglementation sonne la retraite des Ferrari 512, la Scuderia se doit donc de proposer une alternative en catégorie GT aux équipes privées.

Les premiers exemplaires seront construits en 1971 avec des carrosseries en aluminium et un gain de poids de l’ordre de 300 kg. Dès le Tour de France 1971, les Ferrari des écuries ­Filipinetti et Pozzi brillent et terminent 4e et 9e en catégorie prototype, car l’auto n’est toujours pas homologuée. En 1972, la Ferrari est enfin homologuable en Groupe 4, mais elle conserve la carrosserie acier des autos de série avec des ouvrants en alu. Ferrari lance cinq autos et porte la puissance à plus de 400 chevaux avec des modifications de carrosserie. Elles sont vendues aux distributeurs engagés en course : l’Ecurie Francorchamps en Belgique, Maranello Concessionaires au Royaume-Uni, Charles Pozzi en France, N.A.R.T. aux États-Unis, ainsi qu’à la Scuderia Filipinetti.

C’est dingue, absolument démentiel, il y a du couple, une allonge incroyable, on a l’impression que la puissance ne s’arrête jamais ! 

Le Mans, avec ses longues lignes droites, est certainement la course la plus adaptée à la Daytona. Pas moins de neuf Daytona Compétition, les cinq de la Série 2 et quatre de la Série 1, prendront le départ en 1972. C’est un triomphe : Ferrari gagne les cinq premières places de la catégorie GT. Quant au Tour de France 1972, il sera marqué par un duel entre les Daytona d’Andruet et d’Elford, que ce premier remportera devant une autre Daytona.

En 1973, année de la sortie de la 911 2.7 RS et de son évolution 2.8 RSR, la concurrence devient redoutable en catégorie GT et Ferrari lance alors cinq Daytona dites “Série 3” dont la puissance est portée à 450 chevaux, avec une barre antiroulis. Là encore, Le Mans reste le seul terrain de jeu où la Daytona est vraiment à l’aise et Vic Elford remporte sa catégorie. L’autre succès majeur sera la deuxième place au général et victoire de classe aux 24 Heures de Daytona, l’autre grande épreuve où la voiture a toujours brillé.

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Au-delà de ces quinze exemplaires dits “usine”, les plus convoités aujourd’hui en collection, huit autres Ferrari Daytona standard auront été converties à l’époque en Compétition par des préparateurs indépendants. C’est le cas de 14065, à laquelle il faut ajouter deux autos dont 12547, la Daytona en alu du Mans. Par la suite d’autres conversions seront réalisées, mais celles-ci n’ont pas le même statut. C’est donc un total de vingt-cinq Ferrari Daytona Competizione qui est généralement reconnu par les spécialistes.

Si Ferrari n’a jamais engagé officiellement de Daytona Competizione en course, les résultats ont été extraordinaires, y compris au terme de sa carrière, notamment avec une nouvelle victoire de classe au Mans 1974 et une 5e place au général des 24 Heures de Daytona 1977 entre les mains de Paul Newman. Le plus étonnant reste la 2e place au général d’une Ferrari Daytona Groupe 4 aux 24 Heures de Daytona 1979, soit plus de six ans après sa retraite officielle.

L’histoire de 14065

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Outre des résultats spectaculaires en course, l’autre particularité de la Daytona est son histoire italo-américaine très marquée. Et 14065, la Ferrari Daytona que nous découvrons sur l’anneau du Rhin, en est l’un des exemples les plus emblématiques, comme le rappelle Gautier Rossignol : « Cette voiture préparée aux États-Unis a un lien direct avec le ­Cannonball Run et a couru à Sebring ».

Vendue neuve en 1971 au collectionneur Peter Kalikow, via Luigi Chinetti motors, 14065 est née rouge, intérieur beige avec roues Borrani. Elle est très vite vendue à un amateur qui la revend à Kirk F. White.

