Ceci est la Praga Bohema. Si je devais résumer son histoire, c’est une nouvelle hypercar homologuée route mais dédiée au circuit dont le prix dépasse le million d’euros. Praga compte en construire 89 exemplaires et estime que même chaussée en pneus de route (des Pirelli P Zero Trofeo), la Bohema claquera des chronos comparables aux GT3 de compétition. Un discours souvent entendu mais sur l’aérodrome de Dunsfold par une journée froide et ensoleillée, cette auto a eu assez d’arguments pour me convaincre. Ces ambitions semblent atteignables, elle paraît absolument singulière mais pragmatique, exotique et bourrée de merveilleux détails d’ingénierie.
Il y a tant de questions qui me viennent. Et la première est : « mais qui est Praga ? » J’y viendrai mais je veux d’abord pointer quelques détails importants qui prouvent que ce projet est très sérieux et en premier lieu, son moteur. Nisan n’avait jusqu’ici jamais donné à personne la possibilité d’utiliser le V6 3,8 litres biturbo développé pour la GT-R. Mais ça, c’était avant. La Bohema pèse 982 kg (avec ses fluides), elle repose sur une coque carbone, cache des suspensions à poussoirs, des freins carbone céramique et utilisera une version poussée à 710 ch du VR38DETT par le spécialiste anglais Litchfield en collaboration avec Nissan (nom de code PL38DETT). Il ne paraît pas déraisonnable de dire qu’avec Litchfield, 710 ch ne sont sans doute qu’un début.
Aujourd’hui, je vais essayer un prototype avancé sortant 560 ch et dont la calibration du châssis est à 80 % terminée. La Bohema a beau avoir des caractéristiques et une philosophie de voiture de course, le chef ingénieur de Praga et responsable du projet, Jan Martinek tient à souligner qu’il s’agit aussi d’une routière. Il souhaite donc que j’essaie dans un premier temps l’auto sur une route ouverte, avec ses bosses et ses trous afin de ressentir sa souplesse et de constater qu’elle est compatible avec un tel usage. Chouette idée mais le fait qu’il n’y ait pas de véritables portes pour entrer dans la Bohema mais seulement un petit panneau qui s’ouvre vers le haut et qui oblige à s’asseoir sur la carrosserie pour lancer ses jambes dans le cockpit avant de glisser sous le volant épais, fait qu’on sait immédiatement qu’elle ne sera pas aussi facile à utiliser que, disons, une 812 Competizione ou une McLaren Senna.
Tout est spécial avec elle. Vous êtes assis incroyablement bas (même si le siège à dossier fixe peut s’incliner pour relever votre champ de vision), le volant est agréable à tenir en mains tandis que tout l’habitacle respire la simplicité. L’auto est une évolution de la Praga R1R, une monoplace à fort appui aéro assez proche de ce que fait Radical. « Nous savions qu’il existait un appétit pour ce type d’autos, » explique Jan, « mais les clients souhaitaient une véritable routière. Quelque chose de plus spacieux mais toujours léger, quelque chose de toujours aiguisé mais de pas trop intimidant. Au final, aucun composant n’a été conservé de notre monoplace, preuve que nous avons bien bossé ! Les performances aérodynamiques sont excellentes mais nous ne voulions pas être trop extrêmes, il y aura donc sans doute un pack circuit plus tard. »
Praga qui a 115 ans a une expérience qui dépasse le simple sport automobile. Praga fut le plus grand constructeur de Tchécoslovaquie avant de basculer dans le ferroviaire, les bus et l’aviation. Cependant, après la guerre, la firme est devenue un fournisseur pour d’autres entreprises et l’activité de constructeur a disparu. La firme est réapparue dans les années 1990 en fabriquant des motos d’enduro et aujourd’hui des camions pour le Dakar, des vélos, des kartings, les R1R de course et même un avion, lancé récemment.
La Bohema n’est définitivement pas un engin qui s’envolera. Sa suspension Öhlins entièrement réglable peut altérer l’appui que la voiture génère mais dans sa configuration offrant un compromis route/circuit, elle produit 900 kg d’appui à 250 km/h. C’est plus que ce que produit la nouvelle GT3 RS à 285 km/h et surtout, il faut se souvenir que la Praga ne pèse que 982 kg ! Pourtant, elle se débrouille bien sur les bosses tandis que l’on trouve deux espaces de rangement de 50 litres dans les pontons (cf. ci-dessus). Une vraie routière !
Le raffinement se déniche également dans le fait que la boîte séquentielle Hewland 6 vitesses et le moteur sont montés sur des silentblocs caoutchouc dans un berceau tubulaire. Une partie de la sonorité du V6 a disparu mais en termes de volume, on peut difficilement faire plus fort pour une voiture de route. Quelques minutes après la session piste, il est clair que la sonorité rageuse de l’échappement en titane est particulièrement spectaculaire.
La direction se montre légère et précise, la Bohema aussi stable et équilibrée qu’espéré. Il n’y a que certains freinages sur des portions bosselées qui ont engendré quelques réactions nerveuses de l’auto, nervosité que l’on ne subit pas dans les virages rapides ou sur les grosses accélérations. Ce prototype ne lâche peut-être que 560 ch, mais la façon dont il propulse les 982 kg de la Praga est terriblement impressionnante. Le moteur ne reçoit pour l’instant que quelques pièces de turbos spécifiques (le bloc est identique à l’origine) mais la réponse moteur déjà excellente devrait s’améliorer encore au fur et à mesure que le développement avancera.
Les capacités de la Bohema sont difficiles à appréhender en seulement quelques tours de circuit mais il y a déjà beaucoup de choses appréciables. La motricité est grande mais lorsque ça déborde, le comportement reste équilibré. Le moteur est vraiment plein de caractère et je n’ose imaginer ce que cela va être lorsqu’il sortira ses 710 ch. La qualité de tout ce qui l’entoure me rappelle la BAC Mono (EVO 162).
Pour moi, le seul point discutable vient de la boîte Hewland. Est-ce qu’une boîte de course à engrenages à denture hélicoïdale et à embrayage robotisé (et pneumatique) peut coller avec un usage routier ? Le montage semble fonctionner (l’embrayage automatisé dès le démarrage est doux) mais cela ressemble moins à une solution durable pour une routière qu’à un équipement de voiture de course.