La deuxième fois, ce n’est jamais pareil. Même si c’est mieux. Aussi, malgré ses 1500 ch et ses performances accrues, la Chiron n’aura pas un impact aussi fort sur les esprits que ne l’a eu la Veyron à l’aube de ce siècle. D’autant plus que le cours de l’histoire a sacrément changé, avec la chute de Ferdinand Piëch et le scandale du diesel truqué qui ont ébranlé tout le Groupe VW. Sous la conduite de Piëch, VW aura connu une expansion économique incroyable accompagnée d’une appétence inégalée pour la technique. Arrivé à la tête du groupe via Audi, l’ingénieur a d’abord voulu l’asseoir sur la technique tout en visant la place de Mercedes: Premium et généraliste à la fois. Bugatti constitue le sommet de la pièce montée qu’il a façonnée à la fin des années 90 et comprenant Lamborghini et Bentley en plus de VW, Audi, Seat et Skoda. La Veyron a pour sa part connu une longue gestation, à la mesure de ses ambitions. Celles-ci ont souvent été résumées en deux chiffres: 1000 ch et 400 km/h, des valeurs qui restent exceptionnelles pour un modèle véritablement industrialisé et utilisable au quotidien. Entre 2005 et 2015, les 450 exemplaires planifiés ont été produits. Grâce à l’introduction d’une variante découvrable, une montée en puissance et un bouquet de séries spéciales exclusives, la production a été entièrement écoulée.
L’équipe dédiée à la conception de la Veyron a tout de même été contrainte à quelques renoncements. Ainsi, l’idée du 18 cylindres (trois bancs de six) a-t-elle été abandonnée au profit d’un 16 cylindres (réunion de deux VR8). Le nombre de pistons est moins exceptionnel mais la réalisation l’est plus, de par l’architecture choisie et le système de suralimentation à quatre turbos. Cette pièce imposante délivre 1001 ch, qui seront portés par la suite à 1200, et 127,5 mkg qui grimperont à 153. Pour faire passer pareil couple, il a fallu concevoir un attelage boîte 7 rapports DSG et transmission intégrale spécialement dimensionnés. Malgré le châssis en carbone, la masse frise les deux tonnes mais le 0 à 100 km/h est accompli en 2’’5. Le temps ayant fait son oeuvre, on constate que la taille du freinage carbone céramique n’est plus exceptionnelle et que la suspension à amortissement passif fait un peu tache dans le tableau avant-gardiste. Quant aux 400 km/h, ils ne sont pas réalisables à la demande sur route ouverte mais uniquement sur piste, avec une procédure et un encadrement qui imposent le sacrifice d’un train de pneus à 25000 euros.
Avion sans ailes
Même en seconde main, la Bugatti requiert un énorme budget, à l’achat comme à l’entretien. Quand on croise en chemin une Veyron, on est d’abord frappé par son gabarit raisonnable, en regard de la taille respectable de son groupe propulseur et de ses exigences de refroidissement. Ensuite, il y a le grondement de sa mécanique et la chaleur qu’elle dégage par sa baie moteur totalement à l’air libre. Moins imposant que celui d’une McLaren P1, son aileron arrière mobile pouvant jouer le rôle d’aérofrein n’en est pas moins spectaculaire. Son poste de pilotage est tout ce qu’il y a de plus classique et raffiné, plus axé sur la matière et la finition que l’électronique et l’avionique. Le standard est celui d’une limousine, mais le volume du coffre à bagages tend vers celui de l’Elise.
À l’usage, on comprend immédiatement que la Bugatti n’est pas une auto de course, une pistarde, mais une manière d’avion sans ailes taillé pour les lignes droites et les grandes courbes d’autoroute. Ce n’est pas un outil mais un objet d’art chargé d’une pensée complexe que l’on se doit de découvrir avec curiosité et humilité, en s’appuyant sur une relation directe et exceptionnelle avec son constructeur. Encore aujourd’hui, la Veyron procure des sensations physiques hors du commun qui se traduisent en chiffres démesurés à l’échelle automobile. Quand elle décolle, quand elle freine, cela n’a rien à voir avec une Porsche 918, ou un jet, ou bien encore un A380. C’est une sorte de 747 préparé pour les démos du Salon du Bourget. Un objet fortement identifié !