Maranello est en effervescence, les nouveautés foisonnent et le fief ne cesse de s’agrandir. De drôles de mulets circulent, comme une SF 90 bariolée… Juste avant la présentation de l’Icona Daytona SP3. Pendant la conférence de presse, réalisée au département Classiche, la sortie du premier SUV revisité par la marque est confirmée, tout comme le lancement d’une sportive 100 % électrique en 2025.
Pour admirer le futur proche, on se dirige cette fois vers le centre de design flambant neuf. Des prototypes de la 812 et de la 296 GTB (sans moteur ni intérieur) attendent les quelques journalistes présents. La douceur des formes et l’aéro dissimulée de la berlinette hybride interpellent, comme l’hommage des ailes arrière à la 250 LM, sublimissime icône de pureté aperçue juste auparavant dans les allées du trésor Classiche.
Quant à la 812 « A », pour Aperta, elle termine sa mise au point et ses performances ne sont pas encore disponibles. Elle expose toutefois sa coiffe singulière et son aéro spécifique. Produite à 599 exemplaires (569 974 euros), elle troque le toit escamotable de la GTS contre un couvre-chef en carbone, à glisser dans le coffre. Le pare-brise est raccourci et le double bossage arrière est lissé et surmonté d’une arche (aéro bridge) qui divise le flux aéro. En amont, l’air passe à travers les deux arceaux en position décapotée, pour diminuer les turbulences grâce à des vitres amovibles. Astucieux. Nous en saurons plus sur les performances, le poids et l’appui l’année prochaine.
Comme à l’accoutumée, l’étude aérodynamique occupe une bonne part du développement, qui a duré trois ans pour cette édition limitée de la 812. Elle marque avant tout par la lunette opaque, surmontée de six écailles guidant l’air vers l’extérieur et formant une colonne vertébrale. Et la rétrovision centrale alors ? Elle s’opère via une caméra placée sur la lunette et dont l’image est retransmise sur le rétro central digitalisé.
830 chevaux hystériques
Ce n’est évidemment que la partie immergée de l’iceberg aéro. L’avant se pare de grosses entrées d’air en carbone et est souligné d’une lame cachant des clapets s’ouvrant passivement (à la force de l’air) à partir de 250 km/h. Il interpelle surtout par les extracteurs dissimulés sous la bande médiane en carbone, censée diminuer visuellement l’étendue du capot. Les flancs sculptés débouchent sur des ailes arrière très galbées et griffées de trois écopes en hommage à la F12tdf, dirigeant l’air au-dessus des échappements monumentaux. Ces canules évasées devenant rectangulaires s’intègrent au bas du diffuseur en carbone et le souffle des échappements se mêle ainsi au flux aéro, comme sur les F1 des années 2010. L’arrière est également marqué par un spoiler élargi au possible et cachant des paupières de phares anguleuses. Intimidante, cette Competizione !
Tout ce travail se solde par une déportance majorée de 30 % sur l’avant et de 35 % sur l’arrière, par rapport à une Superfast revendiquant déjà 210 kg à 200 km/h. Le designer français Marc Poulain en plaisante, mais étant donné la puissance et les performances, les formes sont plus que jamais dictées par la fonction. Et quelles fonctions ! Alimenter et refroidir 830 ch hystériques, plaquer au sol un coupé à moteur avant de 4,70 m et 1,6 tonne (avec les fluides)… Un cauchemar, qui se transforme en œuvre d’art éditée à moins de 1 000 exemplaires.
Bref, les ingénieurs ont tout passé en revue pour décrocher le Graal et un rendement vertigineux (128 ch/l) sans dopage… Voire 132 ch/l si l’on exclut les filtres à particules qui occultent 30 ch. Vous imaginez une Competizione libérée à 860 ch ? Ne rêvez pas : ces filtres sont imposés sur tous les marchés. Mais honnêtement, la voix est loin d’être étouffée et la puissance suffit largement à vous satelliser.
Trônant au plus bas, en position centrale avant, le V12 s’ébroue vigoureusement et fait honneur à son rang. Il frappe dans un premier temps par sa souplesse et sa force dès 3 000 tr/min. Il possède la rondeur et la noblesse propres à cette architecture qui rend vulgaire la plus explosive des mécaniques suralimentées. Il empoigne dès les bas régimes, logique avec 80 % du couple disponible dès 2 500 tr/min. Puis il s’élance vers les hautes sphères avec une aisance, une rapidité et une progressivité qui laissent sans voix.
9000 tr/mn !
Le compte-tours perd la boule. Le conducteur aussi. Par réflexe, il tire la palette de droite… à 9 000 tr/min. Or le V12 n’a pas porté l’estocade et donne le meilleur de lui-même 250 tr/min plus haut, dans un hurlement tirant vers les aigus. Pas simple d’aller chercher les 9 500 tr/min en gardant un œil aussi bien sur le compteur, pour éviter de rupter, que loin devant, avec un paysage défilant anormalement vite. Incroyable. Unique. Rien que pour vivre de tels moments mécaniques, la Competizione se positionne déjà en collector.
