Avant d’entrer dans l’histoire de cette supercar des années 1980, unique en son genre et sans complexe, il convient d’éliminer quelques clichés. C’était une époque où la cupidité était encouragée, où l’argent dictait sa loi et où Sonny Crockett et Ricardo Tubbs étaient les modèles masculins absolus. Elle s’est démodée très rapidement mais la culture de l’excès des années 1980 a fourni le carburant pour des choix vestimentaires très curieux et les voitures qui la représentaient le mieux étaient pour beaucoup l’expression ultime de la richesse et de l’individualité. Les kits de carrosserie, les conversions aux ailes larges et les grands ailerons étaient souvent montés sur les voitures les plus élégantes et les plus chères pour simplement se démarquer de la foule. Malgré cela, il est difficile d’imaginer que quelqu’un puisse regarder une Ferrari Testarossa et se dire qu’elle aurait besoin d’être un peu pimentée…
6 semaines de transformation
Pourtant, c’est exactement ce qu’a pensé l’entrepreneur américain Bruce Selig lorsqu’il a demandé à Gemballa de créer un modèle unique basé sur la GT de Ferrari. Conscient qu’il s’agirait d’une vitrine pour les talents de son entreprise, Uwe Gemballa était plus qu’heureux de faire des folies avec sa première Ferrari. Après tout, sa société était synonyme de Porsche modifiées, c’était donc l’occasion de prouver au monde entier que Gemballa pouvait tout faire.
Étant basé à Leonberg, près de Stuttgart, il n’est guère surprenant que Gemballa ait gravité autour de Porsche. Dès 1979, il s’est fait un nom en réalisant des Porsche et des BMW aux intérieurs modifiés sur-mesure.
En plus de fournir des retouches de très haute qualité, la société allemande de tuning a commencé à expérimenter des technologies automobiles de pointe. Gemballa est devenu un nom déposé en 1981, date à laquelle la société a également sorti plusieurs packs aérodynamiques pour les 911, 924 et 928. Elle affirme également être la première société à avoir installé des instruments à LED sur une voiture.
La transformation de cette Testarossa a commencé début 1988 et a duré un peu plus de six semaines. L’interprétation d’Uwe Gemballa de la supercar Ferrari comprenait un ensemble complet d’améliorations cosmétiques et technologiques, mais Selig a demandé que la mécanique de la voiture reste standard pour que les garages Ferrari puissent continuer à l’entretenir.
Cela soulève cependant une question : pourquoi modifier une Testarossa ? À bien des égards, ça a beaucoup de sens… Si à ce moment-là vous vouliez une supercar italienne sauvage, la Countach était le premier choix : c’était déjà à l’origine une voiture musclée, féroce et surdimensionnée. Le vaisseau amiral de Ferrari était une super-GT plus civilisée, plus raffinée, se fondant davantage dans le moule des autres voitures européennes modifiées et luxueusement aménagées de la scène du tuning haut de gamme.
290 453 dollars
Lancée en 1984, elle représentait une énorme évolution de la Berlinetta Boxer. La reprise de la disposition du 12 cylindres à plat monté en position centrale de la BB a donné à la Testarossa une posture basse et large unique. Avec une puissance de 390 ch, les performances étaient confortables, avec un temps au 0 à 100 km/h inférieur à 6 secondes et une vitesse de pointe de 290 km/h environ. Ces 12 cylindres, bien qu’avec un angle plus large entre eux que dans les voitures à moteur avant d’antan, ainsi qu’une boîte manuelle à cinq vitesses à grille ouverte, lui conféraient tous les attributs d’une Ferrari traditionnelle, bien que le look radical et novateur imaginé par Pininfarina ait initié toute une génération de bolides à Maranello.
