Il attend ce moment depuis 2005. Il en a assez de jouer les petits frères gentillets, sous-motorisé. Il tente un coup d’État. Le croco ose s’attaquer à la grande sœur iconique, traitée comme une reine dans le monde entier, y compris sur piste. Les traits sont tirés. Les voies s’élargissent : 6 mm par rapport au GT4. Les appendices foisonnent, au point d’hériter d’une lame extractible et d’un aileron réglable en col-de-cygne. Bref, il a mangé du lion et la crise d’adolescence s’annonce sévère… D’autant qu’il cache le flat-6 hurlant de la GT3 et que son châssis est entièrement réglable. Sur le papier, le Cayman GT4 RS s’annonce comme la pistarde rêvée qui fleure (quasi) la bonne affaire, en démarrant sous les 150 000 €. Les 911 observent de loin l’énergumène, mais semblent sereines. À tort ? C’est ce que nous allons voir, grâce à la confiance et à la gentillesse de deux propriétaires qui sont venus à notre rencontre.
Les photos de famille mettent en exergue la longueur d’avance des aînées en matière de gabarit. Le Cayman est distancé en longueur, largeur, voies, mais il possède le plus gros empattement et se révèle le plus bas. Il n’a rien d’un gringalet et utilise les mêmes codes stylistiques : écopes sur le capot, pack Weissach bi-ton et ailes dignes de la 991.2 GT3 RS, aileron en col-de-cygne doublé d’un becquet fixe telle une 992 GT3. Il ne va pas aussi loin en matière de hanches galbées ultra-sensuelles. Rappelons que cette 991.2 osait élargir le popotin telle une Turbo (en incluant ses entrées d’air) alors que la 992 conserve les épaules d’une Carrera. Elle laisse sans doute ce privilège à la RS, révélée en fin d’année et annoncée comme l’ultime pistarde atmo’. Le cadet 718 met tout de même en avant ses entrées d’air latérales (ici en carbone), qui alimentent… les radiateurs, puisque le flat-6 respire grâce aux custodes reliées à la boîte à air ! En adoptant pour la première fois la panoplie “Renn Sport”, le Cayman franchit un cap en termes d’aéro. Au point d’être autant plaqué au sol que les 911 ? Non, la hiérarchie est respectée. Mais le travail est conséquent depuis les prises d’air avant bordées de dérives jusqu’au diffuseur intégré au fond plat, en passant par les multiples écopes. Comme la 992, il dispose de réglages Performance dédiés à la piste et non homologués route, élargissant la lame avant et braquant l’aileron. Porsche annonce un gain de 25 % par rapport au 718 GT4, soit 225 kg de déportance à 315 km/h contre 180 kg à 304 km/h. La 992 doit relever des équerres situées devant les passages de roues et son aileron à quatre positions pour obtenir 350 kg d’appui à 300 km/h. Cela fait sourire notre poussin 991.2, qui toise la famille : 416 kg maxi annoncés en obliquant l’aileron. Une telle charge aéro se paie en vitesse maxi, même en aplanissant l’aileron, et la plus puissante du lot (520 ch) ferme la marche avec 312 km/h. Le Cayman, doté de la même boîte PDK à 7 rapports assortie d’un pont un poil plus long, la devance de justesse avec 315 km/h. Quant à la 992, équipée d’une autre boîte à double embrayage, elle leur grille la politesse avec 318 km/h et peut même grimper à 320 km/h avec l’alternative manuelle, qu’elle est la seule à proposer. Tout se joue donc dans un mouchoir de poche en vitesse maxi, un exercice pour lequel elles ne sont pas taillées.
Adieu la polyvalence ?
