C‘est un endroit unique, de ceux dont les rêves se nourrissent, niché à l’abri des regards dans le village de la Brie, dont la tranquillité n’est perturbée que par les hurlements des mécaniques de course à l’essai. Ici, dans l’arrière-cour d’une ancienne abbaye, se niche un atelier extraordinaire peuplé des plus fabuleux bolides. La grande nef vitrée est une machine à voyager dans l’histoire des 24H du Mans : d’antiques Jaguar y croisent des monstres du Groupe C au milieu des Cobra, GT40 et autres Porsche 935.
Et bien sûr de quelques Ferrari. « Sur la centaine de voitures dont nous nous occupons, on peut compter une vingtaine de Ferrari » indique Yvan Mahé, qui a fondé Équipe Europe ici même en 1985 et qui veille désormais à sa destinée accompagné de son fils, Guillaume, et de 15 collaborateurs. Connue pour son expertise sur les voitures de courses historiques (avec 25 autos engagées au Mans Classic entretenues), Équipe Europe s’est diversifiée depuis quatre ans avec un pôle restauration qui compte désormais pour 30 % de son chiffre d’affaires. On y croise, pêle-mêle, 330, 275 GTB à nez court ou long, 250 GT Cabriolet Séries 1 et 2, Daytona ou BB. « Ce sont des voitures plus simples que les modèles de course, avoue Yvan, sur lesquelles nous réalisons de grosses restaurations et pour lesquelles nous pouvons obtenir des certifications Classiche. »
Mais c’est bien l’atelier de compétition, peuplé d’outillages et de pièces d’époque, qui fascine le plus. Comment ne pas tomber en arrêt devant les spectaculaires carrosseries d’une BB LM et d’une 512 M réunies sous ce même toit ?
« Ces deux voitures ont couru au Mans en leur temps », indique Yvan, dont la discrétion envers ses clients ne nous laissera pas lui soutirer le moindre numéro de châssis… « Sur la 512 M, qui n’a pas vocation à courir, nous nous occupons actuellement du système électrique ainsi que du circuit d’essence, que nous remontons aux spécificités d’origine, car il avait été refait avec des raccords modernes.
Il faut être intransigeant sur l’époque des pièces que l’on monte.
Yvan Mahé
La BB est une voiture que nous entretenons depuis deux ans. En ce moment, nous nous penchons sur sa boîte de vitesses qui ne donne pas satisfaction à son propriétaire. C’est une voiture que vous verrez lors de la prochaine édition du Mans Classic. »
Ce n’est pas la première fois que je visite l’atelier, et pourtant je suis habité d’une frénésie semblable à celle qui me prenait lorsque, enfant, je visitais un de ces immenses magasins de jouets de la taille d’un supermarché. Mais quand je lui demande s’il existe des spécificités entre les différentes voitures sur lesquelles il travaille, Yvan répond avec le flegme de celui qui a tout vu (difficile de l’en blâmer !) : « Avec les voitures de course, on retrouve toujours le même type de pièces selon les époques, les constructeurs montaient ce qui était disponible chez les mêmes fournisseurs. Ce qu’il faut, c’est donc d’être intransigeant sur l’époque des pièces que l’on monte.
Nos clients cherchent à avoir une voiture qui donne l’impression d’être le plus possible dans son état d’origine. Il faut donc trouver des pièces neuves qui correspondent à l’époque. C’est plus facile aujourd’hui que lorsque nous avons commencé, car il y a désormais beaucoup plus de refabrications. Dans les années 80 et 90, je devais racheter des stocks de pièces dès que j’en trouvais. C’est à ce moment que le marché à commencer à se développer. »
Paradoxalement, la difficulté est plus grande sur les voitures modernes. « Nous travaillons sur des modèles allant jusqu’à 2012. Un client a une 550 Prodrive et nous nous occupons de Peugeot 908 HDI pour lesquelles il existe en Angleterre un nouveau championnat dans lequel elles peuvent courir. Ces voitures utilisent des pièces spécifiques dont les stocks sont épuisés. Lorsqu’on se tourne vers un fournisseur pour un simple roulement, il nous demande de combien de dizaines de milliers nous en avons besoin, mais il ne nous en faut qu’une vingtaine. Ça coûte une fortune ! »
Qu’est ce qui explique la rareté relative des Ferrari dans les courses historiques ? « Le facteur principal reste le prix, aujourd’hui comme avant, ce sont des voitures très chères, et les propriétaires hésitent à les sortir. Dans les années 60, les voitures les plus rapides, selon les catégories, étaient les Cobra et les Ferrari, suivies par les Jaguar. Les Cobra sont toujours rapides et les Jaguar cotent beaucoup moins que les Ferrari, c’est donc elles que l’on voit surtout aujourd’hui.
Comment ne pas tomber en arrêt devant les spectaculaires carrosseries d’une BB LM et d’une 512 M réunies dans le même atelier ?
Aujourd’hui il y a beaucoup de “doublons” qui courent, des copies réalisées par les propriétaires des voitures d’origine, à partir de voitures de route et équipées de coques neuves, comme une GTO que l’on peut voir à Goodwood. Mais les Ferrari restent les voitures les plus chères, et leurs propriétaires hésitent à les modifier, contrairement à des voitures d’autres marques. »
Et il ne faut pas croire que les Ferrari sont plus fragiles : « Elles avaient toujours de très bonnes pièces. À l’époque où les Jaguar avaient des vilebrequins en fonte, ceux des Ferrari étaient en acier nitruré. C’étaient des pièces de meilleure qualité que celles de leurs concurrentes. »
Quelles sont les voitures qui le font le plus vibrer ? « J’aime essentiellement les AC Cobra et les Ferrari. J’ai eu plusieurs Cobra, dont une voiture du Mans 1963. Concernant les Ferrari, j’ai une préférence pour les voitures des années 60 : les 275 GTB et les Daytona.
Cette dernière n’était pas une voiture très aimée au départ, mais je trouve que c’est une bonne routière. Elle est lourde, compliquée à manœuvrer, mais dès que l’on commence à rouler, elle devient très agréable, même sur petites routes. C’est une très, très bonne voiture, et très belle avec ça ! »
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Ce sujet a été publié dans Enzo n°11, un magazine que vous pouvez vous procurer en version e-book sur ngpresse.fr.