Essai

UN ESSAI SIGNÉ OCTANE

Essai Ligier JS2 : Essai non transformé

Dennis Noten
le
Avec des gènes de compétition, mais développée pour la route, la Ligier JS2 méritait un bien plus grand succès. Voici pourquoi…
SOMMAIRE

Guy Ligier

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Les étoiles n’étaient pas alignées à la naissance de Guy Ligier, en 1930. Orphelin, il a quitté l’école à 15 ans pour devenir apprenti boucher. Mais c’était un costaud et il est ­devenu champion de France d’aviron en 1947. Il s’est mis au rugby et fut sélectionné dans l’équipe de France ­internationale B, le sport parfait pour ce ­natif de Vichy, trapu et colérique.

Ligier a commencé à courir sur des motos et est devenu champion de France 500 cm3 en 1959. Puis il a économisé pour acheter un bulldozer, a lancé une entreprise de construction, et ses relations politiques (dont un certain François Mitterrand) lui ont confié des contrats pendant le boom de la construction des autoroutes. Au début des années 1960, il comptait plus de 1 000 employés et des centaines de machines.

La course automobile est venue par la suite. Ligier est passé d’une Simca à la Formule 2 et a obtenu quelques résultats décents. Bien qu’il ait eu moins de succès en F1, on a pu le voir dans des séquences du film Grand Prix au volant d’une Cooper-Maserati bleue, son premier lien avec la marque au Trident. Le point culminant de sa carrière fut sa victoire aux 12h de Reims 1967 avec son meilleur ami Jo Schlesser au volant d’une Ford GT40 MkIIb. Hélas, Schlesser perdit la vie l’année suivante, à Rouen, lors du GP de France, ce qui incita Ligier à arrêter les monoplaces.

Réticent à l’idée de devenir une équipe client en GT et encouragé par ses succès en affaires, Ligier décida de construire sa propre voiture, à Abrest, près de Vichy. Ce qui deviendra la JS2 fut initié par la voiture de course JS1 (les initiales JS seront utilisées pour chaque modèle Ligier en mémoire de Schlesser).

Ligier constructeur

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C’est alors qu’entre en scène l’ingénieur ­Michel Tetu, tout juste sorti de cinq années passées chez CD, chez Charles Deutsch, qui venait de mettre fin à ses activités. Ligier l’a chargé de créer la JS1, qui devait être une voiture rigide et légère à moteur central. Elle ­devait également être attrayante, pour bien se vendre, et Ligier fit donc appel au designer ­Pietro Frua pour retoucher sa proposition originale. Tetu déploya des idées novatrices, tel un châssis à poutre centrale en matériau sandwich. Il estimait que les panneaux en nid-d’abeilles de type aviation, tels qu’utilisés à l’époque sur les voitures de course, étaient trop coûteux. « J’ai donc choisi un châssis constitué de panneaux « Klegecell » : de la mousse PVC rigide recouverte de feuilles en aluminium, avec des composants en acier intégrés pour absorber les principales contraintes. » Cela n’avait jamais été fait auparavant. Puis la carrosserie a été à nouveau légèrement revue, après que Tetu l’eut testée en soufflerie.

Pour se vendre, La JS2 devait être attrayante, Ligier fit donc appel au designer Frua

Deux types de moteurs Ford ont été essayés. D’abord, brièvement, le bloc de F2 : en avril 1970, la voiture, pilotée par Jean-Claude ­Andruet, se révéla instantanément plus rapide que les Porsche 911. Il fut suivi par un V6 de 2,6 litres, associé à une boîte de vitesses de ­Citroën SM, la seule qui s’adaptait.

L’idée était de commercialiser la JS2 dans le réseau de concessionnaires Ford… Avant la douche froide : avec sa propre voiture de course GT70 en gestation, Ford refusa de fournir d’autres moteurs à Ligier, avant d’annuler, ironiquement, le projet GT70. Puis, Ligier perdit brusquement ses contrats de construction d’autoroutes, et avec eux sa ­société de construction.

