Audi a pris l’habitude de choyer une poignée de ses clients en les invitant sur des évènements exceptionnels. Ceux qui ont connu les premières éditions des Audi Endurance Expérience (AEE) se souviennent avec émotion de ces courses d’endurance à bord d’Audi A1 et A3 arceautées durant lesquelles la finesse de pilotage était un prérequis afin de trouver le compromis entre vitesse et préservation des consommables pour espérer remporter des courses de qualification de 3 heures, ce qui permettaient ensuite de participer aux fameuses 24 Heures qui étaient un évènement monumental où les peoples, les journalistes et les clients se mesuraient volant en mains sur une véritable course d’endurance ! Le lien avec l’engagement en WEC était alors particulièrement étroit et perceptible.
Audi n’est plus présent en Endurance, ils viennent d’achever leur programme sur le Dakar par une victoire et se préparent à entrer en Formule Un mais, ils ont tout de même souhaité relancer le concept de ces Endurance Expériences mais avec pour projet de promouvoir leurs véhicules électriques. L’invitation pour ce ‘Audi e-tron Endurance Expérience’ était pour le moins alléchante : « Première course d’endurance 100% électrique », « première compétition d’endurance sur circuit 100% électrique », « combinaison parfaite de sportivité, de performance et d’efficacité, cet évènement ambitionne d’être impactant et mémorable », « l’Audi e-tron Endurance Expérience est une véritable course automobile encadrée et validée par la Fédération Française du Sport Automobile (FFSA) et elle illustre l’engagement continu d’Audi dans le sport automobile », bref, cela s’annonçait épique d’autant que nous nous retrouvions au volant de magnifiques RS e-tron GT de 646 ch en pic et 598 ch en continu (voir tous ses chronos à Magny-Cours ici), un engin conçu par Porsche (c’est une cousine du Taycan) pour offrir un maximum de sensations tant en accélération qu’en courbe.
Des clients émerveillés
Le circuit Paul Ricard, l’organisation aux petits oignons signés Oreca et le budget dégagé par Audi pour en mettre plein les yeux des clients font qu’un tel évènement est évidemment bien perçu par ceux qui y participent. Être invité et choyé pendant une journée et demie sur le plus beau circuit de France, se voir confié des autos prestigieuses, croiser quelques youtubeurs célèbres ou un pilote/présentateur de télé (Franck Montagny de Canal+), approcher la spectaculaire Audi S1 e-tron quattro Hoonitron du regretté Ken Block, profiter d’une soirée animée par le DJ Bon Entendeur, tout cela garantit aux participants de passer un moment rare et particulièrement agréable, donc mémorable. Il en va de même pour les nombreux journalistes invités. De ce point de vue, ce fut une réussite et vous lirez sans doute des comptes rendus très positifs ici et là.
La « course »
Mais en quoi consistait donc cette course d’endurance en RS e-tron GT ? À la lecture du brief d’invitation, l’amateur de sensations fortes automobiles était en droit d’être excité. J’avoue que, même s’il était difficile d’imaginer qu’Audi allait laisser partir 21 e-tron GT, bride sur le cou, portière contre portière à l’assaut des 3,8 km du tracé, je pensais à la lecture de tout ce qui précède que nous allions vivre quelques montées d’adrénaline sur le seul lieu propice pour cela, à savoir un Paul Ricard parfaitement sécurisé. D’autant que l’organisation nous avait demandé un certificat médical sans contre-indication à la pratique du sport automobile et que nous étions équipés de la tête aux chevilles (il n’y avait pas de bottines de pilote) pour partir au combat. Cagoulé, ganté et casqué, dûment validé par le corps médical pour la pratique de ce sport extrême qu’est le pilotage automobile, j’attendais les premiers essais en me remémorant les joutes parfois rudes en A1 et A3 et les équipages de pistards invétérés laissant leur Ferrari sur le parking pour en découdre dans des A3 de 180 ch et ceux qui avaient tentés d’utiliser de la télémétrie pour remporter la course. Y’avait de la compétition acharnée.
Avant de prendre la piste pour les premiers essais, un coup d’œil approfondi au brief de départ me fait prendre conscience que la « course d’endurance » était plutôt décrite comme une course de régularité. Sauf que dans notre cas, il n’était pas question de choisir un chrono à respecter (ce qui permet à ceux qui le désirent de tenir un gros rythme) mais de parcourir la plus grande distance en trois heures.
Jusque-là, on pouvait imaginer qu’il existe plusieurs stratégies consistant en gros, soit à réduire le nombre de ravitaillements, soit à rouler le plus vite possible. La base et ce qui fait le sel de l’endurance. Malheureusement, les pénalités sanctionnant la recharge et les remplacements de consommables ne laissaient aucun espoir et une seule option était possible : rouler trois heures sans vider sa batterie. Les organisateurs ont eu beau jeu de nous dire après coup que nous étions libres de rouler fort si on le voulait, dans la réalité, les coachs qui géraient les équipes disposaient tous d’un tableau détaillé dans lequel étaient indiquées les charges exactes (au centième près) à respecter sur chaque intervalle de 10mn pour arriver au bout des trois heures sans tomber en panne. Sauf à faire n’importe quoi et à refuser de jouer le jeu voulu par l’organisateur, nous n’avions pas d’autre alternative que de respecter le plan imposé. Dans les faits, cette « course d’endurance » n’était rien d’autre qu’un challenge d’éco-conduite.
