Un Spider envoyé par l’usine pour un supertest, quelle drôle d’idée ? Deux choses l’une : soit Ferrari a l’insolente assurance d’un Usain Bolt en 2009 au départ du 100 m, soit la marque en a terminé avec son obsession maladive du chrono ultime et de la gagne. Sans hésiter : réponse une !

Choix osé
Certes, Damiano est du genre cool et rigolard, mais le coordinateur italien des véhicules destinés aux essais presse n’est pas venu seul et certainement pas (que) pour amuser la galerie. Nous avons comme toujours droit à ce qui ressemble à un détachement des forces spéciales de la Scuderia, avec une équipe tout de rouge vêtue composée d’ingénieurs et mécanos venus de Maranello pour nous mettre, disent-ils, dans les meilleures conditions. La première fois, c’était en 2009 avec la California et si d’apparence, un tel dispositif peut paraître excessif, voire louche, il apporte bel et bien un confort de travail et une rigueur que l’on rêverait de retrouver à chaque essai chrono. Un exemple ? Quatre trains de Michelin dont trois de Cup 2 R (les connaisseurs apprécieront) sont alignés dans un box de la piste Grand Prix. Pas de couvertures chauffantes comme cet hiver avec Corvette mais qu’importe, la température est clémente (autour de 22°C) en cette fin mai dans la Nièvre.

Inutile de vous décrire par le menu la 296 déjà essayée et détaillée à maintes reprises dans Motorsport, y compris dans le match face à la McLaren Artura qui précède. Nous allons cette fois nous concentrer sur les chiffres – et quels chiffres ! – mais avant cela, parlons sensations, frissons, émotions. La voiture mise à notre disposition n’a pas seulement la particularité d’être un Spider. Comme l’indique sa teinte bicolore en hommage à la 250 LM, elle est équipée du fameux pack Assetto Fiorano. Pour la modique somme de 32 400 €, vous obtenez une lame avant spécifique générant 10 kg d’appuis supplémentaires à 300 km/h, du carbone dans les contre-portes dont nous reparlerons et surtout des amortisseurs à tarage fixe et ressorts en titane signés Multimatic. La société canadienne équipe quelques équipes de F1, les GT3 de Ferrari et des protos du Mans. Bref, on parle de vraies pièces dérivées de la compétition, vues pour la première fois sur la SF90 dotée du même pack en plus poussé. Assetto Fiorano sous-entend un usage dédié à la piste mais c’est sur la route qu’il nous a en tout en premier lieu ébloui.
L’expérience sur notre route de campagne favorite est tout bonnement fantastique

Sur la route
Si avec son V6 hybride thermo nucléaire de 830 ch, la 296 de base est capable d’émouvoir le plus blasé des possesseurs de supercars par ses seules accélérations, il lui manque aux yeux des épicuriens de la conduite une forme de sensualité. La suspension pilotée magnétique d’origine est si soyeuse qu’elle en devient frustrante lorsqu’on cherche à établir une connexion franche et virile avec cette berlinette supersonique. Il n’est pas seulement question de frissons. Mieux sentir les aspérités de la route et la limite du grip des Michelin Pilot Sport 4S (les Cup 2 R ne sont pas très adaptés à cet usage) dans la pulpe des doigts et le bas de reins apporte un climat de confiance bienvenu dans une auto capable de dépasser la vitesse légale (sur autoroute) en moins de 4”… C’est précisément ce que permettent à la perfection les amortisseurs “métalliques” de l’Assetto Fiorano. Leurs débattements restent suffisamment importants pour épouser sans heurt le relief de la route et comme tout bon dispositif de course qui se respecte, la qualité de l’amortissement croit avec la vitesse.

