DES AUTOS ET DES HOMMES
« Il y a quelques similitudes entre le métier de tailleur et de pilote : dans les deux cas, il faut suivre une trajectoire parfaite, qu’il s’agisse de celle de la piste ou de celle d’un patron, et être à la recherche de la précision, sans déborder… »
Si Massimo Cifonelli se lance dans une comparaison entre deux univers aussi distincts que ceux de la conduite automobile et de la couture, c’est qu’il les maîtrise tout aussi bien. Lui, qui avec son cousin Lorenzo, tient les rênes du célèbre tailleur parisien Cifonelli, a commencé à piloter un kart à l’âge de 5 ans avant d’espérer devenir pilote de Formule 1.
Et si nous lui rendons visite dans l’atelier de la maison, situé au 31 rue Marbeuf, à Paris, depuis 1926, c’est sur la piste du Mans que nous l’avons photographié quelques jours plus tôt en compagnie de sa Venturi 260 Atlantique. Un lieu qui ne doit rien au hasard : Cifonelli est le nouveau tailleur officiel des 24h du Mans.
L’histoire de la maison Cifonelli commence quatre générations plus tôt en 1880, à Rome, mais c’est le grand-père Arturo qui développe l’activité en quittant l’Italie pour se former à Londres, puis en s’installant à Paris en 1926, avec le rêve de poursuivre l’aventure jusqu’à New York. De son passage outre-Manche, il s’inspire de la coupe anglaise pour créer un modèle de veste qui inspirera le style la maison, avec une épaule tournée vers l’avant.
« Depuis que Karl Lagerfeld a dit qu’il reconnaissait une épaule Cifonelli à 100 mètres, tout le monde ne parle que de ça, commente Massimo, mais il faut bien garder en tête que notre grand-père n’a jamais cherché à faire un effet de style. Ce qu’il voulait, c’était créer une veste qui soit très près du corps, mais dans laquelle on puisse bouger facilement. Nous avons une emmanchure très haute, car contrairement à ce que l’on peut penser, plus celle-ci est haute plus on peut bouger le bras, alors que lorsqu’elle est basse, on emporte la veste avec. Et pour accompagner le mouvement de pivot de votre épaule, celle de la veste est portée en avant. Toutes nos pièces sont réalisées de cette façon. » Avec en prime un roulé très marqué : ce profil arrondi à l’endroit de la manche qui rejoint l’épaule, remontant au-dessus de cette dernière.
Chez Cifonelli, on pratique la grande mesure, c’est-à-dire que chaque costume est réalisé en fonction de la morphologie de celui qui va le porter : pour la veste, près de 40 mesures sont prises et trois ou quatre séances d’essayage sont nécessaires, un processus qui demande au bas mot 80 heures de travail. Et les patrons de chaque veste ou pantalon sont réalisés uniquement par les deux cousins Massimo et Lorenzo, avant que la suite de l’assemblage ne soit confiée à la quarantaine d’employés des ateliers, qui fabriquent près de 1 000 pièces par an. Un véritable travail d’artisans qui a séduit les plus grands amateurs d’élégance : Lino Ventura, Marcello Mastroianni, Cary Grant, Charlton Heston, Fred Astaire, ou François Mitterrand étaient tous des habitués de Cifonelli.
« JE SUIS TRÈS FIER D’AVOIR ÉTÉ L’UN DES PREMIERS EN F3 À PASSER LA CHICANE D’IMOLA DE MAGNY-COURS À FOND »
S’il a grandi avec son cousin entourés de vêtements, Massimo Cifonelli se rêvait d’abord pilote. « J’ai commencé à conduire très tôt, encouragé par mes parents. C’est une autre histoire de famille, car mon grand-père Arturo pilotait lui-même des voitures et des motos. Il a même croisé le fer avec Tazio Nuvolari ! À 18 ans, j’ai remporté le trophée fédéral de karting à Magny-Cours sous la pluie et je me suis retrouvé directement en Championnat de France de Formule 3, en 1996 et 1997. Mais faute de budget et de sponsors, je ne pouvais pas participer à toutes les courses. »
Massimo évoque également la difficulté d’un parcours à un âge déjà avancé en sautant les étapes qu’étaient la Formule Ford et la Formule Renault, mais il garde quelques très bons souvenirs de l’époque, comme la fierté d’avoir été l’un des premiers à passer à fond la chicane d’Imola à Magny-Cours : « Lors d’une séance d’essais privés, Jarno Trulli qui courait le Championnat d’Allemagne avec le Benetton Junior Team était également présent. Ils avaient vu sur leur télémétrie qu’il était possible de la passer à fond, mais ils avaient une garde au sol plus basse que la nôtre, alors c’était plus facile pour eux. Il m’a fallu toute la journée pour y arriver, après beaucoup de tête-à-queue ! Mais le temps que cela permettait de gagner au tour en valait la peine. »
L’époque est cependant critique pour l’entreprise familiale qui peine à évoluer, et les deux cousins, formés au métier depuis leur plus jeune âge, se jettent à corps perdu dans l’aventure. De ses années de pilote, Massimo a gardé une passion pour les voitures de sport (il roule au quotidien en Porsche 991 Turbo S), et surtout pour une Venturi 260 Atlantique qu’il a achetée alors qu’elle était presque neuve, et qu’il conserve précieusement depuis.
« À l’époque, j’avais lu un essai dans la presse dans lequel sept pilotes de F1 essayaient sept GT, et ils ont tous préféré la Venturi. Cela m’a poussé à en acheter une première, puis rapidement cette Atlantique, qui est une version allégée de 165 kg. C’est une voiture fantastique, très proche d’une monoplace, pour le meilleur comme pour le pire : elle peut passer les courbes très vite comme décrocher violemment et être très compliquée sous la pluie… Contrairement à ce que l’on peut penser, c’est une voiture très fiable. Même si j’ai cassé deux pistons il y a longtemps, à une époque où je conduisais très vite. Lorsque j’ai refait le moteur, j’en ai profité pour le faire préparer et gagner 40 ch de plus. On m’a expliqué qu’il n’était pas raisonnable d’aller plus loin… »
Cette année Cifonelli s’est associé aux 24h du Mans pour créer la collection de vêtements officiels de l’épreuve, une gamme de prêt-à-porter réalisée en Italie et inspirée par l’univers de gentlemen drivers. « Nous avons voulu créer des tenues qui soient aussi légères que confortables, avec des matières très agréables à porter, tout en ayant beaucoup de style et de caractère. Nous avons même réalisé une combinaison, un pied de nez qui rappelle celles que portaient les pilotes de la grande époque. »
Ce partenariat avec Le Mans ne lui donnerait-il pas l’envie de reprendre le volant ? « Je ne pilote plus depuis que je travaille six jours sur sept, mais il m’arrive de faire encore du kart. Je me suis promis que le jour où je pourrai me permettre de prendre ma retraite, je m’y remettrai. Sérieusement. »