Pourquoi refuser d’appeler les choses par leur nom ?
Cela éviterait les déceptions, d’autant plus qu’un challenge d’éco-conduite peut être prenant. Comme n’importe quel challenge de quelque nature qu’il soit. Mais si un Candy Crush est lui aussi prenant, vous colle-t-il des frissons pour autant ? Pas sûr. Et une Audi RS e-tron GT n’est-elle pas une auto conçue pour filer des frissons ? Si, un peu.
Naissance de l’éco-pilotage
Loin de moi l’idée de critiquer un tel évènement qui a fait le bonheur des gens présents mais que peut-on retirer de tout cela lorsqu’on est un journaliste essayeur spécialisé dans le segment de niche des sportives et des autos-plaisir ?
Pour parvenir à rouler trois heures sans recharger avec des batteries de 93 kWh de capacité dont 88 kWh utiles, l’objectif était de consommer autour de 32 kWh/100 km (il faut aussi prendre en compte que nous avions 11 arrêts pilote à faire durant les trois heures). Et pour parcourir le plus de distance dans ce cadre-là, la consigne était de ne pas dépasser 130/140 km/h dans la ligne droite du Mistral, 120 km/h dans celle des stands et ne freiner qu’une fois en n’utilisant que la régénération (donc avec même pas 1 cm de pression sur la pédale) ! L’éco-pilotage (un nouveau terme inventé pour l’occasion) consistait à arrondir au maximum ses virages pour ne jamais casser son élan.
De fait, 70% du tour était effectué en roues libres.
Certes, cela demande de la concentration (on a vite fait de penser à autre chose que ‘piloter’ à ces allures là…) mais cela n’a rien de bien compliqué ni rien de bien frissonnant vous en conviendrez, et ce, même si l’on nous a seriné qu’à la fin, seuls les meilleurs pilotes gagnent (les 10 premiers ont fini dans le même tour preuve que la ‘difficulté’ n’était pas si importante).
Vous qui rêvez sans doute de pouvoir rouler un jour avec votre sportive sur le ‘Ricard’ ou qui avez frotté vos rétros sur les précédents AEE, je me vois mal vous expliquer à quel point il était fantastique de lever le pied au ¾ de la ligne droite, puis de passer Signes et le double droite du Beausset sur l’élan à 110 km/h au volant d’une auto de 600 ch et de rouler dans des temps extrêmement lents d’environ 2’20’’. Ne vous laissez d’ailleurs pas abuser par les tours de Franck Montagny sur Canal Plus, il a été le seul participant à être autorisé à (ou se permettre de) rouler à fond pendant l’Hyperpole durant laquelle un pilote de chaque équipe (nous étions 4) devait réaliser à l’aveugle deux tours au plus près des 2’10’’. Pour vous donner un ordre d’idée de l’écart, Montagny a tourné en 1’35’’. Au bout du compte, on peut d’ailleurs se demander si cet exercice de régularité plus proche de l’éco-conduite n’aurait pas été plus sympa à faire sur de belles routes de col dans un paysage magnifique, façon Tour Auto.
Les limites, ce n’est pas forcément l’électrique
Les seules limites que nous avons touchées sur cette RS e-tron GT durant cette ‘course’ sont finalement celles de sa batterie et de son autonomie. Nous n’avons jamais pu approcher les qualités pourtant énormes de cette voiture et, en tant qu’amateur de sportives, on peut le regretter. Mais cela n’est pas forcément à cause de son autonomie limitée ou parce que recharger 21 voitures demande beaucoup de temps.
Il est évident qu’il était impossible de reproduire ce qui se faisait avec les A3 de 180 ch dans des engins de 600 ch de plus de 2 tonnes mais les organisateurs auraient pu proposer un format de courses plus courtes (la RS e-tron GT serait capable de rouler au moins une heure à bon rythme) ou éventuellement une vraie Hyperpole durant laquelle le meilleur chrono aurait compté, histoire d’expérimenter au moins une fois le potentiel de cet engin. Le problème ne vient donc pas du fait que les RS e-tron GT sont électriques, car il est clair qu’il n’aurait pas été non plus possible de laisser les clients partir le couteau entre les dents au volant d’Audi RS6 ou R8 et prendre le risque de les voir froisser des engins de plus de 150 000 euros quand les A3 ne coûtaient guère plus de 25 000 euros à l’époque. Par contre, une chose est sûre, le spectacle offert par des RS6 ou des R8 aurait été certainement beaucoup plus enthousiasmant sur le plan auditif pour tous les gens présents, mais c’est un autre débat…
Au bout du compte, on en vient à se demander si ce type de produit est adapté pour transmettre le frisson qui nous cherchons tous (et donc pour organiser ce type d’évènement) ? N’est-il pas trop puissant, trop cher et trop lourd pour être poussé en toute sécurité par des clients lambda ? Ce fut en tous les cas un paramètre à gérer pour les organisateurs qui ont tout fait pour éviter que les clients exploitent son réel potentiel dynamique et de performance.
