Les premières livraisons d’Emira ont eu lieu en France à partir d’août 2022. Mais les apparitions du dernier modèle thermique Lotus se font rares aussi bien sur les routes, les circuits que dans les médias. Le constructeur affirme pourtant avoir enregistré plusieurs milliers de commandes qu’il n’a pu honorer en raison de pénuries sur sa chaîne d’approvisionnement. L’usine flambant neuve Chapman a mis du temps à atteindre son rythme de croisière (5 000 voitures par an). Par conséquent, la sortie de la version quatre cylindres turbo AMG de 360 ch a pris du retard et nous n’avons toujours pas eu l’occasion de la tester. Quant à la supercar électrique Evija, dont les premiers exemplaires devaient être livrés l’an dernier, c’est le silence radio. Lotus se concentre sur la sortie du SUV électrique Eletre programmée cet été. Avec toutes ces péripéties, peu d’Emira circulent et la presse européenne doit se partager deux modèles. En temps normal, l’Anglais adore les challenges (chronos, comparatif, sujets décalés). Mais cette fois, il réclame de patienter avant de la supertester à Magny-Cours. Qu’à cela ne tienne, nous avons trouvé un excellent moyen de faire plus ample connaissance : un roadtrip. Soyons clair, on ne parle pas d’une promenade de santé autour du pâté de maison, mais d’une rando avec un maximum de dénivelé, accompagnée de guides de haute montagne qui connaissent les lacets savoyards par cœur et font partie de la famille Motorsport : Nicolas Richel, parrain du magazine et organisateur du Motor Sportive Day (30 juin 2024 à La Plagne Montchavin – Les Coches), ainsi que Sébastien Poisson qui a remporté en 2023 la Carrera Cup catégorie Amateurs avec le team ABM. Ça sent bon l’air pur, la gomme brûlée et la raclette !
Mini supercar
Nous récupérons notre First Edition à Lyon, revêtue du jaune traditionnel. Dans la circulation, cette mini Evija fait l’effet d’une bombe. Râblée, compacte – gabarit proche de celui de l’Evora -, l’Emira mise sur la pureté, le mélange de formes charnelles et géométriques : découpes du capot avant, des boucliers et des flancs. Les pouces se lèvent naturellement, comme les téléphones. Les enfants hurlent à son passage. Autant de signes qui la positionnent dans la cour des grands. En tendant l’oreille, on se rend toutefois compte que les badauds ont du mal à l’associer à Lotus, comme ce père de famille croisé à Tignes : « les enfants, regardez la voiture, elle est magnifique cette… » et il termine sa phrase en scrutant le logo. Pas évident en effet d’identifier la marque, qui bouleverse le plumage tout en utilisant un ramage éprouvé : type de châssis (alu), cinématique de suspension, V6 à compresseur, boîte manuelle (auto en option). Amateur de Lotus, notre photographe lyonnais Joris est également conquis par la prestance dégagée par l’Emira. Va-t-il le rester au moment de charger son matériel et les bagages ?
Une promenade de santé ? Plutôt une rando avec un fort dénivelé. Ça sent bon l’air pur, la gomme brûlée et la raclette !
Étant donné que le capot avant reste inutilisable et dédié au refroidissement, il reste les 151 l du coffre arrière pour stocker. Facile, l’artiste voyage léger y compris en embarquant un drone ! Il faut tout de même prendre ses précautions vis-à-vis de la chaleur émise par le V6 et épargner les appareils électroniques. Comment ? Grâce à l’espace de chargement situé derrière les sièges. Contrairement à l’Evora, la petite GT ne peut malheureusement pas accueillir deux places de secours en option. Mais cette zone peut accueillir 141 l jusqu’à la lunette ou 208 l jusqu’au toit. Tout le monde trouve donc ses aises. Les occupants sont accueillis dans un cockpit plus raffiné que par le passé, tapissé de cuir et d’Alcantara. Le style reste minimaliste avec une planche de bord en escalier ornée de deux écrans et un tunnel haut perché où la tringlerie de boîte est désormais camouflée. La position de conduite est relevée d’un cran comparée à celle d’une Evora et les sièges étonnent par leur moelleux. Le ton est donné : priorité au confort, au détriment du maintien latéral.
