Le projet XJ41, débuté en 1980 et approuvé deux ans plus tard, paraissait vraiment prometteur pour Jaguar. À la différence de la molle XJ-S V12, il était prévu qu’elle soit une vraie sportive équipée d’un 6 en ligne et d’une suspension à double triangulation. De plus, elle eut également l’honneur d’être la dernière auto à recevoir la bénédiction du fondateur de la compagnie William Lyons juste avant sa mort en 1985 puisque, lors d’une visite au studio de design, le retraité découvrit l’élégante proposition de style de Keith Helfet et déclara : « Ça, c’est une Jaguar ! ». Rien d’étonnant donc à ce qu’on l’appelle de façon informelle “F-Type”. Malheureusement, peu après la mort de Lyons, le projet XJ41 (ainsi que son pendant découvrable XJ42) s’enlisa dans d’inextricables problèmes, un vrai cauchemar. Le premier souci venait du fait que Jaguar ne possédait qu’un minuscule département d’ingénierie travaillant avec des budgets loin d’atteindre le niveau de ceux des rivaux. La rumeur laisse entendre que Mercedes a développé l’essieu arrière multibras de la 190 avec le budget qui a permis à Jaguar de développer l’intégralité de la nouvelle berline XJ40. Et si cela ne suffisait pas, ce projet XJ40 siphonna les maigres finances au point d’obliger la firme à mettre en veilleuse le projet de nouvelle sportive au milieu des années 80.
Lorsque la nouvelle XJ fut enfin commercialisée en 1986, avec deux ans de retard sur le planning prévu, l’attention se porta enfin sur XJ41. Mais les responsables du plan Produits commencèrent à s’inquiéter du retard pris sur ce projet déjà vieux de 6 ans. La date du lancement avait irrémédiablement glissé vers le début des années 90 et il y avait fort à parier qu’à cette date, la F-Type risquait d’être dépassée. Donc, le projet avançant, le 6 cylindres de la XJ41 reçut un double turbo pour faire grimper sa puissance à 340 ch ainsi qu’une transmission intégrale afin de passer toute cette puissance au sol. Des airbags apparurent également pour se conformer aux nouvelles règles américaines, on lui greffa un toit targa pour la rendre plus polyvalente et une carrosserie élargie pour enrober toutes ces nouveautés.
La XJ41 est devenue un cas d’école de projet sans fin, de mission à la dérive.
Résultat, la XJ41 devint un cas d’école que les gens de la NASA pourraient citer en exemple lorsqu’ils se moquent du programme d’exploration de Mars qui ne cesse lui aussi d’être repoussé et de coûter de plus en plus cher avec les années. La XJ41 conçue comme une légère sportive à moteur atmosphérique s’est donc transformée au fil du temps en un monstre de plus de 1 800 kg. Jaguar essaya de réduire cette masse en supprimant les 4 roues motrices ainsi que le double turbo (pour ensuite le réinstaller plus tard dans une autre phase du projet !) mais sans succès. Il était de toute façon trop tard. Lorsque Ford acheta Jaguar fin 1989, la compagnie américaine lança un grand audit de la société et de ses plans futurs. En mars 1990, dix ans après le début du projet, la F-Type fut supprimée du plan Produits. Un seul des 23 mulets construits sur base de XJ-S sera sauvé du pilon, il trône au sein de la collection historique de Jaguar à côté de deux prototypes visuellement représentatifs construits par Karmann en 1989.
Cependant, l’âme de la XJ41 a survécu à tout ça. Lorsque le projet fut enterré, Tom Walkinshaw, le rusé patron de TWR qui faisait courir les Jaguar en compétition, demanda à son designer maison de reprendre l’essence du style de la XJ41 et de l’appliquer à une base mécanique de XJ-S pour ensuite essayer de revendre à Jaguar ce programme plus rentable. Lorsque Jaguar rejeta l’idée, Walkinshaw ne se démonta pas et transforma la proposition à Jaguar en une proposition à Aston Martin. Le projet fut approuvé et une nouvelle Aston d’entrée de gamme vit le jour : la DB7.
Toutefois, Jaguar réalisa ensuite quel était le potentiel d’un rhabillage de la plateforme de XJ-S, ce qui aboutira à la sortie de la XK8 en 1996. Le succès de ce modèle permettra à la marque de financer le châssis aluminium de sa remplaçante, la XK de 2005 dont la coque sera découpée et adaptée pour finalement donner enfin naissance à une F-Type. Et pour clore cette histoire, sachez que le designer qui a supervisé la création de ces deux dernières Jaguar n’était autre que Ian Callum dont la carrière décolla après qu’il a dessiné … l’Aston Martin DB7 en s’inspirant de la malheureuse XJ41.