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Le moteur difficile d’accès se trouve dans l’habitacle avec un simple couvercle pour atténuer le volume sonore.

Ligier avait deux crises sur les bras mais, à son insu, il se débarrassait d’un moteur au centre de gravité trop élevé. Se sentant acculé, il passa à l’attaque et construisit un prototype sportif ouvert unique, la JS3 équipée d’un V8 Cosworth, qui contribua à rehausser le profil de la marque lorsque Patrick ­Depailler et lui se classèrent un temps cinquièmes aux 24h du Mans, avant de connaître des problèmes. Après des heures de réparation, le duo franchit finalement la ligne d’arrivée sans être classé, mais le drame lui valut les honneurs du public.

Ligier se tourna ensuite vers Citroën pour demander le moteur V6 Maserati de la SM. La direction de la société était impressionnée par la popularité croissante de la marque Ligier et, après une série de réunions, Guy Ligier signa un contrat avec Raymond ­Ravenel, le PDG de Citroën.

La JS2

Le temps était venu de construire la JS2 de route. Les versions de course conservaient la construction du châssis de la JS1, mais celle-ci étant trop coûteuse pour les voitures de route, une nouvelle version fut créée à partir d’acier et de mousse de polyuréthane. Tetu adapta l’arrière du châssis et élargit le compartiment moteur pour accueillir le V6 à 90° de la SM. Pendant ce temps, Citroën inversa le rapport final de la boîte, car le moteur de la SM tournait dans le sens inverse du Ford.

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Les sièges aux nombreuses surpiqûres maintiennent bien leurs occupants et l’habitacle est dessiné aux standards d’une voiture de production.

La suspension était particulièrement élaborée : à triangles superposés avec un débattement important et des réglages minutieux de la compression et du rebond, ainsi que des barres antiroulis délibérément souples pour que le mouvement d’une roue n’interfère pas avec la dynamique de l’autre. Quelques-unes des dernières voitures étaient même équipées de ressorts et d’amortisseurs montés transversalement, mais cela était jugé trop complexe. Il y avait deux réservoirs de carburant, situés entre le cockpit et le moteur, au niveau du centre de gravité.

La JS2 fut présentée au Salon de Paris 1971. Elle reçut un bon accueil, mais son intérieur spartiate et sa carrosserie en fibre de verre ­découragèrent certains acheteurs potentiels : ceux qui ont signé étaient clairement des puristes de la conduite. Malgré les critiques positives de la presse et l’installation à partir de 1973 du 3,0 litres de la Maserati Merak, les ventes restèrent faibles.

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Ces phares globuleux ont disparu sur les dernières JS2.

La crise pétrolière

La version de course était compétitive mais entravée par un budget trop faible. Les temps forts de sa carrière se situent en 1974 : la victoire dans la course de quatre heures du Mans, pilotée par Guy Chasseuil, et un doublé dans le Tour de France avec Gérard Larrousse, Jean-Pierre Nicolas et le journaliste Johnny Rives. Chasseuil et Jean-Louis Lafosse terminèrent deuxièmes au Mans en 1975, avec un moteur Cosworth DFV en raison des difficultés financières de Maserati.

Les ventes furent confiées à quelques concessionnaires Citroën mais, comme pour toutes les voitures sportives et GT de l’époque, elles ont été décimées par la crise pétrolière. Lorsque Peugeot, nouveau propriétaire de ­Citroën, arrêta la production de SM, c’est ­Ligier qui en assembla les derniers exemplaires à Abrest. Puis Peugeot ferma Maserati et mit donc un terme à la fourniture de ­moteurs SM. Ligier ira jusqu’à envoyer un ­camion à l’usine Maserati pour obtenir un dernier lot de moteurs et de pièces.

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Les compteurs au dessin simple portent les logos Ligier.