Une utilisation quotidienne ou GT représente le cadet des soucis de ces pistardes. Les suspensions sont copieusement raidies. L’insonorisation est sommaire. Le flat-6 et les bruits de transmission se chargent de réchauffer l’ambiance. Mais comment se situe le petit dernier ? « Il va peut-être falloir envisager les bouchons d’oreille » ironise notre photographe, après un trajet intense entre Paris et Magny-Cours. Il faut dire que le passager arrière est du genre volubile et la connexion avec les tympans sans filtre : aucune paroi de séparation ! Sur autoroute, à allure presque légale, le régime dépasse 3 500 tr/mn en 7e. Tant qu’à faire, cet overdrive aurait mérité d’être allongé. La 991.2 suit cette tendance, en baissant d’une octave, et oblige les occupants à élever la voix pour converser. Le plus étonnant est que la 992 GT3 se révèle aussi radicale et vénère le “bio”, alors qu’elle n’arbore pas le logo RS. À la base, précisons que le niveau de rigidité du châssis alu/acier de la génération 992 atteint des sommets et cela se ressent dès les Carrera. Heureusement, comme le reste du trio, elle embarque un amortissement piloté Bilstein et peut affûter sa géométrie : carrossage, pincement, antiroulis, voies, hauteur de caisse… Nos propriétaires ne s’en privent d’ailleurs pas. Nicolas a augmenté le carrossage avant/arrière de 1 à 1,45° de la 992 et compte grimper jusqu’à 2,15° à l’aide de cales. Rappelons que le train avant à double triangulation hérité de la course est inédit, que les ressorts reçoivent l’aide d’auxiliaires (helpers) et que les liaisons au châssis sont rigides (Unibal). Quant à Sébastien, il a tapé à la porte de Manthey Racing pour des réglages aux petits oignons, à un prix raisonnable. De quoi sublimer l’efficacité des trains roulants, composés aussi de ressorts auxiliaires, de supports rigides et de paliers moteurs actifs. Cette génération pouvait même recevoir des barres antiroulis en carbone.
Le concert métallique orchestré par l’admission prend une ampleur inédite à bord du Cayman. Jubilatoire
Notre GT4 RS, lui, s’appuie sur la configuration usine et suit cette voie de la coursification : ressorts auxiliaires arrière, rotules Unibal. Il reprend le train avant de la 991.2 GT3 et l’arrière de l’ancien Cayman GT4. Il hérite des freins de la 992 GT3. En revanche, il se passe de roues arrière directrices, contrairement aux deux 911. Ce trio partage la même philosophie en matière de filtrage de suspension : ferme en compression, faible débattement qui favorise le louvoiement et peut générer des micro-pertes d’adhérence sur le bosselé. Le mode normal de l’amortissement actif mériterait d’ailleurs d’être plus détendu (compression et détente). Le Sport, lui, s’enclenche uniquement sur du billard. L’efficacité est démente. Aucun mouvement de caisse ne vient parasiter les placements. Vous vous en doutiez, le confort n’est pas leur fort, mais les lombaires ne portent pas plainte au bout de 100 km, ni même les tympans. Les sièges, eux, restent confortables, même lorsqu’il s’agit de baquets à coque carbone issus de la 918 (disponibles sur les trois modèles). L’ambiance fleure bon la course : Alcantara ou équivalent Race-tex, carbone, arceau, harnais (en plus de la ceinture). L’apprenti pilote trouve vite ses repères. La 992 possède un coup d’avance en matière de technologies embarquées : interfaces tactiles, digitalisation… Détail important, le Cayman peut aussi contenir tout l’attirail d’un pistard, grâce à ses deux coffres (125 et 136 l). Pour espacer les ravitaillements, le petit coupé peut recevoir un réservoir de 90 l (192 €), comme ses sœurs. Utile, mais cela pénalise évidemment le poids qui vire à l’obsession familiale et peut pousser l’acheteur de GT4 RS à se passer de multimédia. Le cadet part confiant à ce sujet pour remporter la palme de la légèreté. À tort.
Le poids et le chrono
Le Cayman fait la moue sur la balance de notre partenaire W-Autosport. Et pour cause, il incarne la lanterne rouge de la bande ! Encore une fois, cela se joue dans un mouchoir de poche : 1 488 kg pour le reptile (+50 kg par rapport au GT4) contre 1 485 kg pour la 991.2 de Sébastien équipée du pack Weissach et d’une batterie lithium, et 1 475 kg pour la 992 PDK allégée par l’option freins carbone/céramique. La 718 s’équipe pourtant de freins carbone/céramique (7 980 €) et du pack Weissach (15 948 €) incluant des éléments en carbone apparent (capot avant, entrées d’air, boîte à air, rétros, aileron), des sorties d’échappement et un arceau en titane ou un revêtement de planche de bord en feutrine. Mais il fait l’impasse sur les coûteuses jantes en magnésium (15 000 €) et s’équipe généreusement (comme les 911) : multimédia, relevage de l’essieu avant… Vu le gabarit réduit, pourquoi une telle masse ? La 992 fait appel majoritairement à de l’alu pour sa coque… La 718 aussi, à hauteur 70 % contre 30 % d’acier. Logique, elles partagent la même plateforme MME. L’explication se trouve sans doute dans l’ensemble moteur/transmission avec une ligne d’échappement plus longue (expliquant la baisse de puissance), une boîte 7 différente et l’autobloquant mécanique (et non piloté). Du coup, le cadet voit son rêve de les devancer au sprint brisé. Nous n’avons malheureusement jamais mesuré de 991.2 GT3 RS (520 ch), qui était annoncé de 0 à 100 km/h en 3’’2 et de 0 à 200 km/h en 10’’6. La 992 GT3 (510 ch) est censée respecter son aînée en annonçant 3’’4/10’’8, or nous avons relevé 3’’2 et 10’’6 à Lurcy-Lévis avec des Michelin Pilot Sport Cup 2R (optionnels). Le GT4 RS tente le tout pour le tout, en chaussant des Cup 2 dédiés (N1) neufs. Toutes les aides sont remerciées. Le régime de départ fait écarquiller les yeux et sursauter les tympans : 5 400 tr/mn ! Les GT3, elles, poussent le bouchon jusqu’à 6 500 tr/mn. Une pensée pour la transmission. Au décollage, le croco se cherche un peu par rapport à une 911… Enfin, tout est relatif quand on regarde le résultat : 3’’5 de 0 à 100 km/h et 11’’1 de 0 à 200 km/h ! Il franchit ensuite la borne kilométrique en 20’’5 à 258 km/h, contre 20’’1 et 260 km/h pour la 992 GT3. Il devance donc de justesse une 991 GT3 (20’’6). Le cadet peut donc s’enorgueillir de telles performances, d’autant qu’il assure un spectacle sonore qui dépasse l’entendement et surclasse le reste de la famille. Vengeance.
