Cette année, Michelin équipe la totalité des Hypercars et des GTE Am, soit 37 des 62 voitures engagées (LMP2 en Goodyear). Cela représente 8 000 pneus mis à disposition sur la classique mancelle. Il fournit trois types de slicks (soft, medium et hard) et une sorte de pneus pluie (contre deux auparavant) aux Hypercars. Le règlement de cette catégorie reine a été établi en 2020. Le temps de développement court et perturbé par la pandémie a naturellement favorisé la simulation. Michelin, qui participe aux 24 Heures du Mans depuis sa création en 1923, a misé à fond sur cet outil permettant de reproduire un comportement dynamique en fonction du profil de la piste, du véhicule, du pneu et des conditions souhaitées. Il a ainsi divisé par deux le temps de développement.
Michelin a ainsi divisé par deux le temps de développement des pneus des Hypercars
Veille de 30 ans
L’art de la simulation et le traitement de données pneumatiques remontent aux années 90. Le manufacturier clermontois s’est penché sur le sujet à partir 2005, via son engagement en Formule 1. Les chercheurs mettent alors au point le logiciel « Tame Tire » permettant de faire interagir les composants chimiques (majoritairement liés au pétrole à l’heure actuelle) avec une multitude de facteurs : déformations, températures, pression, usure… Il n’a cessé de s’enrichir de fonctionnalités grâce au progrès technologique. Michelin a rapidement utilisé ce modèle mathématique pour d’autres disciplines et depuis quelques années pour le développement de pneus ultra-sportifs homologués route. C’est le cas pour la 296 GTB, où les Pilot Sport 4S et les Cup 2R dédiés ont été mis au point en 18 mois, contre 36 mois en l’absence de simulation. Dans le cadre des 24 Heures du Mans, le recours à cette technologie est d’autant plus crucial que le circuit n’est pas permanent et utilisable le restant de l’année. L’enjeu est de concevoir un outil le plus précis possible, permettant de compenser la restriction des essais libres, d’établir de nouvelles stratégies de course, de modifier un maximum de paramètres et d’analyser l’usure et la phase cruciale de chauffe. À ce sujet, après avoir étudié les données recueillies auprès de Michelin et Goodyear, la FIA et l’ACO ont décidé d’autoriser le préchauffage des pneumatiques uniquement pour l’épreuve des 24 Heures dans un but sécuritaire.
Depuis 2005, Michelin développe son propre logiciel de simulation baptisé Tame Tire
Cercle vertueux ?
En France, Michelin collabore avec le spécialiste français AOTech depuis 10 ans, disposant d’un simulateur dans les locaux de l’écurie ART. La modélisation des pistes et des autos s’effectuent soit en interne, soit auprès de sous-traitants spécialisés. C’est le nerf de la guerre, à l’image du logiciel d’exploitation de données en constante évolution. À ce titre, le manufacturier a racheté la société anglaise Canopy Simulation pour son savoir-faire dans les trajectoires visant à reproduire le comportement d’un pilote idéal. L’objectif ? Éviter aux pilotes les tâches ingrates comme simuler quatre relais des 24 Heures du Mans (soit environ 4h de conduite). Cet apport sera aussi exploité avec les pneus routiers, en permettant de travailler sur différents comportements de conducteurs en lien avec les constructeurs et leurs cibles.
Un simulateur aussi évolué coûte entre 3 et 5 millions d’euros !
Utilisé toute l’année par les écuries et par l’ACO en vue de la certification des rookies pour l’épreuve d’endurance, ce genre de simulateur coûte entre 3 et 5 millions d’euros. Ce trésor de technologies cache un châssis tubulaire raccordé à des vérins pouvant générer jusqu’à 1,7g. Le moindre paramètre de conduite est bien évidemment ajustable. Face au conducteur harnaché – mais non casqué – prend place un gigantesque écran sur 200°. Nous avons testé ce simulateur AOTech et nous vous en reparlerons dans le prochain numéro de Motorsport. Dans le cadre du développement d’un pneu sportif, la simulation revêt désormais une importance capitale qui prendra encore de l’ampleur avec le déferlement de véhicules électriques (contraintes de poids, de couple instantané) et la gestion de matériaux durables en vue de se passer d’énergie fossile.
La simulation est quasi systématique en compétition et se développe pour les pneus sportifs routiers
N’ayez crainte, même si les progrès techniques et le déploiement de l’intelligence artificielle réduiront le recours aux pilotes, ils auront toujours le dernier mot selon Michelin : « un pilote viendra valider la définition finale du pneumatique et son adaptation au véhicule… » En simulation, l’objectif implicite reste tout de même de remplacer l’Homme par la machine. Quoi qu’il en soit, il interviendra toujours lors de la phase suivante de « fine tuning », primordiale et réclamant un réel savoir-faire. Cette phase se nourrit toutefois de datas, gagne en efficacité et a tendance à se raccourcir grâce à la finesse des outils de simulation. Or cette finesse dépend de la qualité des informations collectées dans la réalité et des modèles mathématiques crées. Un cercle vertueux ? Vous comprenez donc l’importance d’une course comme celle du Mans, qui représente une source colossale de données et condense en 24H des mois de travail.
La finesse de la simulation virtuelle dépend de la qualité des informations collectées dans la réalité