Le trajet jusqu’en Savoie permet de s’attarder sur toutes les fonctionnalités. Le bouton de démarrage caché par une goupille évoque Lamborghini, tandis que le bonhomme casqué du système de ventilation renvoie à McLaren. Le volant, lui, est truffé de commandes et irrite par son double méplat quand il s’agit de s’en occuper. Quant aux écrans, ils limitent les reflets et optent pour la simplicité. Le compteur, chapeauté par le compte-tours, change de couleur au gré des modes de conduite ajustables depuis le tunnel : Tour, Sport et Track agissant sur le moteur, l’échappement actif et les aides à la conduite. Ce n’est qu’en activant le Track que le correcteur de trajectoire peut se déconnecter en une longue pression sur l’écran central. L’interface Performance permet s’observer les G latéraux, la puissance, la pression de suralimentation ou le couple moteur (en pourcentage), ainsi que l’appui aéro. À ce propos, Lotus reste vague en parlant de moins de 100 kg à la vitesse maxi (290 km/h). Plus intéressant, il est possible d’afficher la pression des pneus. Plutôt qu’une précision au centième près, la température aurait été la bienvenue surtout avec les semi-slicks optionnels.
Les gènes Lotus prennent le pas sur ceux émanant du grand tourisme : insonorisation, filtrage, feeling
Gènes Lotus
Sur autoroute, les gènes Lotus prennent le pas sur ceux émanant du grand tourisme. L’Emira filtre moyennement les bruits ambiants, dont les roulements avec les semi-slicks et la mécanique. Résultat, il faut élever la voix pour converser aux vitesses légales. En temps normal, l’Emira disposant d’une assistance de direction hydraulique a déjà une fâcheuse tendance à guidonner. Alors imaginez avec des semi-slicks ! Le point positif ? Le conducteur ne s’ennuie jamais, même sur le long ruban. Mais ce genre d’attention risque de perturber la clientèle visée, moins extrémiste que par le passé. En dehors de l’insonorisation moyenne, le confort de suspension séduit à la longue. Notre modèle d’essai s’équipe du pack Sport, raidissant les ressorts Eibach et modifiant la détente ainsi que la vitesse d’exécution des amortisseurs Bilstein. Il en résulte plus de fermeté à basse vitesse, qui s’amenuise à haute fréquence. En gros, plus le rythme est relevé sur le bosselé, plus cette suspension passive absorbe efficacement.
Les clients qui envisagent l’Emira au quotidien ou comme une GT ont tout intérêt à se diriger vers le pack Tour associant un set-up soft à des Goodyear Eagle F1 Supersport dédiés. Pour les autres, dont les habitués de la marque, le pack Sport est vital pour limiter les mouvements de caisse et relever le dynamisme. Tant mieux, vu le programme qui nous attend ! Les montagnes commencent à nous cerner. Chambéry, la capitale de la Savoie, nous souhaite la bienvenue en déversant des trombes d’eau. Quel accueil. Nous n’en demandions pas tant avec des Cup 2 aux pattes (associés au pack Sport), taillés sur mesure (marquage « LTS). Nous rejoignons ensuite Moutiers puis quittons le béton pour grimper dans la vallée de la Tarentaise par le chemin des écoliers ou plutôt du Baroque avec pour objectif Aime-la-Plagne en passant par Notre-Dame-du-Pré. La route, digne d’une spéciale, serpente au travers de la forêt. Délicieux, mais la pluie gâche la fête et se transforme même en neige fondue. Damned. Par miracle, les dieux savoyards chassent les nuages, laissant admirer les vallées luxuriantes entourées de sommets enneigés. Le thermomètre grimpe. L’humidité s’évapore. Les Cup 2 retrouvent le sourire et les G commencent à pleuvoir en se dirigeant vers Montchavin.
L’anglaise supporterait sans mal 100 ch de plus. elle s’empâte et frôle désormais les 1 500 kg !
Gourmandises
Le V6 donne de la voix dans les longues lignes droites entrecoupées d’épingles, sans briser les cervicales. L’actionneur du papillon des gaz s’agite dans le rétro. On ne s’en lasse pas, comme le sifflement généreux du compresseur (Edelbrock) sur ce modèle affichant 9 000 km. L’échappement actif (sortie en titane) a également son mot à dire et ronchonne en Sport et Track. La bande-son a le mérite d’être atypique, mais ne possède pas le grain de folie des dernières Exige/Evora. Le fidèle 3,5 litres d’origine Toyota – complètement revu par Lotus (admission, échappement, supports moteur, refroidissement) – étonne toujours par son côté pointu. Malgré la présence du compresseur, il déploie sa force à partir de 3 000 tr/mn et apprécie les hauts régimes, avant d’être coupé dans son élan par le rupteur sous 7 000 tr/mn. Délivrant 405 ch, le V6 semble bridé, lissé et mérite plus de caractère pour marquer les esprits.