Flat-6 hystérique
Porsche Motorsport facilite le travail des vendeurs. Si un client hésite à signer un bon de commande pour le GT4 RS, il suffit d’une accélération pour qu’il brandisse le chéquier. La voix du flat-6 explose les tympans, raccordés directement à l’admission placée à quelques dizaines de centimètres. De l’extérieur, le 4 litres gronde autant que la GT3, avec un échappement actif qui ajoute des basses une fois libéré. À bord, le concert métallique orchestré par l’admission prend une ampleur inédite et abasourdit. Le cockpit sert de caisse de résonance. Jubilatoire. Motorsport a osé mettre les watts ! À côté, la 992 GT3 paraît timide et la 991.2 GT3 RS possède cette tonalité métallique authentique et pure, mais réduit le volume de la stéréo à 6 pattes. Nous avons affaire à la même base mécanique, à savoir un 4 litres à carter sec, dont la conception et la lubrification sont héritées des Cup. Il cache une admission variable (à deux étages), un échappement et des bielles en titane, des papillons de gaz individuels, une injection directe à 250 bars, ainsi qu’une distribution très course (soupapes commandées par culbuteurs). Il délivre jusqu’à 520 ch à bord de la 991.2, malgré les filtres à particules. Pour la 992, le constructeur réussit à gagner 10 kg sur l’échappement (mêlant inconel, acier et titane), les pistons et le carter d’huile. Mais il perd 10 ch, tout en conservant le même couple maxi et en revoyant les régimes d’obtention à la hausse : + 300 tr/mn pour la puissance, + 100 tr/mn pour le couple. Le GT4 RS perd à son tour 10 ch, en raison de son architecture centrale. Le flat-6 a dû être retourné et totalement reconfiguré : système de refroidissement (eau, huile), admission, échappement à la ligne rallongée. Le couple perd 2 mkg et s’obtient à 6 750 tr/mn. Au final, on retrouve à bord de chacune le caractère fluctuant si délicieux et pointu. Le 4 litres reprend en souplesse à bas régimes, puis change de visage à 5 000 tr/mn, entre en transe à 7 000 tr/mn et emmène jusqu’au 9e ciel : 9 000 tr/mn ! Une drogue dure. Un Graal, digne des trois meilleures mécaniques au monde. Ne tombez pas dans le piège, ce six cylindres n’a rien à voir avec la pâle copie cubant 3 995 cm3 (et non 3 996 cm3), extrapolée du 3 litres et sévissant de manière linéaire sur les GTS (400 ch), GT4 et Spyder (420 ch).
Notre trio infernal est couplé à une boîte à double embrayage à 7 rapports, ultrarapide et obéissante. Le Cayman hérite toutefois de la PDK de la 991.2 RS, compatible avec un autobloquant classique contrairement à celle de la 992 GT3 (différentiel piloté uniquement). À l’opposé des 992 Carrera, la GT3 ressuscite le levier, qui singe la commande manuelle et que l’on retrouve à bord du GT4 RS. Dans tous les cas, le conducteur a le choix entre un levier (à l’endroit) et les palettes solidaires du volant, de taille réduite. Le mode Sport raccourcit les temps de passage et génère des coups de gaz au rétrogradage. La partition est parfaitement exécutée, y compris en Drive Sport qui rétrograde hyper activement au freinage. Malgré tout, on a envie de prendre les commandes pour magnifier l’osmose avec la mécanique. Un délice.
