Je ne vais pas vous mener en bateau car il suffit de voir les 26 versions différentes de la 911 présentes sur le configurateur pour comprendre qu’il n’existe pas de « meilleure 911 ». Non, Porsche a fait le choix de proposer une 911 pour chaque personnalité, pour chaque type de client(e) et chacun aura son avis sur la meilleure de toutes, en fonction de ses propres goûts. C’est cela qui m’autorise de dire là maintenant tout de suite que, selon moi, la Porsche 911 de Type 992 la plus frissonnante est sans aucune discussion possible la 911 GT3 Touring boîte PDK. Arrêtez de hurler, je vais vous dire pourquoi.
Scène rare sur le parking de l’aéroport de Clermont-Ferrand Auvergne, une dizaine de Porsche 911 parfaitement alignées attendent entre les 3008 et autres Arkana que les journalistes en prennent le volant. Porsche fête les 60 ans de la 911 et si ce parking sans âme n’a rien d’enchanteur, les routes de la région le seront nettement plus. Pour débuter correctement cet évènement étalé sur un peu plus d’une journée, je m’installe dans la dernière venue : la très spectaculaire 991 GT3 RS Vert Python.
992 GT3 RS
Le démarrage me remet en tête le bruit de casserole des 911 actuelles au ralenti. Quand on se souvient à quel point ce flat 6 vous colle des frissons à 9000 tr/mn, c’en est vraiment étonnant. L’auto est impressionnante visuellement avec son aileron gigantesque et ses ailes découpées. Dès que vous démarrez, elle vous fait sentir sa singularité. C’est ferme, on sent que la géométrie n’est pas calibrée pour les manoeuvres, les baquets vous assoient assez bas mais, heureusement, Porsche laisse le choix d’utiliser les harnais ou une ceinture conventionnelle. Par contre, impossible de ranger mon sac ailleurs que sur la place passager. Le coffre avant a disparu et l’espace derrière les sièges est obstrué par l’arceau et inaccessible à un gros sac car les dossiers sont fixes. La polyvalence historique de la 911 en prend un coup.
La tripotée de boutons présente sur le volant témoigne de l’excellence du boulot effectué par les ingénieurs. La gamme de réglages offerte est immense et tout est paramétrable du bout des doigts. Détente, compression, différentiel, esp, antipatinage, modes de conduite, il faut bien plus que deux heures de roulage pour comprendre toutes les subtilités des réglages et leurs interactions. La durée de découverte de ce jouet pour pistards va être infinie !
Mais hors des circuits, il devient vite clair que le terrain de jeu n’est pas à sa mesure. En attendant de trouver une route adéquate, on s’amuse avec le DRS et on s’étonne d’en ressentir ses effets. C’est la première auto de route dans laquelle je ressens l’appui qui change. Le carrossage du train avant fait que la GT3 RS lit la route, il faut bien tenir le volant mais sa conduite reste franchement facile. Je m’étonne en jouant avec les réglages du faible écart entre les fermetés, maximale et minimale, de suspension. Il y a un écart mais l’auto reste dans tous les cas assez raide et à faible vitesse sur le bosselé, vos masses molles remuent allègrement. Mais en mode souple maximal, c’est réellement vivable.
Les belles routes de l’Auvergne apparaissent, il est temps de pousser. Le flat 6 hurle jusqu’à 9000 tr/mn, la boîte PDK régit en un clin d’oeil et sans à-coups, les 525 ch poussent forts mais sans vous filer mal au crâne et l’auto pourtant chaussée en simples Pirelli P Zero Corsa reste ventousée au sol. Jamais je ne vais parvenir à toucher ses limites d’adhérence, que ce soit en entrée ou en sortie sur les gaz. Les vitesses de passages sont assez effrayantes, le bruit est envoûtant mais on en ressort un peu frustré car on sait que l’on reste loin de ses limites. Et surtout, on en vient à se poser la question des conséquences en cas de perte de grip en appui, tant les vitesses de passage sont élevées. La 992 GT3 RS est clairement conçue pour le circuit.
992 Targa 4 GTS
Ce qui n’est clairement pas le cas de la Targa. Même si cette version GTS qui développe quand même 480 ch et 570 Nm de couple n’a rien d’un animal anémique, on change totalement de registre. On remarque tout de suite la perte du pommeau de commande de la boîte PDK remplacé par un poussoir en forme de rasoir électrique tandis que l’assise est plus conventionnelle et confortable.
La cinématique d’ouverture/fermeture avec sa bulle arrière vitrée qui se soulève complètement est spectaculaire, la Targa, c’est la 911 de l’esthète avant d’être celle du pilote. Mais dès que l’on démarre, je serais tenté de dire qu’il s’agit de la voiture de l’esthète statique car les bruits et remous d’air à l’intérieur de l’auto (dus à la lunette arrière) sont vite soûlants et j’envie mon collègue qui me suit à bord d’un cabriolet GTS totalement découvert où l’on se sent finalement beaucoup mieux.