L’utilisation du PRV V6 fut brièvement envisagée mais les circonstances étaient contre Ligier. La F1 était désormais son objectif principal et Gitanes était prêt à sponsoriser l’équipe. La production de la JS2 s’arrêta si brutalement que les factures du service des mines sont restées impayées. On estime que 82 voitures ont été construites, dont 7 exemplaires de l’édition finale présentés au salon de Genève de 1975. Ces derniers étaient équipés de roues à cinq boulons et de phares escamotables, qui n’étaient pas très populaires car ils privaient la JS2 de son regard globuleux caractéristique.

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Sélectionnez l’éclairage et le réservoir de carburant ici

Notre modèle d’essai

La voiture que vous voyez ici a été construite en février 1973 et immatriculée en 1975. L’usine a remplacé toute la carrosserie après un incident précoce qui a épargné le châssis, mais on sait peu de choses sur son histoire initiale. Vers 2009, elle a été mise en vente à Grenoble par un propriétaire âgé. Un homme est allé l’inspecter et a découvert une voiture nécessitant pas mal de travaux, mais il l’a quand même achetée : cet homme, c’était nul autre que le créateur de la voiture, Michel Tetu ! Il s’est attelé à la remettre en état, en travaillant méthodiquement et avec un soin méticuleux.

Michel Tetu l’a vendue en 2012 à un certain M. Fleury, qui l’a gardée pendant deux ans avant que d’autres projets ne l’incitent à la vendre. Cette fois, l’acheteur était le nouveau propriétaire de la société Ligier, Jacques ­Nicolet. La JS2 a été utilisée occasionnellement comme voiture de patrimoine : ­Christophe Profit, le directeur commercial de Ligier, l’a conduite lors d’un aller-retour entre Magny-Cours et Le Mans, et il l’a adorée.

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Le coffre avant est destiné à la roue de secours, le cric, les réservoirs et le radiateur.

À la fin de l’année 2020, le collectionneur belge Thierry Dehaeck, un passionné de ­Citroën SM à qui j’avais vendu une Maserati Quattroporte II à moteur SM, m’a demandé de lui trouver une JS2, mais lorsque ­Christophe Profit m’a invité à Magny-Cours pour en inspecter une pour Thierry, je ne m’attendais pas à ce qu’il s’agisse de la 25377303, l’ex-voiture de Tetu !

Le poids de la voiture est un mystère, car les chiffres sont très différents selon les sources. Chez Ligier, entre les voitures LMP2, les techniciens l’ont placée sur quatre balances électroniques individuelles et le verdict, avec peu de carburant, est de 1069,5 kg. Sur ce total, 438 kg reposent sur les roues avant et 631,5 kg sur les roues ­arrière, ce qui donne une répartition des masses de 40/60 typique d’une voiture à ­moteur central. La JS2 est donc beaucoup plus légère qu’un Merak ou une SM qui pèsent respectivement 330 et 400 kg de plus. Depuis l’achat, l’atelier Cady Cars de Thierry Dehaeck a passé la JS2 au peigne fin, fabriquant un nouveau plancher, traitant la rouille mineure et repeignant les bas côtés et les logos noirs. Ils ont trouvé les bons rétroviseurs, les roues Gotti ont été retouchées, des pneus neufs ont été montés et la suspension a été ­réglée.

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Un espace pour les bagages surprenant.

La voiture est très compacte, le coffre avant ne pouvant accueillir que le cric et la roue de secours de faible encombrement que l’on retrouve sur les Khamsin et Merak. Sous le hayon, le moteur est caché derrière un couvercle, comme celui d’une Renault 5 Turbo, entre un coffre de taille raisonnable et le cockpit. En raison de la faible accessibilité, le niveau d’huile est contrôlé par une commande à dépression Jaeger, une idée que Tetu a adoptée pour toutes les JS2 après l’avoir vue lors d’une exposition de voitures de course au Royaume-Uni.