Hiérarchie respectée
Comme vous, nous attendons beaucoup de ce GT4 RS et espérons qu’il est en mesure d’agacer les terreurs insatiables de trackdays : les GT3. Porsche a donné un premier élément de réponse en communiquant les chronos sur la Nordschleife : 7’04’’51 sur le 20,6 km en Cup 2R avec Jörg Bergmeister aux commandes. Le gain est abyssal par rapport au GT4 : plus de 23’’0. Mais la 992 GT3 reste loin devant : – 9’’0, à gommes comparables. Elle devance de justesse la 991.2 RS, qui a profité aussi des Cup 2R : 6’55’’30 contre 6’56’’0. Concernant le Cayman, le pilote officiel Porsche estime l’apport des Cup 2R à 5’’0 au tour par rapport aux Cup 2 et justifie l’écart avec la GT3 par l’appui aéro et la taille de pneus inférieure (- 10 mm à l’avant, – 20 mm à l’arrière). Voyons si cette hiérarchie est respectée sur notre circuit Club. Notre GT4 RS à peine rodé (1 500 km au compteur) chausse des pneus quasi neufs, ajustés aux pressions nominales . Les conditions de piste sont défavorables, en raison d’un thermomètre approchant les 30 °C en ce mois de mai. Nicolas s’élance, bataille puis rentre aux stands trois tours plus tard pour baisser les pressions et tenter d’améliorer le chrono. Peine perdue.
Verdict : 1’19’’13, au niveau d’une 911 R et juste derrière l’excellente Corvette C7 Grand Sport. Finalement, cette 718 talonne la 992 GT3 (1’18’’87), équipée en Cup2 N0 et testée dans de meilleures conditions. La GT3 fait la différence en ligne droite par sa puissance et dans les virages lents, grâce à son train avant. « Je suis sûr qu’on peut faire un peu mieux » lance Nicolas. « On gagne à peine une seconde à pneus comparables par rapport au GT4 de 2015, à boîte manuelle. La différence de chronos n’est pas cohérente avec les sensations » ajoute-t-il, avant d’analyser la bête. « L’ambiance est fabuleuse. La prise en mains est extra. Ce Cayman est équilibré, agile. À l’épingle, il vient moins naturellement sur les freins par rapport à une 911. Pour claquer un chrono, c’est plus compliqué qu’avec la 911, je n’arrive pas à être aussi régulier. » Sur cette piste, un autre élément perturbe : l’étagement des rapports, qui fait hésiter entre la 2e et la 3e. La dernière solution s’impose, en raison d’un couple suffisant et du risque de déstabilisation en changeant de rapport.
De prime abord, comme avec tous les Cayman, la docilité frappe. Puis l’on retrouve l’équilibre caractéristique et un niveau de grip bluffant. Nous n’en avions jamais douté, ce châssis encaisse les 500 ch sans broncher. Entre l’architecture, les pneus semi-slicks et l’autobloquant, la motricité est difficile à prendre en défaut. Pour l’aider à pivoter aux placements et éviter la légère phase sous-vireuse, un copieux freinage dégressif est le bienvenu. Ainsi, le survirage déboule mais il s’obtient plus facilement aux gaz. Le feeling de direction est limpide. Les freins sont ultra-mordants et constants sous l’effort. Le GT4 (420 ch) est métamorphosé et le RS évolue sur dans une autre sphère : vivacité, vitesse d’entrée, précision, panache. Pourtant, ces progrès se soldent par une seule seconde de gagnée au tour dans ces conditions. « Ça fait cher la seconde ! » conclut Nicolas. Il faut aussi reconnaître que le jeune rebelle ne peut lutter contre le swing inimitable de la 911, qui pivote instinctivement, dispose d’un grip dément à la remise de gaz et survire plus facilement. La 992 se démarque par son train avant dévastateur et le carrossage augmenté accroît ici les g latéraux. Du coup, elle nécessite une vitesse d’entrée plus élevée pour se dandiner. Quant à la 991.2 RS, elle s’avère au bout du compte la plus enviable et attachante. Elle semble lire dans vos pensées. Elle se place au millimètre, en remuant juste ce qu’il faut. Elle réclame plus de bagarre au volant par rapport aux 992 et Cayman. Mais en retour, elle gratifie d’une séance de pilotage exceptionnelle, qui rapproche du domaine de la course et incite à se surpasser pour aller chercher les derniers dixièmes. Pas étonnant que Sébastien soit si attaché à son poussin, dont la cote ne cesse de grimper. Seule la nouvelle RS pourrait casser cette idylle… Et sa tirelire.