Rassurez-vous, il autorise déjà de belles performances et le 0 à 100 km/h annoncé en 4’’3 semble réaliste avec notre modèle d’essai bien chaussé et rodé. Sans l’apport de la PDK, le Cayman GTS (400 ch) resterait à l’aspiration (4’’5) et l’A110S devance rait tout juste la Lotus grâce à son poids plume et sa boîte double embrayage (4’’2). Comme le croco, l’anglaise supporterait sans mal 100 ch de plus. Il faut dire qu’elle s’empâte et frôle désormais les 1 500 kg. La masse annoncée au lancement concernait bien la plus légère des versions, à savoir la quatre cylindres turbo (1 405 kg). Nous avons hâte de vérifier toutes ces données sur nos terres ! Comme Porsche, Lotus continue d’encenser le levier qui régale par son faible débattement. Bien étagée, cette boîte à 6 rapports héritée des Evora/Exige réclame de la poigne et des chaussures fines pour exécuter le talon pointe. Dans les manœuvres, la sensibilité excessive de l’accélérateur agace et l’embrayage semble fatigué par la montagne d’essais presse.
Pour soutenir un bon rythme, l’Emira réclame de batailler au volant telle une authentique Lotus
Avant de laisser souffler le joyau britannique, un dessert gourmand parsemé d’épingles nous attend pour rejoindre Peisey et régaler nos papilles de bons petits plats concoctés par Jeannette (dont les fameuses terrines !) et dégustés au coin du feu. C’est sûr, vous n’aurez plus envie de repartir de l’Ancolie. À moins d’avoir une sportive sous la main et de devoir vous rendre sur le versant d’en face. Quel pied. Une course de côte mériterait d’être organisée entre Landry et Peisey (D87) et un pilote défendrait son titre chaque année : Sébastien Poisson. La glisse est tentante en guise de digestif, mais ce n’est pas la tasse de thé de cette anglaise. Elle pivote peu au freinage dégressif et réclame de garder un maximum de vitesse puis d’abuser des gaz. En fonction de la température des Cup 2, l’arrière consent à survirer mais gare aux reprises de grip. Au passage, l’apport de l’autobloquant Torsen est guère sensible. Après toutes ces émotions, ce festin de courbes et de panoramas vertigineux, il est temps de faire de beaux rêves.
In Beaufort we trust
La nuit est de courte durée pour notre photographe Joris surmotivé, qui ne raterait le lever du soleil sous aucun prétexte. Il a raison, la vue sur la vallée de la Tarentaise coupe le souffle dès la terrasse du mignonnet chalet mis à disposition par le team 73, composée de Romain et Nicolas qui vont nous servir de guide en Impreza GT pour prendre encore de l’altitude. Un énorme merci ! Nous nous dirigeons vers le lac de Tignes au son de la wastegate de la Subaru, en empruntant la D902 large, rapide et parfois piégeuse. Les affaires se corsent en grimpant jusqu’à la station. Malgré le châssis Sport, les placements manquent de hargne, même en aidant la berlinette à pivoter. Les mouvements de caisse persistent et le différentiel n’est pas assez entreprenant. Les concurrents Cayman GTS et A110 S conservent une longueur d’avance : équilibre, vivacité, stabilité et freinage ici, en raison de plaquettes fatiguées. Pas de quoi gâcher la fête savoyarde, qui mène aux pieds des pistes ouvertes jusqu’à fin avril. Dur de résister à l’appel des sommets, d’autant que le domaine est gigantesque ! Nous filons ensuite traquer Jean-Claude Dusse, le célèbre personnage du film « Les bronzés font du ski » (1 979) tourné à Val d’Isère. En vain. Il existe bel et bien un mannequin représentant le malheureux suspendu à son télésiège, mais il semble avoir disparu de la circulation… Avis de recherche !
Nous nous consolons avec une cure de fromage intense, composée de tartiflette et d’un hold-up à la coopérative laitière de Bourg Saint-Maurice. Le trésor local, le Beaufort, va parfumer tout le trajet retour. Quand on aime… À l’idée de quitter la vallée des merveilles, la mélancolie envahit. Mais Joris ne veut pas rester sur un échec et tient à immortaliser le chemin du Baroque sous le soleil. Eurêka. Le détour vaut la peine, entre la forêt verdoyante et les lacets bercés de lumière. Cette D88 peu empruntée pousse au crime. Pour soutenir un bon rythme, l’Emira réclame de batailler au volant telle une authentique Lotus… Avec des kilos en trop ! Elle a beau faire des efforts (châssis Sport, Cup 2), l’avant décroche trop vite. Une « simple » question de réglages… Le constructeur garde une belle marge de manœuvre et nous espérons qu’il l’utilisera avant de tourner la page du thermique.