Sous le capot arrière, exit l’atmo, bonjour les turbos. Le flat-6 3,0 litres n’a pas l’allonge de la GT3 RS et coupe autour de 7200 tr/mn mais sur le haut du compte-tours, l’auto équipée de série de l’échappement Sport émet un hurlement aigu franchement satisfaisant. Au volant, la poussée reste malgré tout assez impressionnante (il n’y a finalement que 45 ch d’écart avec la GT3 RS !) mais, par contre, on ressent tout de suite la boîte PDK moins rapide, la direction moins directe, plus assistée et surtout, un amortissement beaucoup plus souple. Je dirais même un amortissement piloté extrêmement confortable ! En mode balade soutenue, c’est très agréable et aucune saignée ne perturbe votre tranquillité.
Certes, dès que l’on cherche à pousser fort (au hasard, parce qu’un Cabriolet GTS vous colle au cul…), on touche les limites de l’engin. La Targa pèse 1685 kg contre 1450 kg pour la GT3 RS et ça se sent tout de suite sur le contrôle de caisse plus flou et sur les freinages ainsi que les entrées en courbe moins tranchantes. Il s’agit de plus d’une 4 roues motrices et lors des reprises de gaz, on sent le nez élargir tout de suite, il faut donc attendre une fraction de seconde de plus pour ouvrir en grand. On sent également que l’auto conserve une part de protection électronique lorsque l’ESC est sur Off. Il est important de dire que notre modèle est équipé des roues arrière directrices optionnelles et des barres antiroulis actives PDCC (en fait, il y a plus de 36 500 euros d’options au total !) qui améliorent grandement le comportement sportif. Précisons quand même que le rythme qu’elle est capable de tenir malgré ces quelques critiques est d’un niveau inimaginable (voire criminel) pour 90% de la population…
992 Dakar
Haaa, voilà enfin la 911 qui fait le buzz. Le look baroudeur de la version Vert Ombre à disposition rehaussé d’une galerie, de jerricans, d’un sac étanche et d’une barre de leds est proprement irrésistible. Mais étonnamment, lorsqu’on monte à bord, on ne se sent pas vraiment dépaysé. Il s’agit ni plus ni moins d’une 911 et la garde au sol relevée n’est quasiment pas perceptible de l’intérieur. On ne se sent pas dans un Cayenne pour être clair. C’est plutôt du genre Taycan Cross Turismo.
Toutefois, si la patate moteur (celle des 911 GTS) identique à celle du Targa reste impressionnante, il me semble que sa suspension est nettement moins confortable. Dans mes rêves les plus fous, j’imaginais la Dakar perchées comme ces Truck Trophy américains ou même la Singer ACS sur des suspensions à immense débattement, capable d’absorber tout ce qui se présente devant elle et dérivant à la moindre pression sur la pédale d’accélérateur. Mais la Dakar n’est pas un animal de ce type. Sa suspension est celle d’une 911 et si c’est effectivement bien (et rassurant) pour son comportement dynamique et son équilibre sur route, cela ne lui donne pas les mouvements de caisse amples avec lesquels ont pourrait jouer à basse vitesse, comme c’est le cas sur les voitures énoncées plus haut. Et surtout, ce n’est pas une propulsion.
Certes, la présence de pneus Scorpion All Terrain Plus à gros crampons (vous pouvez opter pour des pneus classiques) fait que l’auto bouge beaucoup sur les changements d’appui et à l’inscription mais les dérives qui naissent naturellement sur les freinages ne peuvent jamais être maintenues à cause de la transmission intégrale. Ou du moins, pas aussi bien que s’il s’agissait d’une propulsion.
Bref, je pense que ma légère déception vient du fait que j’ai fantasmé cette voiture à la lecture des premiers essais et que je m’en étais fait une idée erronée. Si l’on met de côté son prix indécent, c’est toutefois une proposition intéressante dans le sens où elle offre une autre dimension à la conduite, sans vraiment perdre ses qualités de base.
Un petit atelier tout terrain sur lequel il était possible d’accélérer très fort sur des chemins défoncés m’a permis de voir que, malgré son équilibre conçu pour être toujours un bel outil sur route, elle était capable d’absorber des impacts ahurissants. Je comprends maintenant pourquoi elle a été conçue si exclusive et si chère : c’est pour ne pas faire de l’ombre au Cayenne !
À quand une GT3 Dakar avec des doubles amortisseurs FOX ?