Bref, plus on attaque, plus c’est bien et bon, mais restons calmes ! Garder la tête froide avec un tel pétard derrière le dos n’est pas chose aisée. Le mieux est alors d’appuyer sur le bouton permettant de replier le toit rigide en quelques secondes pour profiter d’un deuxième effet Kiss Cool. Aux frissons du pack magique, notre GTS ajoute ceux de la conduite au grand air qui permet de mieux profiter de la mélodie de petit V12 (tout à fait !) jouée par le V6 biturbo ouvert à 120°, et des coups de fouets glaçants donnés par la boîte à chaque rétrogradage. Même si la direction paraîtra encore aux yeux de certains légère et peu informative, l’expérience sur notre route de campagne favorite est tout bonnement fantastique. Plus ou moins qu’au volant de la 765LT Spider essayée au même endroit l’année dernière ? Je botte en touche en vous disant juste que c’est très différent : plus sauvage et spectaculaire chez McLaren, plus prodigieusement facile chez Ferrari. Dans les deux cas, les trésors d’ingénierie et de mise au point déployés pour rendre exploitable sur route ouverte de tels monstres de performances à deux roues motrices tiennent de la sorcellerie.
Planter les freins à 303 km/h N’a rien d’une expérience de mort imminente

Verdict de la balance
De performances, parlons-en. Nous avons déjà eu l’occasion de mesurer celle de la GTB lors de l’élection de la Sportive de l’année 2022 mais puisque nous tenons comme chez Ferrari à être complet et précis, nous revoici de retour à Lurcy-Lévis avec la GTS. Avant cela, nous avons fait un détour par la balance de nos amis de W-Autosport. Verdict : 1646 kg tous pleins faits contre 1640 contrôlés pour la GTB. Comment expliquer un écart de seulement six kilos alors que Ferrari annonce un surpoids de 70 kg pour le Spider ? Plusieurs explications à cela. Pour commencer, la GTS dispose des jantes en carbone à 24 000 € qui allègent l’auto de 20 kg. Ensuite, les deux voitures ne disposaient pas de la même configuration, celle du coupé essayé l’an dernier étant moins tournée vers la légèreté. Enfin, le pack Assetto Fiorano permet une économie de 8 kg. 8 et pas 13, comme sur la GTB. La différence se situe notamment au niveau des contre-portes, entièrement en carbone sur le coupé Assetto Fiorano et partiellement en carbone sur le Spider en raison des renforts inhérents à ce type de carrosserie cachés à cet endroit.

Sprint record !
Avec un poids quasi identique et une finesse aéro prétendument identique, la GTS devrait donc reproduire les performances stratosphériques de sa sœur à toit fixe. Et c’est le cas. Mieux encore, nous parvenons à améliorer d’un dixième les temps de 0 à 200 km/h et au mille mètres départ arrêté. On parle respectivement de 7”1 et 17”7. Du jamais vu de mémoire de Motorsport et même si vous n’aimez pas les chiffres, permettez-moi de vous en livrer quelques-uns pour mesurer l’exploit. Le kilomètre DA d’une McLaren Senna de 800 ch, c’est 18”2, celui d’une 765LT Spider 18”1 tandis qu’une Aventador SVJ se contente de 18”9. Ladite Lamborghini (770 ch) réclame plus de temps pour atteindre 180 km/h que la Ferrari pour passer les 200 et ça ne vous suffit pas, sachez que lorsque vous atteignez 250 km/h au volant de l’actuelle 911 GT3 RS, cela fait plus de trois secondes que le Spider de Maranello a dépassé les 300… réels ! Pour la première fois depuis que je viens à Lurcy, j’ai enfin franchi cette barre symbolique après 17”2 d’une accélération irréelle. Fait amusant, ce mille mètres départ arrêté d’anthologie a été réalisé en utilisant une fonction étonnante intégrée au mode Launch Control. Réaliser trois départs d’affilée au même endroit permet au système d’“apprendre” et optimiser la gestion du différentiel piloté. Planter les freins à 303 km/h, 200 mètres environ avant le bout de la piste, n’a rien d’une expérience de mort imminente. Jamais, hormis peut-être à bord de la Senna, un freinage à haute vitesse ne m’a semblé aussi puissant et rassurant.