Avec 1 976 mm de large, on pourrait penser que la Testarossa standard l’était déjà suffisamment, mais Gemballa a poussé ses dimensions encore plus loin, avec des ailes arrière élargies ajoutant 120 mm à ses hanches. Des panneaux d’extension de portes ont également été ajoutés, ce qui a entraîné le changement le plus controversé : la suppression des persiennes latérales emblématiques de la Testarossa. Cela lui donne un look légèrement plus moderne, aidé par les boucliers avant et arrière couleur carrosserie. Des rétroviseurs extérieurs profilés et un aileron arrière monté sur le toit complétaient les améliorations aérodynamiques. Comme sur les autres modèles Gemballa, l’échappement comporte six sorties. Il y a beaucoup de petits détails modifiées un peu partout, comme les prises d’air du moteur légèrement plus grandes et un troisième feu stop intégré au capot moteur. Pour finir, un ensemble de jantes en alliage BBS Racing de 17 pouces à verrouillage central a été monté. Ces jantes en deux parties sont polies et leur centre est peint en jaune canari pour être assorti à la peinture de la voiture.
Contrairement à de nombreuses autres sociétés proposant des modifications sauvages sur des voitures exotiques, Gemballa était très respectée pour son savoir-faire, et cela se voit à l’intérieur plus que partout ailleurs. Presque tout a été retapissé en cuir de buffle noir, avec un liseré jaune sur les nouveaux sièges électriques Recaro « Type C ». Une chaîne stéréo Pioneer haut de gamme a été installée dans la console centrale, avec les indispensables porte-cassettes placés à côté des sièges dans les contreportes. Et jetez donc un œil l’écran de télévision de 7 pouces monté sur le tableau de bord ! Il n’est pas là pour regarder des épisodes de Deux flics à Miami, mais pour afficher les images de la caméra de rétrovision montée à l’arrière. C’est banal aujourd’hui, mais c’était une première mondiale lorsque Gemballa l’a inauguré sur un projet antérieur en 1986. Gemballa a également été le premier à faire du volant multifonction une réalité, comme on le voit ici, permettant de contrôler la radio à partir de boutons sur le moyeu.
Combien tout cela a-t-il coûté ? Selig avait signé un chèque en blanc, et le prix total s’élevait à la somme stupéfiante de 290 453 dollars, alors que le prix de base d’une Testarossa aux États-Unis était d’environ 94 000 dollars. Elle a été achevée juste à temps pour être exposée par Gemballa au Salon de l’automobile de Genève en 1988, avant d’être expédiée à son propriétaire à Miami un mois plus tard.
Selig avait gagné sa vie dans l’industrie de la viande et des fruits de mer, mais il était également propriétaire de plusieurs sociétés du New Jersey, dont Exotic Bodies Inc et Scotts Limo and Leasing. Disposant d’une importante flotte de véhicules, dont des Porsche construites par Gemballa, Selig utilisait la Testarossa pour promouvoir bon nombre de ses activités, et elle n’était pas réellement immatriculée pour la route (ni même conduite) pendant les premières années de sa vie. En plus d’apparaître lors de diverses occasions, tels que le Salon de l’automobile de New York, l’entreprise Exotic Bodies de Selig a loué la Testarossa, comme beaucoup de ses autres véhicules, pour des séances de photos et des événements.
À l’époque, elle était très choyée et l’entretien était effectué sur place, dans le hangar où se trouvaient toutes ses voitures. Elle est restée l’un des biens les plus précieux de Selig jusqu’en 1999, date à laquelle elle a été vendue au millionnaire de l’immobilier de Floride, Peter Wolofsky, propriétaire de l’Auto Toy Store à Boca Raton. À ce moment-là, la voiture n’avait parcouru que 7 340 km. Elle est passée au collectionneur et revendeur de Rolls-Royce Donald G Meyer en 2005, après avoir parcouru un peu plus de 1 000 km supplémentaires. Une fois encore, la Gemballa Testarossa a été utilisée avec parcimonie, mais fréquemment exposée dans les salons automobiles locaux du New Jersey.