Quel message envoie réellement Audi sur cette RS e-tron GT ?
Je le répète une fois encore, si l’évènement formidablement organisé n’avait pour but que de laisser de chouettes souvenirs aux participants, c’est réussi, mais on peut trouver le lien qui était fait avec la vraie compétition un poil exagéré. Et surtout, de notre point de vue de site spécialisé dans les autos passion, quels sont les enseignements à en retirer ?
Sachant que nous ne mettions pas plus de 50% d’accélérateur et encore moins la voiture en appui, il était difficile de démontrer la compétence des concepteurs et faire étalage des capacités de l’auto. Car, en dehors de l’agréable moment passé, qu’avons-nous appris au final ? Qu’une Audi RS e-tron GT de 646 ch facturée 150 000 euros à l’autonomie WLTP annoncée de 472 km passant la majeure partie du temps en roues libres et ne dépassant pas 130/140 km/h est tout juste capable de rouler 250 km sur une charge batterie. Soit 83 km par heure. Précisons qu’avec les 11 arrêts de 2 minutes pour changer de conducteur, cela signifie qu’à cette allure, la RS e-tron GT roule 2h38 avant de tomber en panne de batterie (sans les arrêts, la moyenne sur la course grimpe alors à 96 km/h). Précisons qu’en utilisation normale, vous ne poussez jamais jusqu’à 0% de batterie (pour info, j’ai fait 2 tours lents avec un compteur à 0% de batterie), et que dans un cas de figure similaire sur la route, il faudrait s’arrêter recharger bien avant les 250 km.
Par ailleurs, se rendre sur un circuit doit normalement permettre de se défouler, de faire des choses impossibles à réaliser sur route, surtout avec une auto de 646 ch. Dans le cas de cet Audi e-tron Endurance Experience, les sensations étaient absentes au contraire du stress et de la tension. Normalement, tu sors apaisé d’une journée sur le Paul Ricard mais ici, garder l’œil en permanence sur le compteur de vitesse, ne pas appuyer sur la pédale de frein de plus d’un cm, ne pas accélérer trop violemment, mais suffisamment fort pour atteindre rapidement 130 km/h, éviter tout embryon de début d’intervention de l’ESP lorsqu’il s’est mis à pleuvoir, faire le dernier tour à 50 km/h pour éviter la panne, tout cela est mentalement pénible et vous met en état de stress permanent.
Si l’on se réfère à cet Audi e-tron Endurance Experience, le seul frisson fourni par une électrique de 600 ch est celui de ne pas savoir si nous allons arriver à destination.
Pour une auto aussi élaborée et performante, c’est dommage de repartir de là avec cette conclusion, non ? Même si les clients étaient sans doute heureux du moment, si on leur demande quelles sensations produit cette e-tron GT ou quelles sont ses performances réelles, ils seront bien incapables de répondre.
Conclusion
Le bilan est donc mitigé. Mais peut-être que nous vivons un basculement de société qui voit la transition vers l’électrique se combiner avec des préoccupations différentes que celles de gens comme vous et moi. De nos jours, les organisateurs croulent sous les contraintes techniques, sociales, sociétales, règlementaires qui inhibent forcément la prise de risque. Le frisson 2.0 offert par un constructeur ne peut-il être aujourd’hui que cérébral ou virtuel ? Ou bien, peut-être que de nos jours, la majorité des gens se satisfait d’apparaître au volant d’une sportive de 600 ch et 150 000 euros sans éprouver l’envie (ou la curiosité) d’expérimenter ses limites ? On peut se demander aussi si les sportives électriques actuelles ne sont pas inadaptées (que sont devenues les petites sportives à la puissance raisonnable ?) avec leur niveau de puissance démesuré et leurs accélérations si démentes que même sur circuit, les organisateurs n’osent pas les faire expérimenter par leurs clients ? Pourrait-on encore organiser des évènements tels que les premiers AEE aujourd’hui ? Cette course forcée de certains constructeurs vers le tout électrique qui ne se passe pas comme attendu, n’oblige-t-elle pas certains à exagérer le trait lorsqu’ils veulent promouvoir leurs produits ?
Cet Audi e-tron Endurance Experience est un peu à l’image de tout ce que nous vivons aujourd’hui, une transition encore bourrée d’incertitudes, d’incohérences, de paradoxes et de contradictions. La prochaine édition sera certainement bien meilleure.