Si vous êtes des lecteurs assidus des magazines autos dédiés aux sportives, vous savez que la fin d’année est synonyme d’élection. Parmi nos 4 titres, EVO et Motorsport ont ainsi leur propre couronnement hivernal qui propose des concurrents et des résultats très différents alors même qu’ils sont censés tous les deux élire la meilleure sportive sortie dans l’année écoulée. Mais pourquoi ça ?
Plusieurs paramètres peuvent l’expliquer.
Pourquoi n’a-t-on pas les mêmes finalistes partout ?
Si les finalistes diffèrent, c’est parce qu’évidemment les sensibilités ne sont pas les mêmes mais aussi souvent parce que la disponibilité des autos reste un problème. Si EVO programme son élection généralement fin septembre début octobre, Motorsport la planifie pour début novembre. Même si l’organisation commence bien en amont et que les réservations sont effectuées le plus tôt possible, il arrive régulièrement qu’une ou plusieurs autos choisies fassent faux bond au tout dernier moment et ce, pour des raisons très diverses. Accident ou panne du véhicule de presse, retard dans la fabrication mais aussi parfois impossibilité ou complexité logistique de fournir un véhicule, surtout en ces temps de Covid et désormais pour nos collègues anglais, de Brexit.
Dans le cas de Motorsport qui chronomètre toutes les autos, il arrive également que le constructeur refuse que sa voiture soit mesurée ou tout simplement de fournir l’auto si elle doit faire du circuit. En effet, depuis une dizaine d’années, la compétition entre les marques de sportives les plus illustres a pris une nouvelle tournure avec l’avènement de McLaren qui avait pour ambition première de battre les Ferrari rivales du même segment. Dès lors, Ferrari a choisi de dépêcher une équipe et une auto spécialement dédiée pour les tests chronométrés afin d’encadrer tout cela et de valider les procédures (et en même temps les résultats). Étant donné qu’il n’existe qu’un ou deux exemplaires préparés à Maranello et qu’elles ne peuvent être partout au même moment (oui, il y a des élections dans tous les pays), elle n’est pas disponible pour tout le monde. McLaren et Lamborghini envoient également des hommes pour « surveiller » les chronos mais avec beaucoup moins de restrictions et d’interventions.
Par exemple, la 296 GTB Assetto Fiorano dédiée aux chronos n’était pas disponible pour l’élection de Motorsport qui a tout de même pu profiter d’une 296 GTB ‘tout court’ mais avec l’interdiction de divulguer les chronos de l’auto sur circuit (qui pourtant étaient les meilleurs du groupe). Seules les accélérations furent autorisées à la diffusion. Vu le niveau on comprend pourquoi !
Chez EVO comme chez Motorsport, la Lamborghini Huracán Tecnica et la Lotus Emira ont fait faux bond au dernier moment. Pour la première, c’est un changement de lieu qui a empêché sa venue. EVO devait à l’origine organiser son élection en France mais le circuit du Mas du Clos n’ayant pas encore eu son homologation, ils se sont rabattus sur un parcours connu dans le nord de la Grande Bretagne. Toutefois, Brexit « aidant », il fut alors impossible d’homologuer et d’enregistrer administrativement l’auto à temps pour la faire venir en Ecosse. Pour Motorsport, c’est l’obligation d’avancer la date d’une semaine (faute de dispo du circuit) qui a empêché la venue de l’auto réservée pour un autre média. Il s’est passé la même chose pour la M4 CSL mais par bonheur, ils ont réussi à trouver un autre exemplaire. Mille mercis à ceux qui ont rendu cela possible. Pour Lotus, dans un cas comme dans l’autre, ce sont les soucis de production qui ont conduit à l’annulation de sa venue tandis que pour la McLaren Artura, les hoquets du lancement ont fait que l’exemplaire presse pour la France n’avait pas encore été fabriqué et les difficultés à sortir une auto de Grande Bretagne ont fait le reste. Merci encore le Brexit. Notez également que si EVO n’a pas sélectionné la nouvelle Alpine A110 S de 300 ch pour sa finale, Stuart Gallagher et le reste de l’équipe l’ont clairement regretté eu égard aux prestations décevantes de la Mercedes SL55 4Matic+ conviée au tout dernier moment pour pallier les absences.
Bref, tous ces impondérables amènent à considérer des autos qui figurent un peu plus bas dans la liste afin de disposer d’au moins huit finalistes. Les forfaits font partie des aléas de toute compétition.
Le parcours, les mesures … et la météo
L’une des raisons principales expliquant les différences de classement tient aussi dans le déroulé de l’élection. Pour EVO, point de chronos. Lorsqu’ils ont un circuit à disposition, c’est uniquement pour pouvoir rouler à la limite, ce qui est impossible à réaliser sur route ouverte avec les pompes à feu commercialisées de nos jours. Ils ne mesurent que très rarement les protagonistes et se basent essentiellement sur le ressenti derrière le volant. Mais il est aussi indéniable que ce ressenti est directement impacté par les routes et la météo que vous rencontrez. Et dans la région des Marches Écossaises (Scottish Borders), si le décor est formidable, les routes, certes magnifiques et souvent désertes, restent étroites et extrêmement bosselées. Et lorsque la pluie s’en mêle, ce qui n’est pas rare chez nos amis britanniques, cela change totalement la perception que l’on a des autos présentes.
C’est ce qui explique en grande partie pourquoi la 718 Cayman GT4 RS ne termine que 5eme chez EVO et pourquoi la MC20 devance la McLaren et la Ferrari. Je vous laisse jeter un oeil sur la vidéo de cette élection ci-dessous et vous comprendrez vite en voyant la Porsche rebondir sur toutes les bosses qu’elle n’était pas du tout à son aise sur ce genre de tracé « de la vraie vie ». Idem pour la BMW M4 CSL dont le gabarit déborde sur la voie d’à-côté. Parions que si l’élection s’était déroulée sur les pentes du Mont Dore, le résultat aurait pu être différent.