J’aime les voitures tunées des années 80
Un déménagement en Californie fut rapidement envisagé, et la Testarossa trouva sa place chez Archie McLaren et Nicholas Stephen Patin, qui en ont été conjointement les quatrièmes propriétaires. McLaren était un connaisseur de voitures et de vins, et l’usage qu’il faisait de la Gemballa différait très peu de celui des propriétaires précédents : il la conduisait à Santa Barbara et à Monterey pour des matinées « cars & coffee ». À cette époque, elle était régulièrement entretenue par Newport Beach Ferrari, et G and K Auto Conversions a remplacé l’échappement très spécial Gemballa par un système standard afin de se conformer aux strictes réglementations californiennes en matière d’émissions.
En 2015-2016, la Testarossa Gemballa était exposée au Murphy Auto Museum d’Oxnard, en Californie, où elle a été repérée par son actuel gardien, Johan Sandberg. Ce chirurgien esthétique suédois formé aux États-Unis en est immédiatement tombé amoureux : « J’aime beaucoup les voitures tunées des années 80, et j’ai vu celle-ci exposée au musée, alors je leur ai envoyé un courriel pour leur demander si elle était à vendre. Le type a dit qu’il contacterait son propriétaire, et c’est ainsi que j’ai commencé à lui envoyer des courriels et à lui parler. C’était un connaisseur en vins bien connu en Californie. Lorsque je suis allé au Texas pour des obligations professionnelles, j’ai demandé à y jeter un coup d’œil.
Lorsque je suis arrivé à l’endroit où il l’a stockée, un hangar à Santa Barbara, ma mâchoire s’est décrochée. C’était un environnement époustouflant pour découvrir la voiture. Quand on voit cette voiture en photo, il est difficile d’en saisir la largeur. Je devais l’avoir. Donc nous avons parlé, et nous sommes arrivés à un accord. C’est un drôle de petit bonhomme, haut comme trois pommes, très bien habillé et coiffé d’un béret, qui pouvait entrer dans la voiture comme un rien. Je fais 1m80, et il m’a dit : « Tu vas avoir un problème, mon ami ! ».
Il était très énergique, malheureusement il est décédé peu après que j’ai acheté la voiture. Sinon, il serait devenu un grand ami. Si je voulais une suggestion de bon vin, il m’écrivait un e-mail. C’était un sacré personnage. Je pense qu’il était d’accord pour que j’aie la voiture parce qu’elle allait dans une belle maison, et qu’elle ne finissait pas avec quelqu’un qui allait en changer les roues ou ce genre de choses. Je garde son caractère intact ».
Archie McLaren avait refusé une offre d’Uwe Gemballa en personne pour racheter directement la voiture en 2010, peu avant sa mort prématurée. Gemballa avait proposé une somme à six chiffres pour l’acheter pour son propre musée, et McLaren avait déclaré à l’époque qu’il ne la vendrait pas pour moins d’un million de dollars. Gemballa a poliment refusé l’offre.
Sandberg a importé la GTR en Norvège, et elle est depuis retournée chez Gemballa à Leonberg, tout en étant restaurée mécaniquement par le spécialiste Ferrari Autoxo Sport AS à Oslo. Sandberg poursuit : « Je l’ai achetée en 2017, et il n’y avait pas vraiment de problème avec elle. En gros, ce que j’ai fait, c’est de tout mettre à jour mécaniquement, et de lui faire subir un entretien complet pour qu’elle soit totalement à jour.