992 GT3 Touring PDK
Après la GT3 RS, le retour à bord d’une GT3 me confirme plusieurs choses. Sur route, l’écart entre les deux n’est pas gigantesque. Les 15 ch d’écart sont à peine perceptibles (il y en a de toutes façons largement assez dans tous les cas) et la suspension est déjà vraiment très ferme. Par contre, au niveau du look, le pack Touring qui fait sauter l’aileron arrière fixe vous fait gagner en classe et en raffinement, c’est indéniable. Pour que le quidam vous prenne pour un hooligan, il faudra vous voir rouler… il ne pourra pas le décréter rien qu’en regardant votre auto à l’arrêt !
Par contre, il n’y a pas photo, le train avant à double triangulation, la direction plus lourde et plus informative ainsi que la boîte PDK changent tout. Ça hurle jusqu’à 9000 tr/mn, les rapports s’engagent en appui sans rupture de couple et sans aucun risque, ce qui permet de retarder les freinages jusqu’au tout dernier moment et de reprendre les gaz sans risque de perdre l’arrière sur un passage de rapport. La GT3 qui était ici équipée des Cup 2 s’inscrit d’un seul coup de volant avec une énergie incroyable. L’élasticité du moteur et sa motricité exceptionnelle font qu’on ne se sent jamais sur des oeufs lorsqu’on est en charge.
Par contre, par rapport à la GT3 RS, elle est capable de devenir joueuse, voire même sacrément coquine. Une fois toutes les aides désactivées, il suffit de quelques burns pour chauffer les pneus pour qu’ensuite, elle devienne une BMW. En beaucoup plus rapide quand même. Vous plantez les freins en entrée, un petit coup de volant sur la fin du freinage fait venir gentiment l’arrière, et à partir de ce moment, vous avez le choix. Soit vous la laissez reprendre sa ligne naturellement, sans heurt, soit vous entretenez la dérive sur la totalité de la courbe. Cet équilibre est incroyable. Il faut être vif car les Cup 2 veulent reprendre le grip mais le moteur hyper réactif aide à maintenir la posture et tout vous parait très naturel. Et quand vous trouvez la bonne route, le bon virage, s’amuser ainsi avec un flat-6 qui hurle à 9000 tr/mn dans les oreilles, c’est juste jouissif. Et un plaisir extrêmement rare.
992 Carrera T
Ce plaisir totalement dingue est-il accessible pour beaucoup moins cher ? En d’autres termes, est-ce que la nouvelle Carrera T (ici dans le même Vert Python que la GT3 RS) qui mixe le moteur d’entrée de gamme et des équipements sport peut vous faire vivre des sensations approchantes ?
La Carrera T est donc une Carrera de base équipée du flat-6 3,0l biturbo de 385 ch et 450 Nm de couple avec de série l’échappement sport et au choix, la boîte PDK 8 vitesses ou la manuelle 7 rapports, le châssis PASM sport (-10mm) et le pack sport Chrono. Sans sièges arrière, elle est facturée 11 000 euros de plus que la version de base et se veut donc plus sportive. Notez que notre modèle d’essai était quand même équipé de 24 000 euros d’options dont les très utiles roues arrière directrices qui changent tout en termes d’agilité en courbe.
Pour bien juger une Carrera T, je vous conseille de ne pas l’essayer après une GT3. Ce qui est malheureusement arrivé ici. Le moteur qui coupe à 7500 tr/mn, la puissance qui manque, l’antipatinage pas entièrement déconnectable, la direction moins directe, la boîte moins réactive, le train avant plus paresseux vous font déchanter mais il faut relativiser car l’auto est 61 000 euros moins chère et permet quand même de relever légèrement le niveau de sportivité de la Carrera de base !
Reste que je ne parviens pas à m’enlever de la tête une question qui revient sans cesse : ne serait-ce pas plus intéressant de mettre 5000 euros de plus pour profiter d’une Carrera S, plus polyvalente et plus confortable mais aussi largement aussi rapide (voire plus) sur route ? Les possesseurs de Carrera T vont-ils réellement sur circuit avec leur auto ?
Chacun apportera sa réponse, c’est ce qui fait le charme de la gamme Porsche 911.
992 GT3 Touring boîte manuelle
Pour le retour vers l’aéroport, nous faisons le choix avec un collègue de rouler en duo pour échanger nos montures à mi-chemin. Sur la première partie du trajet, les routes sont magnifiques et j’ai la chance de prendre le volant de la seconde GT3 Touring présente. Sa configuration est à tomber par terre mais elle vaut cher : son vert anglais sort de la palette Paint to Sample et coûte quand même 9 960 euros, l’intérieur cuir noir est une option à 4 194 euros, les coutures contrastantes réclament un surplus de 3120 euros, les baquets intégraux 5400 euros de plus, les phares matriciels 3546 euros, les jantes peintes en Neodyme 1200 euros tandis que le freinage carbone-céramique allègera votre portefeuille de 9264 euros de plus ! Si vous ajoutez le système de levage du nez pour éviter de racler partout (3156 euros) et quelques babioles (réservoir 90l à 192 euros, ou rétroviseurs couleur carrosserie à 540 euros), la facture prend plus de 50 000 euros par rapport au prix de base et ça commence à peser très lourd. D’autant qu’il faut évidemment rajouter 50 000 euros de malus au prix de toutes ces 911.