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Ce nom n’est pas inconnu dans le milieu Ferrari américain. Ex-concessionnaire Ferrari Maserati à Philadelphie, Kirk est un des piliers du commerce de Ferrari de course, de Porsche et de hot rods. Il sera aussi un pionnier des ventes aux enchères automobiles “modernes”, en étant le premier à y inclure de l’automobilia, à présenter des autos venant de plusieurs collections, à accepter les prix de réserve et à ­imprimer des catalogues où sont proposées des Ferrari de course, la Cadillac d’Al Capone et des chars français. Barret & Jackson ou Rob Myers de RM Auctions lanceront respectivement leur maison de vente huit mois et deux ans après, sur les mêmes formats.

White est aussi très engagé en compétition. Il s’est associé avec Roger Penske pour la saison 1971 avec une Ferrari 512M bleu et jaune dont le sponsor principal est Sonoco. Ils ont de grandes ambitions pour cette voiture préparée aux États-Unis par Traco (ce qui suscite la méfiance de Ferrari) et savent user de ­débrouillardise avant Le Mans, quand la 512M passe la douane à Orly immatriculée, en vue d’éviter des taxes importantes.

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La voiture va être immatriculée, émotions garanties pour qui aura le bonheur de la suivre !

Fin 1971, devant les résultats très moyens de la 512M, White s’avoue déçu. Une autre voiture lui aura donné plus de satisfaction, c’est la Daytona châssis n° 14271 prêtée à Dan Gurney et Brock Yates pour courir le Cannonball Run, cette course folle sur routes ouvertes entre New York City et Redondo Beach, en Californie. Le duo roulera un peu moins d’un jour et demi non-stop, avec seulement neuf arrêts pour faire le plein, et gagnera devant sept autres autos.

Début 1972, White est confronté à l’inéligibilité des Ferrari 512 en raison du changement de ­réglementation de la FIA et, comme il l’écrit dans ses mémoires, il doit trouver une alternative. « Pour l’année 1972, nous voulions continuer avec un programme de course proche de celui mené avec la Ferrari 512. Mais Ferrari n’allait certainement pas mettre à notre disposition leur nouveau prototype 312, nous, les vendeurs de hot rods de Philadelphie. Comme nous voulions courir avec une Ferrari, nous avons donc choisi de préparer et de faire rouler une 365 GTB/4 à Sebring. » Ce sera 14065. Et White d’ajouter : « Ces autos finissaient toujours près du sommet en endurance. Nous avons alors contacté Marathon Oil, dans l’Ohio, et j’ai signé un contrat de sponsoring très intéressant. Puis nous avons engagé ­Holman & Moody pour préparer la voiture. Ils avaient déjà gagné Le Mans après tout. »

À Sebring, le moteur développé par Traco s’avère tellement puissant que l’arbre de transmission a du mal à suivre

C’est là qu’une histoire incroyable va modifier le destin de cette auto, comme l’a écrit Dave ­Olimpi, le transporteur de White à l’époque : « Début ’72, Kirk White me demande de conduire la Daytona qu’il souhaitait faire préparer chez ­Holman et Moody afin de courir à ­Sebring en mars. À l’époque, Kirk engageait des gens pour conduire ses voitures sur la route plutôt que de les faire livrer par camion. À vrai dire, la plupart des autres vendeurs de voitures exotiques faisaient la même chose. Sur la route entre le Maryland et la Caroline du Nord, je rencontre un groupe de motards de type Hells ­Angels en Harley Davidson. Et croyez-moi, à l’époque, les Harley n’étaient pas entre les mains d’avocats comme aujourd’hui ! Pour éviter tout ennui, je me décide à ouvrir les gaz à fond et je trouve que la voiture manque de souffle. En arrivant chez Holman, j’appelle Kirk et lui dis que je trouve le moteur plat. Pas par mauvais fonctionnement, ni bruit suspect, mais que c’est juste une Daytona qui marche moyennement bien. Peu de temps après, Kirk me rappelle et me demande de conduire la Daytona du Cannonball chez Holman, car ils n’arrivent pas à tirer de puissance supplémentaire sur la première Daytona. Et très vite, je me rends compte que 14271, déjà réputée puissante, est très rapide. »

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La suite est connue, ce sera donc le V12 de la Daytona du Cannonball qui équipera 14065. Le moteur sera préparé par Traco en Californie où il recevra des modifications similaires à celles expérimentées sur la Ferrari 512. Cela comprenait en particulier l’installation de ­pistons et de culasses à haute compression, un système de lubrification à carter sec, des ajustements de l’allumage et des carburateurs. Après l’installation du moteur modifié par Traco, 14065 est préparée par Holman-Moody pour la course. Très vite, le premier test permet de mesurer une puissance de 450 ch. ­Habitué à travailler sur les Ford GT40 et en Nascar, Holman-Moody complète la préparation par un radiateur en aluminium, des roues plus larges (9 pouces à l’avant et 11 à l’arrière), des freins de GT40 Mk IV et des étriers à quatre pistons.