Il y a encore quelques petites choses que je vais réparer, mais elle n’a pratiquement pas changé depuis l’origine. Vous pouvez voir que le cuir n’est pas totalement neuf, mais sinon elle n’a pas vraiment été utilisée. On peut dire que c’était une voiture d’exposition pendant les premières années de sa vie. L’ajustement de tous les panneaux est excellent, et la peinture est entièrement d’origine. Elle est tout simplement superbe. »
Les six sorties sont fonctionnelles
Le fait que cette voiture ait survécu en si bon état est une chose, mais il est assez étonnant qu’elle ait conservé presque toutes ses pièces d’origine. Comme nous le savons, l’échappement Gemballa, unique en son genre, a dû être remplacé pour satisfaire aux règles californiennes, mais Sandberg raconte : « Quand j’ai vu qu’elle avait un échappement Magnaflow, j’étais vraiment déçu parce que je voulais ces six sorties. Le propriétaire m’a dit qu’il avait un vieil échappement dans un paquet : « Je vais te l’envoyer », m’a-t-il dit, et quand je l’ai ouvert, j’ai été tellement heureux de le voir. Il était clair que Gemballa avait beaucoup travaillé dessus. Il a été soudé à la main et, maintenant qu’il est monté, il sonne très bien. J’étais vraiment heureux de voir qu’il n’était pas perdu. Contrairement à certaines autres Gemballa basées sur des Porsche, qui présentaient parfois des tuyaux aveugles, les six sorties sont réellement fonctionnelles. »
Comme les propriétaires précédents, Sandberg l’a utilisée sur la route avec parcimonie : « Elle est incroyablement large, alors la regarder se glisser dans le transporteur est un véritable supplice, car il n’y a absolument aucune pièce de rechange disponible. On ne voit rien non plus dans les rétroviseurs : les hanches de la voiture, mais c’est à peu près tout, la caméra est donc très utile ».
Après cette rencontre, la Testarossa Gemballa est repartie à Leonberg pour recevoir quelques touches finales, qui avaient été retardées en raison des restrictions liées à la pandémie. « La caméra ne fonctionne pas en ce moment, mais ils disent qu’ils peuvent la réparer. Je veux le système original, car il a l’écran d’origine. Il y a un circuit électrique qui doit être réparé, c’est un travail de spécialiste. »
Deux exemplaires construits
Nous aimons tous les voitures pour différentes raisons, mais il est clair que Sandberg a une affection particulière pour les Gemballa. Ce sont des voitures extravagantes, et elles représentaient l’apogée de cette époque. « J’adore les 1001 SEL avec leurs gadgets fous et leurs frigos à vin, et j’ai aussi une Porsche 928 Gemballa en restauration. Les gens dépensaient des tonnes d’argent pour ces voitures. Certaines ont été bien entretenues comme celle-ci, d’autres non, mais elles étaient toutes des joyaux pour leurs propriétaires. Récemment, je pense qu’il y a eu plus d’intérêt dans ce domaine, mais je pense que les voitures tunées des années 1980 ont le vent en poupe. »
Des deux exemplaires construits par Gemballa, celui-ci est le seul survivant complet. Le second n’était équipé que du kit de carrosserie externe, et aurait été remis aux spécifications standard plus tard dans sa vie. À ce jour, le seul autre modèle de Ferrari sur lequel l’entreprise a travaillé est la MIG-U1, une pièce unique basée sur l’Enzo.
En tant que société, Gemballa s’est principalement concentrée sur des modèles sur mesure basés sur les Porsche, tels que l’Avalanche, la Cyrrus et la Mirage dans les années 2000. Le monde de l’automobile a été ébranlé par le meurtre du fondateur Uwe Gemballa en 2010, mais l’entreprise existe toujours grâce à l’investisseur Steffen Korbach, qui en a racheté le nom et les droits la même année. Cette incarnation de l’entreprise a conservé une grande partie de l’expertise qui a rendu les Gemballa des années 1980 si passionnantes. Comme nous pouvons le voir avec cette voiture, Gemballa tient à garder son histoire vivante et propose également des services de restauration pour ses modèles classiques.
Son apparence est absolument hors du commun, mais elle ne se contente pas d’attirer l’attention. La Gemballa GTR représente le sommet de l’extravagance des années 1980, et la voir si magnifiquement préservée fait revivre une période folle de l’histoire automobile.