À bord de la Ligier JS2

Entrer dans la voiture est tout sauf facile à cause de l’ouverture étroite de la portière, du siège baquet et du volant bas, mais une fois à l’intérieur, on est installé dans une ­position de conduite presque idéale, avec une bonne visibilité arrière pour une voiture à moteur central. Les pédales sont bien placées pour le talon-pointe, et le tableau de bord est minimaliste et fonctionnel, avec son compteur de vitesse siglé Ligier et son compte-tours à 8 000 tr/min placé droit ­devant. Parmi les commandes de la ventilation et les interrupteurs habituels, on trouve ceux permettant de passer d’un réservoir à l’autre. Le V6 est plus bruyant que dans une SM, ou même une Merak, ce qui est agréable. La température du compartiment moteur peut apparemment provoquer des problèmes d’admission, je suis donc attentif au risque de calage. Le levier de vitesse est spécifique mais son soufflet provient de la SM.

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Elle peut dépasser les 240 km/h, mais les virages et le bosselé sont le point fort de la Ligier.

Sur les routes sinueuses et bosselées, je suis instantanément surpris par l’équilibre de la JS2, peu importe ce que le revêtement de la route envoie sous les roues. C’est un châssis avec lequel on a envie de jouer toute la journée, avec une direction très communicative et précise. La timonerie à câble n’est pas un obstacle, bien que la marche arrière soit difficile à trouver.

Sur les routes sinueuses et bosselées, je suis instantanément surpris par l’équilibre de la JS2

L’ouest de la Belgique est plat, alors nous nous dirigeons avec Thierry Dehaeck vers les collines les plus proches et je découvre une petite route de campagne du type de celles utilisées lors du rallye d’Ypres, avec des fossés profonds de chaque côté. Je me sens maintenant très bien au volant de la JS2 et je suis prêt à la pousser plus fort. Elle est se montre sûre d’elle et pourtant réactive, si précise dans sa direction et si bien équilibrée qu’elle vous donne une confiance totale. Si vous la faites survirer, elle vous prévient et est très facile à contrôler. C’est une caractéristique rare aujourd’hui et exceptionnelle à cette époque pour une voiture à moteur central, et tout cela est dû son ­exquise suspension, si soigneusement ajustée.

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Désormais restaurée, cette JS2 de 1973 a été entre 2009 et 2012 la propriété de l’ingénieur Michel Tetu, l’homme qui l’a créée.

Elle n’offre pas les sensations d’une GT ou d’une voiture de sport glamour, mais plutôt celles d’une voiture de rallye d’homologation, et sur ces routes secondaires toutes en bosses, creux et nids-de-poule, elle est parfaitement à son aise. Et bien des supersportives aux pneus hypertrophiés et aux débattements de suspensions quasi nuls auraient du mal à la suivre ici. On pourrait spéculer sur une comparaison entre l’imperturbable équilibre de cette voiture et celui d’un Guy Ligier sur un terrain de rugby, et entre les aboiements de son moteur et ses célèbres colères.

Sans les résultats de la JS2, Ligier n’aurait jamais eu le budget nécessaire pour gagner en F1

Guy Ligier a vendu sa société de fabrication de voitures de course au gentleman driver Jacques Nicolet en 2013, et s’est retiré pour vivre près du circuit à Magny-Cours. Il est ­décédé en 2015, à l’âge de 85 ans. Il était peut-être brusque, mais il a créé une auto passionnante qui a conquis le Tour de France aussi sûrement qu’il courait avec un ballon de rugby. Sans les résultats de la JS2, qui ont attiré Gitanes dans l’aventure, Ligier n’aurait jamais eu le budget nécessaire pour gagner en F1. Ces victoires en Grand Prix doivent tout à cette charmante voiture.  

Fiche technique

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Ligier JS2 1973

Moteur V6 central, 2 956 cm3, 2 x 2 ACT, 3 carburateurs Weber 42 DCNF 
Puissance 195 ch à 5 500 tr/min
Couple 241 Nm à 4 000 tr/min
Transmission Manuelle à 5 rapports, propulsion
Direction Crémaillère
Suspensions Av et Ar : triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barres antiroulis
Freins Disques ventilés 
Poids 1 069 kg
Vitesse maxi 247 km/h (annoncée)
0 à 100 km/h 7”8

Cet essai est paru dans Octane n°55, un magazine que vous pouvez vous procurer sur notre boutique NG Presse, en papier comme en numérique.

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