Alors imaginez avec le cabriolet « A », à pleine charge dans un tunnel ! La scène surréaliste doit déchirer les tympans, glacer le sang et renvoyer aux F1 de la belle époque. Cette 812 ne se contente pas de chanter. Elle galope et fait totalement oublier son gabarit à l’accélération. Il suffit d’enclencher le Launch Control, depuis le tunnel et les commandes de boîte singeant la grille métallique des glorieuses aînées, comme à bord d’une SF90, d’une Roma ou d’une 296 GTB. Le régime se cale à 3 200 tr/min et la 812 flanque un uppercut en minimisant le patinage. Magique, comme la rapidité de la boîte F1 à 7 rapports, dont les temps de passage ont été réduits de 5 % comparés à ceux de la Superfast. La poussée semble sans fin et le chrono indiquerait seulement 7’’5 de 0 à 200 km/h, contre 7’’9 pour la Superfast ou 7’’3 pour l’insolente 296 GTB de même puissance.
Malgré ses superpouvoirs en matière de mécanique et de performances, la Competizione n’en oublie pas sa vocation première : dévorer les kilomètres et incarner une super GT. À bord, la sonorité ne devient jamais envahissante et l’espace de rangement arrière est préservé. Les remontées d’informations émanant de la direction et le confort de suspension restent dignes de son rang et non d’une supercar. Les compressions deviennent sèches et les détentes réduites à partir du mode Race, mais la fameuse touche « Schumi » permet d’assouplir la suspension pour attaquer sur le bosselé.
L’équilibre de la 812 est magnifié et relève de la magie pour un imposant coupé à moteur avant
À propos de la suspension, Ferrari précise que les ressorts sont inédits et que le tarage des amortisseurs pilotés (de série) a été adapté. Les baquets « Racing Daytona » optionnels sont assez raides et s’adaptent à la morphologie en proposant différentes tailles. Ils peuvent recevoir des harnais 4 points pour les amateurs de piste (10 % de la clientèle), qui apprécieront aussi l’outil de télémétrie (7 200 euros), les jantes en carbone (-3,7 kg, 22 000 euros) ou les semi-slicks Michelin (2 400 euros).
La perte de poids n’est pas la priorité de la Competizione, qui gagne seulement 38 kg sur la Superfast : emploi de carbone, travail sur le V12, moins d’insonorisant, batterie lithium-ion. Il vaut donc mieux garder son gabarit à l’esprit avant de s’enflammer sur piste, puisqu’il a tendance à embarquer dans les phases transitoires.
Chaud devant
En revanche, au placement, il s’efface totalement grâce au génie des metteurs au point. D’une part, l’équilibre relève de la sorcellerie pour un coupé à moteur avant. Rappelons que le V12 est reculé le plus possible, que la boîte à double embrayage est rejetée à l’arrière et que les masses sont parfaitement réparties entre les essieux (49/51 %). D’autre part, Maranello innove pour mieux faire pivoter la poupe tout en conservant de la stabilité. Vous connaissez déjà le système de roues arrière directrices, qui braque ici selon un angle maxi de 2,5°. Eh bien la Competizione ajoute sa touche personnelle, en dissociant l’angle des roues droite et gauche, via deux actuateurs, pour faciliter le placement.
En plus, elle peut ainsi générer du pincement positif (angle fermé) pour accroître la stabilité par exemple au freinage, ou du pincement négatif (angle ouvert) pour améliorer la traction en ligne droite. Non seulement cette aide s’avère précieuse, mais les interventions restent transparentes aux yeux du conducteur. Tant mieux, car il doit se concentrer sur les sorties de courbe et doser la folle cavalerie.
Les Pirelli dédiés, au flanc coloré en option (3 240 euros), combattent vaillamment les méfaits du poids et de la puissance monstrueuse, mais n’accomplissent pas de miracle. Heureusement, l’électronique prend le relais, facilite les choses et incite même à couper l’antipatinage (mode CT Off) pour limiter ses interventions et réaliser de belles dérives. Étant donné les vitesses de passage, il faut être réactif au volant mais les décrochages restent progressifs. Les Michelin Pilot Sport Cup 2 R optionnels devraient apporter davantage de sérénité au train arrière et accroître le grip latéral. Ce sont eux qui permettent à cette 812 de tourner en 1’20’’ à Fiorano. Nous n’avons malheureusement pas pu les tester, en raison d’une température inférieure à 10 °C en ce mois de novembre. Malgré les conditions frisquettes, la Competizione nous a éblouis par son déhanché et ses freins carbone/céramique ont tenu le choc, même si le toucher de pédale a évolué au fil des tours. La taille des disques est identique à celle de la Superfast, mais ils sont mieux refroidis grâce aux étriers « aéro » de la SF90 intégrant une canalisation d’air.
Au final, cette édition spéciale marque au fer rouge et réussit le pari de sublimer l’équilibre de la Superfast, tout en renforçant l’émotion mécanique et en gardant à l’esprit la polyvalence. Plus élevé que celui de la SF90, le tarif astronomique de ce collector va grimper en flèche dans les années à venir, c’est certain, à raison puisqu’il perpétue (ou ponctue ?) avec brio l’histoire des V12 avant Ferrari.