L’intérieur de la voiture est modifié avec un arceau de sécurité, des instruments de compétition, des sièges en éponge. La carrosserie est transformée en bête de course : on lui retire ses pare-chocs, la dote de passages de roues évasés, d’un aileron sous l’avant et d’un bouchon de réservoir de carburant externe au centre du couvercle arrière.

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Gautier Rossignol, directeur chez Aguttes, vient de vendre cette Daytona qui va être préparée pour le Tour Auto.

La voiture est prête pour Sebring et c’est David Hobbs qui en sera le pilote principal, complété par le pilote de NASCAR, Bobby Allison, dont le parrainage par Coca-Cola a entraîné l’ajout du logo sur la voiture à la livrée bleue, la couleur de Marathon Oil. Si Allison s’est finalement retiré de l’équipe, le logo Coca-Cola n’a, lui, ­jamais été enlevé. Et ce sera Skip Scott, un ex-­pilote Shelby, qui courra sur l’auto.

Après des réglages de dernière minute de la suspension arrière, Hobbs devance les GT, dont trois autres Daytona, et prendra le départ à la 18e position. Le début de la course se ­déroule au mieux, mais le moteur développé par Traco s’avère tellement puissant que l’arbre de transmission a du mal à suivre. Scott qui n’arrive plus à enclencher les ­vitesses finit par rentrer à pied aux stands. C’est l’abandon. Non sans regrets, White indique : « Skip Scott était un très bon pilote de course, mais mécaniquement, il laissait vraiment à désirer. S’il avait su quoi faire, il aurait probablement réussi à enclencher une des ­vitesses de la Ferrari, n’importe laquelle, et à la ramener au stand comme il pouvait. »

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Très déçu et refroidi par le coût de la préparation de la voiture, White jette l’éponge, ce sera la fin de la très courte carrière en course de la voiture. Elle passera ensuite entre les mains de différents collectionneurs, notamment un ­Japonais qui la conservera dix ans avant de la revendre à Lorne Leibel, un Canadien qui fait effectuer des travaux sur le moteur, avant de la présenter au Cavallino Classic 2010, où elle remporte le prix de la meilleure voiture de compétition. Quelques mois plus tard, Ferrari Classiche publie un “livre blanc” dans lequel la Daytona Competizione est considérée « ­d’intérêt historique ». Puis la voiture est vendue à James Cottingham, de DK Engineering, qui décide de la restaurer avec soin. Récemment vendue par Aguttes, la voiture va subir une inspection moteur détaillée avant de prendre le départ du prochain Tour Auto.

Considérée comme la Daytona Competizione la plus puissante, l’une des plus avancées ­techniquement, cette auto est un formidable ­témoignage de cette incroyable épopée ­italo- américaine. La revoir rouler est aussi un des hommages les plus vibrants à Kirk F. White, qui nous a quittés en 2020.

Fiche technique

19 daytona14065 00413 copyright mathieu bonnevie hd

Daytona Groupe 4 (spécifications Série 3)

MOTEUR V12, 4 390 cm3, 2×2 ACT, carter sec, 6 carburateurs Weber  40 DCN 21
PUISSANCE 450 ch à 8 500 tr/min
TRANSMISSION Manuelle à 5 rapports, propulsion  DIRECTION À vis et écrou
SUSPENSIONS Av et Ar : triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barres antiroulis  FREINS Disques
POIDS 1 240 kg (à sec) 
VITESSE MAXI 300 km/h (env.)
0 À 100 km/h 5”8

 

Cet article a été publié dans ENZO n°11 désormais épuisé mais vous pouvez toutefois vous procurer la version e-book sur ngpresse.fr

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