La Porsche 965 a été conçue au milieu des années 80 comme un modèle à part entière se positionnant au-dessus de la 911 Carrera Type 964 et remplaçant en quelque sorte la 911 Turbo en tant que porte-drapeau de la gamme. Tirant les enseignements de la 959, ce modèle dont la sortie était prévue pour le début des années 90 devait être équipé, entre autres, d’un flat-6 biturbo refroidi par eau coiffé d’une culasse abritant 4 soupapes par cylindre, d’une transmission intégrale associée à une boîte à double embrayage en option, d’une suspension pneumatique adaptative inédite, d’un plancher repris de la 964 et d’une carrosserie qui ressemblait à une évolution douce de la 959.
L’objectif était d’offrir 370 ch, une puissance jugée nécessaire pour envoyer l’auto au-dessus des 300 km/h. Le prix au lancement en 1991 aurait dû tourner autour des 600 000 francs, soit à peu près 150 000 francs de plus que la Carrera 4. Cela peut paraître exagéré pour un dérivé de la 911 mais cela n’était pas si déraisonnable pour une auto qui promettait d’offrir plus de technologies que son aïeule prévue pour courir en Groupe B. Et d’ailleurs, pour bien faire comprendre le lien qui l’unissait à cette dernière, il était prévu que la version de série s’appelle 969.
Après le feu vert donné au projet 965 en 1984, le développement initial débuta gentiment sur la base de la moins onéreuse 911 Type 964. Mais comme c’est souvent le cas avec ces projets automobiles mort-nés, plusieurs facteurs ont commencé à peser lourdement sur sa genèse. Le premier concernait le moteur 3,5 litres qui, malgré ses racines de moteur de course et les 450 ch qui ont beaucoup fait pour la légende de la 959, n’est jamais parvenu à atteindre les 370 ch visés au cahier des charges. On était si loin du but que les ingénieurs ont alors entrepris de le remplacer par divers blocs, dont un V6 turbo tiré du V8 d’Indycar conçu par Hans Mezger, ou encore un V8 inédit qui devait être partagé avec un projet de “berline 911” codé 989.
Malheureusement, un facteur encore plus impactant va entrer en compte : la crise économique mondiale de 1987. Porsche qui avait dépensé des fortunes durant ses belles années a alors compris avec justesse que les ventes de 911 exubérantes allaient immanquablement s’effondrer. Un programme d’économies drastiques fut mis sur pied en urgence, la plupart des projets “non-essentiels” furent rayés du plan Produits, dont ceux d’un petit roadster 984 économique à moteur central ainsi que celui de la 928 cabriolet.
La 965 devait offrir plus de technologies que son aïeule conçue pour courir en Groupe B
Mais le projet 965 survécut. En revanche, de nombreux sacrifices furent imposés, en commençant par l’abandon de la solution choisie par les ingénieurs de passer l’intégralité du flat-6 au refroidissement par eau. Comme ce choix grignotait la quasi-intégralité des économies liées au partage d’éléments avec la 964, le nouveau moteur fut remisé et décision fut prise d’équiper la 965 du bloc de la 911 Turbo déjà existante. Cela ne permettrait pas d’atteindre le niveau de puissance attendu, mais la voiture pourrait être commercialisée pendant que le développement du moteur refroidi par eau continuerait en arrière-plan, avec l’intention de l’adapter plus tard sur la 965 lorsque les fonds le permettraient.
Malheureusement, tout cela ne suffit pas. Les ventes de Porsche s’effondrèrent en 1988, les fonds s’évaporèrent comme neige au soleil, notamment à cause de la production tardive de la 959 qui s’avéra très déficitaire. Le besoin de nouvelles économies devint urgent et la 965 présentait avec son moteur loin d’atteindre les objectifs, sa boîte intelligente et sa suspension pas encore totalement développées, tous les critères du projet à éliminer. Le nouveau patron du développement Ulrich Bez qui dirigea ensuite Aston Martin prit le dossier en main. Il décréta que la complexité du programme et les coûts qui en découlaient lui donnaient peu de chance d’être finalement rentable, ainsi, à la fin de l’année 1988, il mit un terme au projet.
À la place, Porsche concocta une variante Turbo plus économique à produire de la 911 Type 964 qui abritait le moteur de l’ancienne 930 Turbo. Quelques pervers la baptisèrent 965 après-coup mais le fait est que la vraie 965 fut rayée du plan Produits et les 16 prototypes construits envoyés au concasseur. Un seul exemplaire a survécu, il est exposé au musée Porsche de Stuttgart. Ce dernier est un témoignage assez éclairant sur les difficultés auxquelles ont dû faire face les ingénieurs à propos du moteur (qui ont contribué à faire échouer le projet) puisqu’il abrite en porte-à-faux arrière un V8 Audi.