Sur la piste
L’ami Romain Monti va ainsi pouvoir sereinement tutoyer les limites sur la piste Grand Prix de Magny-Cours. Pour l’avoir déjà vécu avec la 488 Pista, notre pilote pro maison connaît bien la sympathique mais grosse pression mise par les hommes en rouge avant d’aller claquer un temps. La procédure est stricte : deux premières séries de trois ou quatre tours pour s’acclimater avec des Michelin Cup 2 R (les meilleurs semi-slicks du monde) déjà un peu usés. Vient alors le moment de passer au stand pour enfiler des baskets neuves et s’élancer dans ce qui s’apparente à une séance de qualif… en mode Qualify. Après un tour de chauffe, Romain s’arrête pour un rapide contrôle des pressions puis repart. Il a alors deux tours lancés maxi pour exploiter le plein potentiel des pneus. À son premier passage, l’un d’entre nous s’écrie “1’44”71 !”. C’est déjà deux dixièmes de mieux que la 488 Pista : à peu de chose près ce que m’avait annoncé Damiano. La joie non feinte de l’envoyé spécial de Maranello se transforme en stupéfaction au deuxième passage de Romain. Son chrono affiche 1’43”60 et le temps officiel mesuré par le Garmin Catalyst sera de 1’43”52. Notre nouvel ami italien nous confie être presque embêté par un tel écart avec la Pista, mais ne crache pas sur l’exploit… Là encore, prenons le temps d’en prendre l’exacte mesure. La 296 vient de s’approcher à une demi-seconde de la McLaren Senna (1’42”99) et de ridiculiser des pistardes du calibre de la Lamborghini Huracan STO (1’47”73), l’Aventador SVJ (1’47”33) ou encore la 992 GT3 RS (1’48”34) chaussée elle aussi en Cup 2 R. Rappelons que ce temps a été réalisé avec un Spider et même si Damiano confie modestement que le coupé ne gagnerait que deux dixièmes environ, je vous laisse imaginer ce que pourrait donner une version vraiment spéciale, allégée et radicalisée dans l’esprit de la SF90XX Stradale présentée récemment…

Il est par ailleurs important de noter que Ferrari n’a pas touché aux réglages du châssis et déconseille fortement à ses clients de le faire, en partie pour des raisons de sécurité. Aussi Assetto Fiorano soit-elle, une 296 doit selon le constructeur conserver d’excellentes aptitudes sur route. À ce sujet, la polyvalence est toutefois limitée par l’impossibilité d’associer ce pack avec le système de levage hydraulique du train avant (lift), mais pas dramatique pour autant. Cette berlinette n’a en effet rien d’une rase bitume. Entre la piste Grand Prix et le circuit Club, il n’y a qu’un petit kilomètre que nous effectuons en mode furtif. Pourquoi ? Parce que rouler en tout électrique à bord d’une Ferrari, c’est tellement incongru que ça en devient amusant. Les 167 ch du fin moteur électrique placé entre le V6 et la boîte suffisent à déplacer la bête à une allure décente. Le calme avant une nouvelle tempête qui s’annonce sur notre tracé de référence.
La 296 vient de s’approcher à une demi-seconde du temps de la Senna

On prend les mêmes et on recommence. C’est cette fois à moi de me plier de bonne grâce à la fameuse procédure. Je retrouve la finesse et l’équilibre parfait qui m’avaient ébloui ici même au volant de la GTB, mais un cran au-dessus. Le pack Assetto Fiorano apporte plus de mordant en entrée, de motricité en sortie et de stabilité dans le rapide. Tout est bon à prendre pour transmettre efficacement 830 ch et 900 Nm (en mode Qualify) aux seules roues arrière, et l’amélioration nette du maintien de caisse dans les phases transitoires est décisif. Le train arrière perd la petite élasticité qui le rend parfois très joueur sur un tracé aussi sinueux. Au lieu d’imposer une séance de drift fort sympathique au demeurant, il se cale pour ne plus bouger sauf quand on lui demande. Le châssis plus typé ne réclame toujours pas de grands talents de pilotage mais une réelle et grisante implication. Bien que ça ait l’air simple, on sue à grosses gouttes derrière le volant. Si son poids élevé (190 kg de plus qu’une 765LT) prive la 296 de l’agilité légendaire des 458 Speciale et 488 Pista, la gestion du couple, la précision du châssis et les mises en vitesse d’une autre planète affolent une fois de plus le chronomètre qui affiche 1’15”48. La Pista est encore surclassée (1’16”06), de même que la 765LT et la Lamborghini Huracan STO reléguées respectivement à 1” et 1”2. Même sur un circuit où la puissance s’exprime nettement moins que sur le GP, la diabolique 992 GT3 RS pointe à une demi-seconde. Seule la Corvette C8 Z06 tient tête à la 296. Les Italiens sont heureux, nous aussi. Ferrari ne brille pas tous les dimanches sur tous les circuits, mais jamais le constructeur n’a failli avec nous à Magny-Cours.