Les ‘purs’ ont tendance à penser que choisir une boîte manuelle pour une sportive devrait être automatique. Que ceux qui ne le font pas sont des faibles ou des fainéants. C’est peut-être le cas lorsque la boîte automatique est lente ou mal fichue mais ce n’est pas le cas avec la PDK des 911 GT3.
Dans le cas de cette GT3 Touring, outre le fait qu’avec l’allonge du moteur, on reste la plupart du temps sur la troisième avec de temps en temps un rétrogradage en seconde pour les épingles, il est tout de suite évident que la boîte manuelle ralentit la GT3. Avec un moteur aussi vif et aussi avide de hauts régimes, lui accoler une boîte manuelle, c’est comme enfiler des tongs à Usain Bolt.
Nous ne sommes plus à l’époque de la 997 GT3 RS où la boîte manuelle engageait d’un seul coup de poignet et était un pur régal en parfaite adéquation avec les caractéristiques moteur. Ici, prendre 9000 tr/mn et passer un rapport à la main fait tomber le régime très bas et rend le pilotage beaucoup moins fluide. Le 0 à 100 km/h perd une demi-seconde (3″9 contre 3″4) et le 0 à 160 km/h quasiment une seconde pleine. La boîte accroche un peu, il y a quand même du couple, et c’est pareil pour les rétrogradages. Vous pouvez tellement retarder vos freinages avec la PDK (jusqu’à tomber le dernier rapport à la corde), que la boîte manuelle devient vite un frein, et donc frustrante.
Bref, si vous aimez simplement vous balader en 911 GT3 (donc être lent), alors oui, vous pouvez opter sereinement pour une boîte manuelle. Mais si vous voulez réellement exploiter tout ce qu’elle a à vous donner, je suis désolé pour les puristes, mais il faudra choisir une PDK.
992 Carrera S
Pour terminer ce périple, j’ai la chance de prendre le volant d’une Carrera S Jaune Racing. Avec 450 ch sous le capot, une base de propulsion et les options essentielles que sont le PASM (châssis sport), le PDCC (barres antiroulis actives), l’échappement sport et les roues arrière directrices (soit environ 9000 euros d’options), c’est déjà amplement suffisant pour 90% du temps. Mais là où ce fut le plus intéressant (là où j’ai de la chance donc), c’est que notre trajet s’est terminé par une partie urbaine particulièrement embouteillée où très franchement, il vaut mieux se trouver à bord d’une Carrera S hyper confortable que dans une GT3 qui réclame de la vitesse pour retrouver de la souplesse d’amortissement. Dans ces conditions, la direction moins vive, la pédale de frein moins « claire », l’antipatinage non déconnectable, la PDK tranquille ne sont plus un souci.
Et pour l’avoir vécu, il faut un sacré niveau de pilotage et d’engagement (ou d’inconscience peut-être) pour distancer une Carrera S, même lorsqu’on est devant à bord d’une GT3 Touring.
Conclusion
Voilà, si vous faites le bilan de tous ces essais et que vous vous souvenez de ce que j’ai écrit au tout début, vous savez maintenant quelle est la meilleure Porsche 911 actuelle… selon moi (la GT3 Touring PDK quoi !). Mais je comprendrai tout à fait que vous ne soyez pas d’accord avec mon choix et c’est d’ailleurs le fait de discuter de nos divergences qui fait pour moi le sel de la passion automobile. Et comme il est absolument impossible d’essayer les 26 versions (sans parler des options « essentielles »), ce sujet restera très parcellaire et forcément imparfait (il manque notamment les Turbo et Turbo S). Mais il est évident que, si l’on peut parfois reprocher le mercantilisme forcené de Porsche, on ne peut pas leur enlever une chose : ils savent mettre au point de vrais bijoux et connaissent parfaitement leur clientèle. Quel constructeur offre autant de variantes d’un même modèle ? Aucun, pas même les généralistes.
Alors que la 911 devrait se convertir à l’hybridation dans peu de temps, on a le sentiment que l’on peut continuer à faire confiance à ces gens-là pour nous offrir des objets de désir. Peu importe où l’on trouve son plaisir, il existera une 911 pour l’assouvir.