Chez Motorsport, c’est la ligne éditoriale qui penche plutôt vers le circuit qui fait toute la différence. L’accent est mis sur le ressenti bien entendu mais aussi sur les performances en piste et l’équipe passe un temps fou à réaliser des chronos sur les circuits de Magny Cours Club ( par Nicolas Gourdol) et Grand Prix (par Romain Monti) puis des accélérations mesurées à Lurcy-Levis. La hiérarchie chronométrique et le pilotage sur circuit ont une influence importante dans le vote du jury. Et dans ce cadre particulier, un Cayman GT4 RS sera nettement plus à l’aise et ensorcellera tous ceux qui en prendront le volant. Les quelques dizaines de kilomètres de route effectués ne suffiront pas à diluer la magie qu’il distille sur la piste. L’Alpine A110S désormais intéressante sur circuit avec ses Cup 2 (il faisait chaud lors de l’élection Motorsport cette année) évolue avec une plus grande facilité sur route que le Cayman. On comprend ainsi pourquoi elle remporte le classement final de Motorsport.
Mais comment peut-on oser classer une Ferrari dernière ? C’est un pneu osé non ?
L’an dernier, la moyenne des notes des 6 jurés d’EVO avait placé la SF90 Stradale en dernière position, ce qui avait valu pas mal de critiques à EVO de la part des fans du cheval cabré. Mais si l’on regarde ça avec un oeil objectif (et pas celui du fan), cela s’explique assez aisément. En effet, l’élection qui se déroulait également en Angleterre sur des routes de même format que cette année s’est de plus déroulée sous une météo fraîche et humide. Comment imaginer un seul instant que l’on se sente à l’aise au volant d’une SF90 hybride de 1000 ch un peu pointue, chaussée de pneus (Michelin PS Cup2) ne fonctionnant pas sous 10/12° sur des routes de ce calibre ? Tous ceux qui n’ont lu que le résultat n’ont évidemment pas compris mais dans l’absolu, il est évident que la puissance ne passe pas au sol, que la voiture réagit trop vivement et que sa puissance est démesurée pour l’environnement dans lequel elle évolue. Vous prendrez forcément beaucoup plus de plaisir sur ces petites routes tortueuses et sous une météo aussi défavorable à bord d’une joviale Hyundai i20N (qui finira d’ailleurs 6e).
Cela fait d’ailleurs plusieurs années qu’EVO milite pour un retour à plus de mesure chez les sportives que l’on ne parvient désormais à conduire qu’à tout juste 30% de leurs capacités sur la route. Et dans tous les cas, il ne faut jamais oublier qu’une auto qui finit dernière d’un classement d’une Sportive de l’année fait tout de même partie de l’élite, la crème de la crème. Être le 8e meilleur du monde dans sa discipline reste une performance absolument incroyable. Il faut garder un peu de mesure dans ses réactions, même si c’est le coeur qui parle et qu’on ne peut pas totalement vous le reprocher.
Les méthodes de calcul
Chez EVO, c’est assez simple, les 6 juges donnent une note sur 100 à chacune des autos et la moyenne donne le classement final. Cela permet de créer plus facilement une hiérarchie étant donné que les ex aequo sont plus rares, ce qui n’a pas empêché les Artura et 296 GTB de terminer toutes deux troisièmes sur la dernière élection. Revers de la médaille de ce système de notation très large, cela engendre des écarts particulièrement funestes puisqu’il suffit qu’un seul des juges choisisse de hiérarchiser ses choix avec de grosses amplitudes pour qu’une auto se voie pénalisée dans sa moyenne. Ou pour être plus clair, si les 8 notes d’un juge se situent entre 70 et 97 par exemple, et que les autres juges notent plutôt entre 85 et 97, cela crée une distorsion. Par exemple, il suffit d’enlever la plus mauvaise note de la Toyota GR86 (ses notes vont de 89 à 98) pour qu’elle se retrouve à égalité avec la MC20 dont les votes vont de 92 à 96. Idem pour la Ferrari qui sans le 86 donné par un juge aurait fini devant la McLaren.
Chez Motorsport, pas de problème de ce genre puisqu’aucun classement n’est publié à l’issue du vote. Douze personnes issues de divers univers ayant trait à l’automobile (propriétaires, journalistes, ingénieurs, pilotes …etc) constituent le jury, elles essaient les autos (autant que possible) durant trois jours et envoient ensuite leur classement qui permet de nommer la Sportive de l’année. Mais sans doute pour éviter les vexations (des marques mais aussi des fans prompts à venir critiquer le classement de leur modèle favori), ce classement n’est pas diffusé, ce qui peut se comprendre. Par contre, le jury vote aussi pour d’autres couronnes puisque Motorsport distribue les bonnes notes façon « École des fans » avec le prix du moteur de l’année, de la révélation de l’année, le prix du Jury ainsi que celui des lecteurs (après un vote sur les réseaux).
Deux salles, deux ambiances, c’est tout ce qui fait le sel de ces élections. Les sensibilités de chacun sont différentes mais il faut savoir l’accepter. On a le droit de ne pas être d’accord mais une chose est sûre, ces élections sont réalisées avec le sérieux et la rigueur nécessaires à l’établissement d’une hiérarchie aussi juste que possible … dans des conditions données et donc différentes. D’où l’intérêt de toutes les lire pour se faire un avis éclairé et ne jamais s’arrêter au seul classement.
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